Apocope
Une apocope, du grec apokoptein (« retrancher »), est une modification phonétique, parfois utilisée comme figure de style, qui se caractérise par la suppression de phonèmes ou de syllabes (vocaliques ou consonantiques) en fin de mot[1], par exemple « auto » pour « automobile ». On notera que l’apocope est le processus proprement dit (dans l’exemple précédent, la chute de « -mobile ») tandis que le résultat de l’apocope (ici, « auto ») est une abréviation[2].
Elle peut être employée sciemment pour oraliser un discours ou pour brouiller le message dans un but esthétique particulier. Elle est proche de l'élision, de l'ellipse, et de l'abréviation et contribue à la formation de néologismes.
Exemples en français contemporain
- appli pour application
- archi pour architecte ou architecture
- auto pour automobile
- bi pour bisexuel
- ciné pour cinéma[3]
- clim pour climatisation
- coloc pour colocation ou colocataire
- dactylo pour dactylographe
- dermato pour dermatologue
- flag pour flagrant délit[4]
- gastro pour gastro-entérite
- homo pour homosexuel
- kiné pour kinésithérapeute
- lino pour linoleum
- maths pour mathématiques
- météo pour météorologie
- métro pour métropolitain
- micro pour microphone
- moto pour motocyclette
- ophtalmo pour ophtalmologue
- pédé pour pédéraste
- photo pour photographie
- pneu pour pneumatique
- prof pour professeur
- pub pour publicité
- sous-off pour sous-officier
- stylo pour stylographe
- télé pour télévision ou téléobjectif[5]
- trans pour transsexuel
- transat pour transatlantique
- vélo pour vélocipède
Définition
Définition linguistique
En phonétique, une apocope est l'amuïssement d'un ou plusieurs phonèmes en fin d'un mot : elle s'oppose à l'aphérèse. L'élision est une sous-catégorie de l'apocope, elle-même sous-catégorie du métaplasme. Bien que procédé phonétique à l'origine, l'apocope permet néanmoins des effets de style qui permettent de la catégoriser, dans son aspect d'écart par rapport à la norme linguistique admise, dans la classe des figures de style (les romantiques l'ont ainsi utilisée pour railler les règles poétiques figées des siècles précédents). Michel Pougeoise la classe ainsi parmi les figures de diction, comme l'aphérèse et la syncope, et dont la figure mère est le métaplasme ou altération de mot[6].
L'élision est un type particulier d’apocope.
Définition stylistique
L'apocope est très fréquente à l'oral en raison de l'usage des locuteurs qui tendent à ne pas prononcer la fin des mots ; dans cette acception, elle est un mécanisme original de création de mots nouveaux et de néologismes (voir les exemples ci-dessus)
L'argot a très souvent recours à l'apocope qui permet une souplesse de la langue indéniable dans des situations de communication où le principe d'économie prime « C'est une cata » (pour « C'est une catastrophe »).
Elle sert surtout à l'écrit pour guider le lecteur à prononcer les mots, ce qui permet au poète notamment de diriger et conditionner la réception de son texte, sur un rythme particulier par exemple comme dans Chanson à boire d'Alfred Jarry :
« C’est un’ vraie dégoûtation/ [...] Tout’ notre vénération »
L'apocope peut être classée selon son utilisation stylistique ; on distingue en effet :
- les apocopes intégrées : radio a donné par usage : « radiodiffusion », « radiographie », « radiophonie », « radiométrie », etc. Elles concernent alors soit une syllabe : colon pour « colonel », ciné pour « cinéma », soit plusieurs syllabes : prof pour « professeur », sous-off pour « sous-officier » ;
- l'apocope populaire : champ pour le « champagne », accro pour « accroché » ;
- l'apocope dans les noms propres : Fred pour « Frédérique » ;
- l'apocope dans la chanson : usage stylistique destiné à permettre une meilleure prononciation ou éviter des sonorités déplaisantes le « pauv hom il est accro » ;
- l'apocope dans les abréviations : à l'origine des acronymes : Goulag pour la définition russe de « Glavnoïe Oupravlénié Lagérieï » ou « Administration principale des camps de travail disciplinaires » ;
- l'apocope dans le verlan ou dans l'argot : cata pour « catastrophe », dej pour « déjeuner », etc.
Genres concernés
En littérature, l'apocope est majoritairement employée pour mimer la langue orale et ainsi constituer des dialogues réalistes comme dans Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline : « t’ » pour « tu » comme dans « t’as raison ».
En poésie par ailleurs, son usage contribue à étendre le phénomène de connotation et de ressources symboliques. Très utilisée par les surréalistes pour qui la langue doit être déconstruite afin de parvenir à un langage primitif, l'apocope a donné lieu à des poèmes où le sens est à reconstruire, comme dans les Exercices de style de Raymond Queneau, article apocope :
« Je mon dans un aut plein de voya. Je remar un jeu hom dont le cou é sembla à ce de la gira et qui por un cha a un ga tres... »
De nombreux poètes ont su utiliser l'apocope pour donner une dimension pseudo-archaïque à leurs vers, et ainsi donner plus de place à l'interprétation et à la réception du sens par le récepteur.
Historique de la notion
Originellement, l'apocope désigne, en poésie, la suppression du e final non élidable en fin de vers ; opération qui se pratiquait à l'hémistiche sous le nom de césure épique. Cette règle disparut à l'âge classique. Le recours à l'apocope revint néanmoins au XIXe siècle avec le genre du vers libre, de manière à traduire la prononciation naturelle (élision).
Pour Brunot (La Pensée et la langue), l'apocope est semblable à l'abrègement, mécanisme de formation de mots nouveaux par opération sur le morphème.
Pour Jean Mazaleyrat et Georges Molinié, l’apocope se définit comme « la disparition, en fin de mot, d’un e caduc non élidable : « comm(e) lui » » (Vocabulaire de la stylistique).
Notes et références
- Apocope n. f. Sur le site lettres.org
- [1]
- lui-même apocope de cinématographe
- Le lexique du policier, police.naturalforum.net
- Il a vu des images prises au télé à la télé.
- L'apocope Sur le site monsu.desiderio.free.fr
Voir aussi
Articles connexes
- Relâchement articulatoire
- Métaplasme,
- Liste des modifications phonétiques
- Synonymes : élision, amuïssement, Syncope (linguistique)
- Antonymes : aphérèse
Lien externe
- Pierre Pellegrin (dir.) et Myriam Hecquet-Devienne, Aristote : Œuvres complètes, Éditions Flammarion, , 2923 p. (ISBN 978-2081273160), « Réfutations sophistiques », p. 457.
- Quintilien (trad. Jean Cousin), De l'Institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Budé Série Latine », , 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8).
- Antoine Fouquelin, La Rhétorique françoise, Paris, A. Wechel, (ASIN B001C9C7IQ).
- César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, (réimpr. Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux), 362 p. (ASIN B001CAQJ52, lire en ligne).
- Pierre Fontanier, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, (ISBN 2-0808-1015-4, lire en ligne).
- Patrick Bacry, Les Figures de style et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », , 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8).
- Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », , 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1).
- Catherine Fromilhague, Les Figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2010 (1re éd. nathan, 1995), 128 p. (ISBN 978-2-2003-5236-3).
- Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », , 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6).
- Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, , 228 p., 16 cm × 24 cm (ISBN 978-2-2002-5239-7).
- Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Premier cycle », , 256 p., 15 cm × 22 cm (ISBN 2-1304-3917-9).
- Hendrik Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, , 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6).
- Groupe µ, Rhétorique générale, Paris, Larousse, coll. « Langue et langage », .
- Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, , 218 p. (ISBN 2-200-26457-7).
- Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Le Livre de poche, , 475 p. (ISBN 978-2-253-06745-0).