Mâchecroute

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Mâchecroute

Origines

La ou le Mâchecroute (ou Mâche-Croûte[1]) est un dragon légendaire vivant dans les eaux du Rhône à Lyon. Elle serait capable de provoquer crues et sécheresses, en plus de dévorer humains et animaux. Au cours du carnaval de Mardi Gras, la Mâchecroute était promenée sous forme d'une marionnette, puis jetée dans le Rhône[1].

Des variantes de la Mâchecroute, aquatiques ou non, existent également en Savoie, en Isère[2] et dans le Forez[1].

Descriptif[modifier | modifier le code]

Représentation du pont du Rhône au XVIIe siècle, devenu le pont de la Guillotière.

La Mâchecroute est un animal aquatique semblable à un dragon vivant dans le fleuve Rhône, à la hauteur de l'actuel pont de la Guillotière[3].

Rabelais décrit ainsi la marionnette à l'effigie de la Mâchecroute présentée lors du carnaval au XVIe siècle :

« A Lion au carneval on l’appelle Maschecroutte : ilz la nommoient Manduce. C’estoit une effigie monstrueuse, ridicule, hydeuse, & terrible aux petitz enfans : ayant les œilz plus grands que le ventre, & la teste plus grosse que tout le reste du corps, avecques amples, larges, & horrificques maschouères bien endentelées tant au dessus comme au dessoubs : les quelles avecques l’engin d’une petite chorde cachée dedans le baston doré l’on faisoit l’une contre l’aultre terrificquement clicquetter, comme à Metz l’on faict du Dragon de sainct Clemens. »[4]

Histoire[modifier | modifier le code]

La légende de la Mâchecroute est apparue au Moyen âge. Elle est évoquée par Rabelais dans Le Quart-Livre en 1552. Selon le Littré de la Grand'Côte, « La Mâchecroûte était évidemment un souvenir du Manducus latin, d’après Plaute et Festus mannequin pourvu de mâchoires et de dents énormes, qu’on promenait dans certains jeux publics. »[5]

La légende aurait perdu en vitalité avec l'endiguement des rives du Rhône en 1856, qui a permis de réguler crues et inondations[6]. La troisième édition du Littré de la Grand'Côte rapporte qu'en 1903 « La tradition, comme le mot, est complètement oubliée. »[5]

Elle fait néanmoins toujours partie du folklore lyonnais. Les archives municipales ont axé autour d'elle leur médiation auprès des jeunes publics sur la question du changement climatique entre 2012 et 2013[7]. Une publication municipale humoristique annonce la découverte d'un œuf de Mâchecroute à l'occasion du premier avril 2019[8]. Le festival Entre Rhône et Saône l'a choisie comme mascotte en 2022[3].

Interprétations du mythe[modifier | modifier le code]

La Mâchecroute s'inscrit dans la tradition des dragons ou serpents aquatiques, très répandus dans le folklore européen, ainsi que dans les mythologies païennes et chrétiennes[9]. Selon Annie Cazenave, ces mythes sont des variations « populaires » sur la thématique chrétienne du dragon, ou encore du Léviathan[10]. Le Léviathan, monstre marin datant de l'épisode biblique de la Création, est un symbole de l'Apocalypse, « de la nuit, du noir, de l'ombre et de la fatalité aquatique »[11]. Les pratiques carnavalesques autour de marionnettes monstrueuses comme celle de la Mâchecroute symboliseraient donc la victoire des forces divines sur celles de l'Apocalypse[12].

Pour le géographe Philippe Reyt, ces diverses représentations auraient une fonction sociale liée aux risques aquatiques. Elles « seraient une image profane de l'eau vive destinée à illustrer le comportement de celle-ci et à entretenir la conscience de la crue au sein de la société, tout en exorcisant l'angoisse de cette dernière par la fête et le masque »[13].

D'après l'enquête ethnographique de Charles Joisten en Isère et en Savoie dans les années 1950-1960, la Mâchecroute, peut également être présentée comme un « croquemitaine », aquatique ou non, dévorant préférentiellement les enfants[14]. Sa fonction était alors plutôt d'effrayer les enfants pour s'assurer de leur obéissance en général, et plus particulièrement pour les tenir éloignés de dangers potentiels, en particulier « celui de l'eau, avec les rivières, les torrents, les puits et les mares »[15].

Le géographe Jacques Béthemont rapproche la Mâchecroute de la Tarasque de Tarascon ou de la Gargouille de Rouen[16].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Louis Pierre Gras, Dictionnaire du patois forézien, Auguste Brun, (lire en ligne), p. 93 :

    « Le mâche-croûte est le mannequin de carnaval que l'on promenait jadis. C'est le mardi-gras actuel que nous avons tous vu jeter au Rhône, et qui était, avec Jean-de-Bavière, le grand épouvantail des enfants. On portait autrefois Mâche-Croûte au bout d'un bâton doré (...) »

  2. Alice Joisten et Christian Abry, « Les croquemitaines en Dauphiné et Savoie : l'enquête Charles Joisten », Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, vol. 26, no 2,‎ , p. 21–56 (DOI 10.3406/mar.1998.1662, lire en ligne, consulté le )
  3. a et b Ludivine Caporal, « Lyon. Connaissez-vous la légende de la Mâchecroute, ce monstre qui se cache dans le Rhône ? », sur actu.fr, (consulté le )
  4. François Rabelais, Œuvres complètes, t. 2 : Le Tiers Livre, Le Quart Livre, Paris, Alphonse Lemerre, (1re éd. 1552) (lire sur Wikisource), « De la ridicule statue appellee Manduce : & comment, & quelles choses sacrifient les Gastrolatres a leur Dieu Ventripotent », p. 476-479
  5. a et b Claire Tisseur, Le Littré de la Grand’Côte, Chez l’imprimeur juré de l’académie, , 3e éd. (lire sur Wikisource), p. 216
  6. Florent Deligia, « Le Mâchecroute, monstre oublié du carnaval de Lyon, dragon des crues », sur Lyon Capitale, (consulté le )
  7. Anne-Catherine Marin, « Les Lyonnais face aux caprices du climat depuis le Moyen Âge : un projet de médiation des Archives de Lyon (octobre 2012-mars 2013) », Gazette des archives, vol. 230, no 2,‎ , p. 139–146 (DOI 10.3406/gazar.2013.5035, lire en ligne, consulté le )
  8. La rédaction, « Les animaux légendaires de Lyon : la Mâchecroute », sur Tribune de Lyon, (consulté le )
  9. Annie Cazenave, « Monstres et merveilles », Ethnologie française, vol. 9, no 3,‎ , p. 236 (ISSN 0046-2616, lire en ligne, consulté le ) :

    « Les monstres marins se trouvent à la fois dans la Bible, la mythologie et le folklore. »

  10. Annie Cazenave, « Monstres et merveilles », Ethnologie française, vol. 9, no 3,‎ , p. 235 (ISSN 0046-2616, lire en ligne, consulté le ) :

    « Ces géants aquatiques sont les monstres primordiaux vaincus par Yahvé : Behemoth, Rahab; le Léviathan et le Dragon qui est dans la mer. Ceux qu'en mettant en ordre le chaos originel, il a maintenus dans les eaux de l'abîme. Enormes animaux mythiques, prisonniers comme la matière sauvage, ils rappellent un perpétuel danger cosmique et leur irruption, prédite par l'Apocalypse, signifiera la fin des temps. »

  11. Annie Cazenave, « Monstres et merveilles », Ethnologie française, vol. 9, no 3,‎ , p. 236 (ISSN 0046-2616, lire en ligne, consulté le ) :

    « L'image totalisante du Dragon résume tous les aspects terrifiants de la nuit, du noir, de l'ombre et de la fatalité aquatique. Il émane d'eaux mortuaires : celui de l'Apocalypse sera jeté dans le puits de l'abîme et lié pour mille ans. C'est l'archétype du destin, lié à l'eau qui coule irrévocablement, à la dissolution finale du corps. Le symbole biblique que retrouvent ici les représentations populaires, les dracs, les « cocodrilles » et « coquatrix » des campagnes, le Mâchecroûte lyonnais, la Coulobre cachée dans la Fontaine de Vaucluse, les gargouilles des cathédrales, la Tarasque provençale, en définitive, que Gervais de Tilbury classe très naturellement dans la « très mauvaise espèce du Léviathan ». »

  12. Annie Cazenave, « Monstres et merveilles », Ethnologie française, vol. 9, no 3,‎ , p. 236 (ISSN 0046-2616, lire en ligne, consulté le ) :

    « Mais ce serpent vorace des gouffres, cet animal infernal qui hante les eaux souterraines a été vaincu par le christianisme. Comme le Christ ressuscité, l'Ange de l'Apocalypse est victorieux; à leur image, les saints, successeurs des héros, délivrent des monstre. Le dragon est transpercé par saint Michel, ligoté par sainte Marthe, domestiqué par saint Marcel, enchaîné par saint Véran d'une chaîne de fer, et la bête subjuguée est devenue mannequin d'osier à amuser la foule en carnaval. »

  13. Philippe Reyt, « Les dragons de la crue », Cahiers de géographie du Québec, vol. 44, no 122,‎ , p. 127–145 (ISSN 0007-9766 et 1708-8968, DOI 10.7202/022899ar, lire en ligne, consulté le )
  14. Alice Joisten et Christian Abry, « Les croquemitaines en Dauphiné et Savoie : l'enquête Charles Joisten », Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, vol. 26, no 2,‎ , p. 41 (DOI 10.3406/mar.1998.1662, lire en ligne, consulté le ) :

    « La mâchecroute-En Savoie, la maçhecrao, fait du bruit la nuit et s'apprête à dévorer les enfants qui sortent (73 Beaune, Valmeinier). En Isère, c'est un croquemitaine aquatique. La maçhicruta est une bête qui attire les enfants au fond des puits et des serves ou étangs (38 Four). Autre forme à Four et à Roche, moçhicruta. Ce croquemitaine est donc bien connu dans le Nord-Isère (Talon, 1981, p. 352). Il est célèbre comme mannequin du carnaval de Lyon depuis Rabelais. »

  15. Alice Joisten et Christian Abry, « Les croquemitaines en Dauphiné et Savoie : l'enquête Charles Joisten », Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, vol. 26, no 2,‎ , p. 22 (DOI 10.3406/mar.1998.1662, lire en ligne, consulté le ) :

    « Nous parlerons ici essentiellement du volet enfantin des nominations et narrations de mise en garde utilisées. Celles-ci répondaient à deux soucis essentiels. Le principal était de tenir les enfants éloignés des dangers dont ils se trouvaient environnés, dans une société où il était difficile aux parents d'exercer la surveillance de tous les instants qui s'impose quand l'enfant est petit, et de le protéger autant qu'il le faudrait. A ce souci de protection s'ajoutait - en quelque sorte sur la lancée — celui plus large d'obtenir que l'enfant se comporte bien, qu'il soit obéissant : se laisse coiffer-épouiller, mange sa soupe, ne pleure pas, qu'il rentre à la maison le soir venu, fasse sa prière, et ne mente pas... Le danger le plus présent dans les sociétés rurales est celui de l'eau, avec les rivières, les torrents, les puits et les mares, surtout quand on sait à quel point cet élément attire les enfants Les croquemitaines de loin les plus nombreux sont donc ceux qui les en tiennent écartés. »

  16. Jacques Bethemont, « L’eau s’écrit à tous vents », Géocarrefour, vol. 88, no 1,‎ , p. 67 (ISSN 1627-4873 et 1960-601X, DOI 10.4000/geocarrefour.8916, lire en ligne, consulté le )

Articles connexes[modifier | modifier le code]