M. Keynes et les « Classiques »

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M. Keynes et les « Classiques » : suggestion d'une interprétation (en anglais : Mr. Keynes and the "Classics"; a suggested interpretation) est un article académique d'économie célèbre, connu comme la première formalisation des thèses keynésiennes exposées par John Maynard Keynes dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Publié par John Hicks en , cet article donne le coup d'envoi de la synthèse néoclassique.

Contexte[modifier | modifier le code]

Publication de la Théorie générale et controverses interprétatives[modifier | modifier le code]

John Maynard Keynes publie, en , sa Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Dès sa parution, le livre, qui offre peu de formalisation, fait l'objet d'interprétations dissidentes et contraires[1]. Certains économistes publient alors des articles académiques visant à clarifier par la modélisation les thèses de l'auteur[2].

Publication de John Hicks[modifier | modifier le code]

John Ricks, qui est alors enseignant-chercheur à l'université de Cambridge, suit de près les publications de Keynes. En , il publie dans The Economic Journal une recension de la Théorie générale. L'année suivante, il rédige « M. Keynes et les Classiques », une formalisation du chapitre 18 de la Théorie générale, qu'il envoie à la revue Econometrica. Elle le publie dans son n°2, vol. 5, en avril 1937[3].

La paternité du contenu de l'article est débattue. Le texte est basé sur des notes rédigées par Hicks en vue d'un colloque de la Econometric Society de l'université d'Oxford de septembre 1936. Il prend en compte les débats qui s'y tiennent et modifie ses notes en vue de la rédaction de l'article. Warren Young soutient que l'article est "non pas tant une nouvelle pièce d'analyse, mais une synthèse des tentatives interprétatives de Roy Harrod et de James Meade[4].

Contenu[modifier | modifier le code]

Hicks se fonde sur le concept de préférence pour la liquidité. Il fournit avec son article le cadre de référence de la synthèse néoclassique, courant de pensée qui cherche, à partir de la publication de la Théorie générale, à concilier des éléments de l'école néoclassique avec d'autres du keynésianisme[2].

La reformulation d'Hicks aboutit à un modèle, le modèle IS-LM[5]. Il se fonde sur trois équations, qui rendent compte de rapports entre variables économiques : le taux d'intérêt détermine le taux d'investissement en sens contraire ; le montant de l'épargne est égal à celui de l'investissement (d'où la courbe Investment and Savings, IS) ; enfin, le montant de la monnaie détermine le taux d'intérêt[6].

Postérité[modifier | modifier le code]

L'article d'Hicks est le premier à avoir proposé une interprétation solide des résultats de la Théorie générale en lui fournissant un cadre analytique[7]. En prenant position sur l'interprétation adéquate du keynésianisme, Hicks pose en fait la première pierre de l'école de la synthèse néoclassique, qui va chercher à modéliser Keynes et à jeter des ponts entre le keynésianisme et l'école néoclassique[8].

La simplicité du modèle IS-LM le rend très populaire au sein des facultés d'économie, à tel point que le modèle proposé par Hicks est parfois devenu synonyme au keynésianisme[5]. James Tobin en a vanté la capacité heuristique[9].

Débats et critiques[modifier | modifier le code]

Sur-simplification théorique[modifier | modifier le code]

L'article a été critiqué comme une sur-simplification de la théorie keynésienne qui irait dans le sens d'une trahison des idées de ce dernier. Joan Robinson a par exemple dénoncé le modèle comme la première pierre d'une « bâtardisation du keynésianisme » (bastard Keynesianism)[10]. Dans L'imposture économique, Steve Keen souligne que le modèle IS-LM, en simplifiant la théorie keynésienne, lui a infligé un « régime amincissant »[6].

Caractère statique du modèle[modifier | modifier le code]

Axel Leijonhufvud publie en 1968 un livre critique envers l'article de Hicks. Il soutient que l'économiste a mal représenté la théorie keynésienne du fait du caractère statique du système d'équations proposé par l'article[11].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Steven Kates, Classical Economic Theory and the Modern Economy, Edward Elgar Publishing, (ISBN 978-1-78643-357-2, lire en ligne)
  2. a et b Encyclopædia Universalis, « M. Keynes et les "Classiques" : proposition d'une interprétation », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
  3. Ramón Tortajada (éd.), Commentaires de la Théorie générale de Keynes à sa parution, Presses Univ. Septentrion, (ISBN 978-2-7574-0093-7, lire en ligne)
  4. M. G. Ambrosi, "Keynes, Pigou and Cambridge Keynesians" (2003), p234, citing W. Young, "Interpreting Mr. Keynes. The IS-LM Enigma", (1987), in turn citing papers by Harrod designated '(1937a)' and by Meade. Meade's paper is "A Simplified Model of Mr. Keynes' System". Ambrosi's '(1937a)' appears to be an error for '(1937b)', which is "Mr Keynes and Traditional Theory".
  5. a et b Jean Boncoeur et Hervé Thouément, Histoire des idées économiques - 5e éd.: Tome 2 : De Walras aux contemporains, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-61955-8, lire en ligne)
  6. a et b Steve Keen, L'imposture économique, Éditions de l'Atelier, (ISBN 978-2-7082-4447-4, lire en ligne)
  7. Marc Montoussé, Macroéconomie, Editions Bréal, (ISBN 978-2-7495-0610-4, lire en ligne)
  8. Ghislain Deleplace, Histoire de la pensée économique - 3e éd., Dunod, (ISBN 978-2-10-077318-3, lire en ligne)
  9. Brian Snowden and Howard R. Vane, 'Conversations with modern economists' (1999), p95.
  10. Richard Bourke et Quentin Skinner, History in the humanities and social sciences, (ISBN 978-1-009-23104-6 et 1-009-23104-9, OCLC 1336891983, lire en ligne)
  11. (en) Robert W. Dimand et Harald Hagemann, The Elgar Companion to John Maynard Keynes, Edward Elgar Publishing, (ISBN 978-1-78811-856-9, lire en ligne)