Haine

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La haine est un sentiment personnel de détestation, d'hostilité ou d'exécration très forte à l'égard de quelque chose ou de quelqu'un[1]. Elle peut conduire à des comportements ou des actes malveillants, voire à commettre des assassinats.

Définitions

En philosophie

Dans la philosophie aristotélicienne puis chrétienne, la haine est vue comme un vice[2]. Dans sa Rhétorique, Aristote définit la haine comme une forme d'hostilité dont l'objet est un groupe de gens, au contraire de la colère qui concerne des individus: il donne l'exemple de la haine envers les voleurs que selon lui tout le monde ressent sans avoir besoin d'être concerné personnellement[2]. Par la suite, dans l'épître aux Romains, Paul de Tarse enjoint aux judéo-chrétiens de ne pas haïr leurs oppresseurs, car cela serait mal[2].

En 1826, William Hazlitt publie sa collection d'essais Du plaisir de haïr, dans lesquels il fait valoir entre autre que les enfants, les femmes, les idiots et les moralistes seraient plus enclins à traduire leur haine en actions que lui et ses pairs[2].

Le philosophe espagnol José Ortega y Gasset définit la nature de la haine ainsi :

« Haïr, c'est tuer virtuellement, détruire en intention, supprimer le droit de vivre. Haïr quelqu'un, c'est ressentir de l'irritation du seul fait de son existence, c'est vouloir sa disparition radicale. »

Il précise ses modalités : « La haine sécrète un suc virulent et corrosif. […] La haine est annulation et assassinat virtuel — non pas un assassinat qui se fait d'un coup ; haïr, c'est assassiner sans relâche, effacer l'être haï de l'existence[3]. »

En psychologie

En psychanalyse

La psychanalyste Marie-Claude Defores considère la haine comme une force délibérément déstructurante et déshumanisante, arme principale de la perversion : « Il est important de distinguer l'agressivité, qui est une pulsion de vie, de la haine, qui est une force de dépersonnalisation… La haine peut prendre les formes les plus socialisées ; elle refuse le nouveau, tourne vers le passé, produit la répétition et dépersonnalise[4]. »

Allant dans le même sens, Heitor de Macedo affirme :

« La haine n'attrape pas la vérité, elle l'enserre à l'intérieur d'une pensée immobile où plus rien n'est transformable, où tout est pour toujours immuable : le haineux navigue dans un univers de certitudes[5]. »

Pour le psychanalyste Pierre Delaunay, « celui qui hait dénie toute existence à l'objet de sa haine ; au point de la supprimer si elle se manifeste moindrement. […] Il pétrifie l'autre en sorte qu'il n'existe que très peu et, si ce n'est pas suffisant, il le tue. L'existence de l'autre, il n'en veut rien savoir »[6].

Saverio Tomasella confirme l'ensemble de ces constats cliniques. Il relie la haine au fantasme, notamment aux fantasmes sociaux de « normalité ». La haine est un puissant moteur de « réussite sociale » et de prise de pouvoir, à l'œuvre autant dans les entreprises, que dans les institutions religieuses et les partis politiques. « L'un des principaux leviers de la haine concerne la condamnation sans appel, comme une assignation d’identité. L'accusation qui annule l’autre sous-entend : je sais qui tu es ; je dis que tu ne vaux rien, tu ne vaux rien. » Le discours haineux tue ; il n’est pas une parole mais un acte destructeur[7].

Pour les psychanalystes Marie-Claude Defores et Yvan Piedimonte, la haine s'impose de façon déguisée :

« Elle ne peut être perçue qu’à partir de l’impact de son intention sur l’âme résonnant dans l’intériorité sous forme de sensations et d’images comme le froid, le figé, l’immobilisation, la pétrification, ce qu’illustre le rêve. La haine, monde de la négation de l’âme, exclut ce qui en est son expression, le sentiment, et empêche la manifestation de ses qualités : mobilité, chaleur et liberté[8]. »

À ce titre, il est possible de définir la haine comme la négation radicale d'une personne. Elle correspond à l'intention de détruire l'autre, en l'attaquant dans son être et son humanité.

En littérature, chez Balzac, la cousine Bette passe sa vie à chercher à détruire une famille. Bette meurt en gardant « le secret de sa haine ».

Un prétexte fréquent donné à la haine est d'accuser la partie adverse d'en être elle-même animée. En tant qu'accusation, elle est en ce sens un outil de manipulation des masses. George Orwell en donne un exemple avec le personnage de Goldstein dans 1984, que le régime utilise pour dériver vers un autre objet que lui le mécontentement de sa population.

Expressions

Avoir la haine

  • « Avoir la haine » est une expression argotique récente, un idiomatisme[9] calquée sur « Avoir la rage »[pas clair], qui remplace « Avoir de la haine pour », et qui fait de la haine un état de conscience sans objet.
    L'expression désigne un sentiment, un état de fureur (froide ou incontrôlable), généralement apparue chez une personne ou un groupe qui s'est senti(e) fortement blessée par un acte ou une situation dont il/elle attribue la cause à la personne (la société, un groupe, une catégorie de la population, le clan adverse…) cible de cette « haine ».

Haine de soi

La « haine de soi » est un état psychologique et une expression désignant un sentiment souvent éprouvé par les minorités souffrantes[10] et stigmatisées (physiquement, socialement, psychiquement…) par une maladie héréditaire ou contagieuse, par une couleur de la peau, les suites d'un accident, une situation de stress post-traumatique…)[11]. Ce type de marginalisations subies peut déclencher une souffrance, une culpabilité ou de la honte, et chez l'autre, de la pitié ou du mépris alimentant une haine de soi (qui, selon Alberto Eiguer (2013), est à la fois une conséquence et un facteur aggravant[12] qui peut conduire à étendre la haine de soi à la haine de son héritage familial, historique, culturel…)[11].

La haine de soi (pour une personne ou un groupe) peut être résolue par une réconciliation avec soi-même et les siens (pouvant conduire à une estime de soi[13] retrouvée) ou sinon, la personne peut tenter de gommer ce qui est ressenti comme stigmage, pour diminuer la différence ressentie, avec par exemple :

  • faire appel à la chirurgie esthétique et/ou réparatrice[11] ;
  • blanchir sa peau chez une personne d’origine asiatique, afro-antillaise, africaine ou arabe, et/ou lisser des cheveux naturellement crépus, et/ou autres modifications de l’apparence[11] ;
  • abandonner des pratiques culturelles, une religion (ou se convertir à une autre religion, non stigmatisante dans le contexte)[11] ;
  • s'approprier des arguments racistes à l’encontre de sa singularité[11] ;
  • réduire sa différence à un seul trait, au détriment des autre[11] ;
  • adoption d’une position en faux-self[11].

L'expression a été utilisé par Théodore Lessing (1930) dans l'entre-deux-guerres à propos d'une catégorie de personnes juives exprimant un rejet ou un aversion, voire simplement une position critique, à l'égard du judaïsme, de la culture juive, ou des aspirations politiques juives de l'époque (voir Haine de soi juive)[14]. C'est ainsi que Paul Giniewski a sous titré sa biographie critique de la philosophe Simone Weil « ou la haine de soi »[15].

Notes et références

  1. Dictionnaire de la langue française Le Littré, 2010.
  2. a b c et d Kurt 2023.
  3. J. Ortega y Gasset, Études sur l'amour (1926), Payot, 2004, p. 38-41.
  4. M.-C. Defores, Le Chemin de connaissance, CVR, Gretz, 2005, p. 39.
  5. H. O'Dwyer de Macedo, Lettres à une jeune psychanalyste, Stock, 2008, p. 340.
  6. P. Delaunay, Les Quatre Transferts, Fédération des ateliers de psychanalyse, 2011, p. 318.
  7. S. Tomasella, Le Sentiment d'abandon, Eyrolles, 2010, p. 92.
  8. M-C Defores, Y. Piedimonte, La Constitution de l'être, Bréal, 2009, p. 150.
  9. (en) « Saillance scalaire et métalangue sémantique naturelle: le sentiment haine en contexte linguistique et cognitif », Études romanes de Brno, Digital Library of the Faculty of Arts Masaryk University,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. Joëlle Allouche-Benayoun, Esther Benbassa, Jean-Christophe Attias (éds.), La haine de soi. Difficiles identités, (ISSN 0335-5985, DOI 10.4000/assr.2512, lire en ligne), p. 53–158.
  11. a b c d e f g et h Alberto Eiguer, « Le stigmate et la haine de soi », Le Divan familial, vol. 31, no 2,‎ , p. 71–84 (ISSN 1292-668X, DOI 10.3917/difa.031.0071, lire en ligne, consulté le ).
  12. Lionel Lacaze, Le stigmate : une « seconde maladie » ?, (ISSN 1152-3336, DOI 10.3917/empa.087.0121, lire en ligne), chap. 87, p. 121–131.
  13. Enguerran Macia, Gilles Boëtsch et Nicole Chapuis-Lucciani, Relations entre l’estime de soi et l’état de santé « objectif » des aînés, vol. 20, (ISSN 0037-8984, DOI 10.4000/bmsap.6154, lire en ligne).
  14. Théodore Lessing, La Haine de soi, ou le refus d'être Juif, 1930.
  15. Paul Giniewski, Simone Weil, ou la Haine de soi, Paris, Berg international.

Voir aussi

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Bibliographie

Articles connexes

Liens externes