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Puis, vers 22 heures, après être rentré chez lui et avoir reçu un message, Jean Chrétien rejoint au téléphone le ministre des Relations intergouvernementales de la Colombie-Britannique, [[Garde Gardom|Garde Basil Gardom]], qui lui confirme qu’au moins cinq provinces du Groupe des huit en plus de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick se sont mises d’accord avec les propositions sur la formule d’amendement de Vancouver sans la compensation fiscale et sur toute la charte des droits avec la [[Article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés|disposition dérogatoire]] et la promotion sociale de Terre-Neuve sur la mobilité de la main-d’œuvre pour une province dont le taux d’emploi est inférieur à la moyenne nationale. L’Alberta, le Manitoba et le Québec étaient les trois seules provinces qui ne semblaient pas complètement acquises à l'entente. Ainsi, les provinces pouvaient continuer de discuter entre elles des détails sans toutefois remettre l'entente globale en jeu qui devient alors la proposition Peckford, en l'honneur du premier ministre [[Brian Peckford]] de Terre-Neuve qui a joué un certain rôle dans ces négociations. Ce n'est que le lendemain matin que l'Alberta, le Manitoba et le fédéral acceptent définitivement l'entente. Peu après, [[René Lévesque]], qui avait complètement été délaissé des négociations, apprend la nouvelle de la proposition Peckford au petit déjeuner des premiers ministres du Groupe des huit à l'[[Château Laurier|hôtel Château Laurier]], s'objecte et refuse de donner son accord<ref>{{Article |prénom1=Louis M. |nom1=Imbeau |lien auteur1=Louis M. Imbeau| titre=Claude Morin, Lendemains piégés. Du Référendum à la Nuit des longs couteaux |périodique=Recherches sociographiques |volume=31 |numéro=1 |date=1990 |issn=0034-1282 |issn2=1705-6225 |doi=10.7202/056487ar |lire en ligne=http://dx.doi.org/10.7202/056487ar |consulté le=2019-11-28 |pages=85 }}</ref>.
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Pourtant, René Lévesque n’est pas mis devant le fait accompli avec cette proposition d’entente. À ce moment-là, René Lévesque a encore la possibilité de discuter de cette proposition avec les autres premiers ministres avant la fin de la séance du Groupe des huit afin d’en améliorer son contenu. Il aurait pu faire des compromis et des propositions pour améliorer ce qui allait devenir une entente formelle. Mais René Lévesque n’a pas proposé de modifications.


Finalement, la proposition Peckford est présentée à la séance du matin de la conférence constitutionnelle et, après quelques modifications mineures, l'Accord constitutionnel du 5 novembre 1981 est signé à Ottawa par le gouvernement fédéral et une majorité de gouvernements provinciaux pour comprendre notamment le rapatriement de la [[Constitution du Canada]], la formule de Vancouver du 16 avril 1981 sans la pleine compensation financière en cas de retrait, la charte des droits et libertés avec une [[Article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés|disposition de dérogation]], la péréquation et les inégalités régionales, ainsi que les ressources naturelles non renouvelables, les ressources forestières et l’énergie électrique.
Finalement, la proposition Peckford est présentée à la séance du matin de la conférence constitutionnelle et, après quelques modifications mineures, l'Accord constitutionnel du 5 novembre 1981 est signé à Ottawa par le gouvernement fédéral et une majorité de gouvernements provinciaux pour comprendre notamment le rapatriement de la [[Constitution du Canada]], la formule de Vancouver du 16 avril 1981 sans la pleine compensation financière en cas de retrait, la charte des droits et libertés avec une [[Article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés|disposition de dérogation]], la péréquation et les inégalités régionales, ainsi que les ressources naturelles non renouvelables, les ressources forestières et l’énergie électrique.

Version du 31 octobre 2023 à 19:30

Le rapatriement de la Constitution du Canada (en anglais : patriation) est le processus par lequel le Canada est devenu apte à modifier lui-même sa Constitution, sans l'accord du Royaume-Uni. Le rapatriement s'est effectué en 1982 par la sanction royale de la Loi de 1982 sur le Canada le 29 mars 1982 et par la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982 le 17 avril 1982 par la reine Élisabeth II, consacrant la souveraineté totale du Canada.

Le processus du rapatriement s'est effectué sur plusieurs décennies. C'est toutefois sous l'impulsion du premier ministre Pierre Elliott Trudeau dans les années 1970 et 1980 que le projet s'est concrétisé. En octobre 1980, Trudeau souhaitait d'abord demander, sans l'autorisation des gouvernements provinciaux, au Parlement du Royaume-Uni de rapatrier la Constitution canadienne. Toutefois, la Cour suprême du Canada, dans la décision Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, a statué qu'un degré substantiel d'appui des provinces était nécessaire avant que le gouvernement fédéral puisse demander au Royaume-Uni de modifier la Constitution. À la suite de cette décision, le gouvernement fédéral entreprit des négociations afin de convaincre les provinces d'adhérer au rapatriement. Les négociations aboutirent à la Nuit des Longs Couteaux où toutes les provinces, à l'exception du Québec, ont conclu un accord pour procéder au rapatriement.

En plus de la possibilité de modifier la Constitution du Canada sans l'accord du Royaume-Uni, le rapatriement contenait aussi l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés au sein de la Constitution. Cette dernière était la source principale du refus du rapatriement pour les provinces en raison de son champ d'application très large.

Contexte

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867

Le Canada a été fondé par l'Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Cette loi étant britannique, seul le Parlement du Royaume-Uni possédait le pouvoir de la modifier. Toutefois, à cette époque les revendications canadiennes sur le sujet ne se font pas encore réellement entendre.

Statut de Westminster de 1931

Après la Première Guerre mondiale, le Canada gagne de plus en plus d'autonomie et le premier ministre William Lyon Mackenzie King réclame que le Royaume-Uni reconnaisse cette plus grande souveraineté. Londres se rend compte de la situation et veut ajuster les lois et la situation réelle du Canada[1]. Ainsi, en 1926, lors de la Conférence impériale, a lieu la déclaration Balfour. La situation se répète lors de la Conférence impériale de 1930. Ces conférences mèneront ultimement au Statut de Westminster de 1931. Dès lors, les lois canadiennes gagnent en importance puisque celles-ci ne peuvent plus être désavouées par le gouvernement de Londres. De plus, le Statut de Westminster accorde au Canada une plus grande autonomie sur la scène internationale. C’est le premier ministre qui nommera désormais le gouverneur général. Toutefois, le droit d’appel au Conseil privé de Londres sera toujours présent. Celui-ci sera aboli en 1949[2]. Bien que le Statut de Westminster soit une évolution considérable en termes d’autonomie, il y a toujours le problème de la modification de la Constitution. La Constitution du Canada est toujours une loi britannique, ce qui rend toutes modifications impossibles par les Canadiens. Dans les années suivantes, l’idée du rapatriement gagne en popularité. Au début des années 1930, le premier ministre Richard Bedford Bennett doit faire face à la crise économique et souhaiterait obtenir davantage de pouvoirs. Cependant, le projet est loin de se concrétiser et l’idée prendra de l’ampleur beaucoup plus tard.

Les premières tentatives

Fulton-Favreau 1961-1964

Bien que la plupart des Canadiens soient en accord avec le rapatriement de la Constitution, trouver une formule de modification est périlleux[2]. La formule Fulton-Favreau est la première tentative qui passe près du but. La formule offre un cadre pour les modifications futures. Lorsque des modifications touchent les pouvoirs fédéraux ou l’ensemble des provinces, il faut l’unanimité des gouvernements. Dans le cas où une modification touche d’autres aspects, la formule requiert l’accord des 2/3 des provinces représentant au moins 50 % de la population[3]. Au départ, la formule sera bien acceptée par les différents acteurs. Toutefois, le Québec se retirera après les nombreuses critiques nationalistes. Plusieurs sont mécontents que la formule ne donne pas un droit de veto au Québec. Cela crée de la crainte étant donné que le Québec pourrait bien se trouver en retrait si jamais les neuf autres provinces parvenaient à trouver un accord. De plus, le fait que la répartition des pouvoirs ne soit pas revue suscite un fort mécontentement chez les nationalistes. On critique également le manque de protection des droits du Québec. Tout changement de la Constitution dans le futur serait très difficile étant donné la rigidité de la formule de modification. Ainsi, on perçoit la formule comme un boulet qui empêcherait des changements dans le futur. Ayant la crainte d’une défaite à l’arrivée des élections, Jean Lesage se distance de la formule en 1966[2].

La Charte de Victoria de 1971

En 1971, une autre entente passe très près d'être conclue. L’objectif de Pierre Elliott Trudeau avec la Charte de Victoria est de rapatrier la Constitution et d’y enchâsser une charte des droits et libertés[4]. La formule d’amendement est plus souple que la formule Fulton-Favreau. Pour modifier la Constitution, il faut l’accord des deux chambres du parlement fédéral. De plus, il faut l’accord du Québec et de l’Ontario, cette particularité venant du fait que ces deux provinces ont déjà eu ou ont au moins 25 % de la population du pays[5]. Une modification requiert également l’accord d'au moins deux des quatre provinces de l’Atlantique et d’au moins deux des quatre provinces de l’Ouest, représentant 50 % de la population de l’Ouest. Le gouvernement fédéral et huit provinces se déclarent en faveur de la formule de modification. Le premier ministre du Québec à l’époque, Robert Bourassa, est initialement favorable à l’entente. Toutefois, après les critiques des nationalistes au Québec, Bourassa change sa position[2]. L’autre province refusant de donner son accord est la Saskatchewan.

Le refus du Québec a plusieurs causes. Tout d’abord, le Québec n’obtient pas avec la Charte de Victoria la primauté en matière de politique sociale comme il l’aurait souhaité. En outre, il n’y a pas de réels changements dans la répartition des pouvoirs entre le provincial et le fédéral. Finalement, il manque de la place pour l’autonomie provinciale.

Concrétisation dans les années 1980

Référendum de 1980

Après plusieurs tentatives ratées, le Québec se dirige vers le référendum de 1980. Basé sur le principe de souveraineté-association, le projet permettrait d’atteindre en quelque sorte les revendications traditionnelles du Québec dans les négociations constitutionnelles. Le a lieu le référendum sur la souveraineté du Québec. Lors de la campagne référendaire, le 14 mai 1980, Trudeau affirmera : « Je sais que je peux prendre l’engagement le plus solennel qu’à la suite d’un NON, nous allons mettre en marche immédiatement le mécanisme de renouvellement de la Constitution et nous n'arrêterons pas avant que ça soit fait[6] ». Celui-ci ajoutera également qu’un vote pour le NON n’était pas un synonyme de statu quo. Les Québécois y perçoivent une promesse de réforme politique qui accorderait aux Québécois des demandes traditionnelles. On imagine acquérir le statut de société distincte et davantage de pouvoirs pour la province. Les résultats du référendum sont en faveur du NON. À la suite du référendum, de nouvelles négociations voient le jour. Trudeau retient douze sujets pour les discussions[7]. Or, les négociations n’aboutissent à rien. En , Trudeau dévoile son projet du rapatriement. Celui-ci affirme que si les provinces ne donnent pas leur accord, il sera prêt à passer directement par le Parlement britannique[7].

La Nuit des Longs Couteaux

Après l’annonce de Trudeau sur le projet du rapatriement unilatéral, huit provinces s’allient pour former un front commun. Il s’agit alors du Groupe des huit qui se met d'accord le 16 avril 1981 sur la formule de Vancouver qui requiert en général l’accord des 2/3 des provinces représentant au moins 50 % de la population tout en accordant un droit de retrait aux provinces qui refusent de céder leurs compétences exclusives au fédéral. Toutefois, ce groupe ne reste pas soudé le troisième jour de la conférence constitutionnelle de la dernière chance, qui a débuté le 2 novembre 1981, lorsque le premier ministre René Lévesque du Québec fait volte-face sur une proposition fédérale au sujet des référendums nationaux sur la formule de modification et la charte des droits. Il faut quelques heures aux péquistes pour se rendre compte de l’erreur que leur chef avait commise. Ce dernier avait contrevenu à une règle primordiale du Groupe des huit : se consulter avant de changer de position. Il revenait ainsi sur un accord signé le 16 avril 1981 concernant la formule de modification dite de Vancouver qui exclut explicitement la disposition référendaire qu’un grand nombre de provinces jugeaient incompatible avec le système fédéral canadien. Le même jour, le , une réunion privée se tenait entre Jean Chrétien, procureur général du Canada, Roy Romanow, procureur général de la Saskatchewan, et Roy McMurtry, procureur général de l’Ontario. Les trois procureurs généraux avaient échangé quelques bribes de conversation au cours de la matinée à l’occasion d’un petit déjeuner. Jean Chrétien avait griffonné sur un napperon un compromis que Pierre Trudeau pourrait accepter. En fin d’après-midi, Jean Chrétien et Roy Romanow poursuivent leurs pourparlers discrètement dans une arrière-cuisine inoccupée du centre des conférences d’Ottawa pour discuter de quelques idées. Puis, Roy McMurtry vient les rejoindre. Une entente informelle prend forme lors d’une discussion dans une petite cuisine attenante à la salle du cinquième étage du Centre national des conférences à Ottawa. L'entente comprend notamment la charte des droits avec une disposition de dérogation et la formule d'amendement dite de Vancouver du Groupe des huit. Toutefois, la formule de Vancouver devait être légèrement modifiée pour ne pas inclure la pleine compensation financière du fédéral en cas d’exercice du droit de retrait d’une province dans tous les domaines parce que Pierre Trudeau et les néo-démocrates ne voulaient pas que les provinces riches en profitent pour se retirer d’un programme en recevant une somme d’argent au détriment des provinces plus pauvres, dont le Québec qui reçoit de la péréquation.

Cet accord sert de base pour les gouvernements du Canada, de l’Ontario et de la Saskatchewan. Il aide aussi à briser l’impasse qui existe entre le Groupe des huit et le gouvernement fédéral qui est soutenu par les gouvernements de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Jean Chrétien, principal négociateur fédéral, s’est alors engagé à convaincre Pierre Trudeau d’accepter un compromis qui comprend un droit de retrait sans la compensation financière dans la formule de modification et une disposition dérogatoire dans la charte des droits.

Vers 18 heures, les trois hommes sont assez avancés sur le compromis pour rédiger des textes et avoir une entente générale entre eux.

Tout à la fin de l’après-midi, le premier ministre Allan Blakeney de la Saskatchewan est mis au courant de l’accord par son procureur général Roy Romanow. Lorsque la conférence formelle est ajournée vers 18 h 30, il invite certains de ses collègues du Groupe des huit à se réunir en privé le soir dans sa suite de l'hôtel Château Laurier d'Ottawa pour discuter et élaborer un compromis acceptable basé sur cet accord. Les premiers ministres qui faisaient partie du Groupe des huit premiers ministres dissidents avec René Lévesque crurent que celui-ci se dissociait du groupe et qu’il les libérait de leur front commun parce qu’il avait accepté rapidement sans les consulter la proposition de référendum du fédéral. Ainsi, pour les sept autres provinces dissidentes, ce fut comme si René Lévesque avait conclu un accord avec Pierre Trudeau et elles aussi s'empressèrent de parlementer avec le « fédéral » de peur d’être mises de côté lors d’une éventuelle entente.

Le soir du 4 novembre, le procureur général de l’Ontario, Roy McMurtry, le procureur général de la Saskatchewan, Roy Romanow, et le secrétaire aux relations fédérales-provinciales du Cabinet fédéral, Michael Kirby, qui est l’architecte de la stratégie fédérale en matière constitutionnelle, se trouvent d’ailleurs dans la suite du premier ministre William Davis de l’Ontario à l’hôtel Four Seasons pour améliorer l’accord. Avant 20 heures, les tractations se sont faites entre le fédéral et les provinces de l'Ontario et de la Saskatchewan seulement. Ces provinces devaient à leur tour discuter et informer les autres provinces plus récalcitrantes.

Vers 21 h 30, le premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, se trouve à sa résidence officielle au 24, promenade Sussex à Ottawa en compagnie de certains de ses ministres dont Jean Chrétien. Le téléphone sonne et c’est le premier ministre de l'Ontario, William Davis, au bout du fil qui l’informe de l'accord possible d'une majorité de provinces en lui demandant de renoncer à un référendum national et d'accepter une nouvelle proposition incluant la formule de modification du 16 avril 1981 du Groupe des huit provinces dissidentes sans la compensation financière en échange de la charte des droits et libertés comprenant une disposition de dérogation restreinte à certains droits qui ne sont pas linguistiques notamment. L’Ontario renonçait ainsi à son droit de veto comme l’avait fait le Québec le 16 avril 1981 et acceptait de ce fait la nouvelle proposition du ministre fédéral de la Justice négociée à la fin de l’après-midi avec les procureurs généraux de l’Ontario et de la Saskatchewan. Cet accord accepté par l’Ontario, qui s’occuperait d’en informer le Nouveau-Brunswick, et la Saskatchewan, qui s’était chargée d’en informer la plupart des autres provinces dissidentes, a eu pour effet de faire changer la position du premier ministre du Canada puisque le premier ministre de l’Ontario lui adressait une forme d’ultimatum. Suite à cet appel, Pierre Trudeau demande alors à Jean Chrétien d’aller se rendre compte de ce nouvel accord et lui annonce qu’il pense être d’accord lui aussi s’il y a une majorité de provinces représentant la majorité de la population mais qu’il dormira là-dessus.

Puis, vers 22 heures, après être rentré chez lui et avoir reçu un message, Jean Chrétien rejoint au téléphone le ministre des Relations intergouvernementales de la Colombie-Britannique, Garde Basil Gardom, qui lui confirme qu’au moins cinq provinces du Groupe des huit en plus de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick se sont mises d’accord avec les propositions sur la formule d’amendement de Vancouver sans la compensation fiscale et sur toute la charte des droits avec la disposition dérogatoire et la promotion sociale de Terre-Neuve sur la mobilité de la main-d’œuvre pour une province dont le taux d’emploi est inférieur à la moyenne nationale. L’Alberta, le Manitoba et le Québec étaient les trois seules provinces qui ne semblaient pas complètement acquises à l'entente. Ainsi, les provinces pouvaient continuer de discuter entre elles des détails sans toutefois remettre l'entente globale en jeu qui devient alors la proposition Peckford, en l'honneur du premier ministre Brian Peckford de Terre-Neuve qui a joué un certain rôle dans ces négociations. Ce n'est que le lendemain matin que l'Alberta, le Manitoba et le fédéral acceptent définitivement l'entente. Peu après, René Lévesque, qui avait complètement été délaissé des négociations, apprend la nouvelle de la proposition Peckford au petit déjeuner des premiers ministres du Groupe des huit à l'hôtel Château Laurier, s'objecte et refuse de donner son accord[8].

Finalement, la proposition Peckford est présentée à la séance du matin de la conférence constitutionnelle et, après quelques modifications mineures, l'Accord constitutionnel du 5 novembre 1981 est signé à Ottawa par le gouvernement fédéral et une majorité de gouvernements provinciaux pour comprendre notamment le rapatriement de la Constitution du Canada, la formule de Vancouver du 16 avril 1981 sans la pleine compensation financière en cas de retrait, la charte des droits et libertés avec une disposition de dérogation, la péréquation et les inégalités régionales, ainsi que les ressources naturelles non renouvelables, les ressources forestières et l’énergie électrique.

Rapatriement de la Constitution en 1982

Le rapatriement de la Constitution du Canada a finalement lieu le 17 avril 1982. La Charte canadienne des droits et libertés est enchâssée dans la Constitution, comme Trudeau avait tenté de le faire en 1971 avec la Charte de Victoria. La Charte canadienne des droits et libertés aura une incidence considérable sur la politique canadienne. En effet, on assiste à une augmentation des pouvoirs des juges[5]. C’est le rôle de la Cour suprême du Canada d’interpréter en dernier ressort la charte. La Cour sera très active dans ce domaine, plusieurs lois québécoises seront contestées en raison de la nouvelle charte, dont la Charte de la langue française. Certaines critiques verront le jour en raison de cette augmentation du pouvoir judiciaire. Plusieurs considèrent que le fait d’être nommé plutôt qu’être élu pour les acteurs qui interprètent la charte va à l’encontre du principe démocratique.

Le rapatriement inclut également un droit de retrait avec une compensation financière en matière d'éducation ou dans d'autres domaines culturels. Ce droit de retrait donne la capacité aux provinces de se retirer d’un programme fédéral qui touche les compétences provinciales. Toutefois, c’est seulement en éducation et en culture que le retrait sera facilement possible à cause de la compensation financière obligatoire.

Ce rapatriement marque une rupture dans la politique canadienne, car on passe d’une vision dualiste, où il y a deux peuples fondateurs, à une vision davantage pluraliste[7]. Le Québec ne sera plus autant perçu comme le défenseur des droits des francophones au pays.

Les suites du rapatriement

À la suite du rapatriement, deux tentatives majeures seront faites pour réintégrer politiquement le Québec à la Constitution. Les changements de gouvernement donneront espoir que la réconciliation est possible entre le Québec et le Canada. Brian Mulroney arrive au pouvoir au Canada en et Robert Bourassa revient au pouvoir au Québec en décembre 1985. Ainsi, en 1987, on tente de réintégrer le Québec en négociant l’Accord du lac Meech. Cet accord comportera cinq points principaux : reconnaissance de la société distincte au sein du Canada pour le Québec, élargissement du droit de veto des provinces et du droit de retrait avec compensation financière, plus de compétences provinciales sur l’immigration, limitation du pouvoir fédéral de dépenser et participation des provinces à la nomination des juges de la Cour suprême du Canada. Des deux côtés, il se trouve des gens qui sont défavorables à cet accord. Du côté des nationalistes québécois, on considère qu’il manque d’outils pour la défense de la langue française. De plus, on voit dans l’accord une dilution des revendications du Québec. De l’autre côté, plusieurs fédéralistes vont s’y opposer, car le fait de reconnaître une province comme étant distincte des autres affecte l’unité du pays[5].

À la suite de l’échec de Meech en 1990, l’Accord de Charlottetown prendra le relai dans le projet de réconciliation entre le Canada et le Québec. Au même moment, le mouvement souverainiste prend de l’importance au Québec, ce qui rend encore plus urgente l’intégration de la province. En 1992 aura lieu la proposition du gouvernement fédéral. Contrairement à Meech, cette fois, les Autochtones auront leur place au sein des négociations.

Un référendum aura lieu sur la question le 26 octobre 1992, mais seulement l’Ontario, les Territoires du Nord-Ouest, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador votent en majorité pour le OUI.

Découverte subséquente

En 2013, l'historien Frédéric Bastien découvre que le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Bora Laskin, aurait donné quelques informations au Royaume-Uni sur la poursuite du dossier par la Cour suprême du Canada.

John Ford, consul britannique à Ottawa, ayant pu observer les tractations de coulisses en tant que lien entre Londres et Ottawa avant même le référendum québécois du 20 mai 1980, l'a qualifié de « véritable tentative de coup d'État en vue de modifier l'équilibre des pouvoirs dans la Confédération »[9].

Références

  1. Lacoursière, Jacques. et Vaugeois, Denis., Canada-Québec : synthèse historique, 1534-2010, Québec, Septentrion, , p.420 (ISBN 978-2-89448-653-5, 2-89448-653-7 et 978-2-89664-622-7, OCLC 775861079, lire en ligne)
  2. a b c et d Lacoursière, Jacques. et Vaugeois, Denis., Canada-Québec : synthèse historique, 1534-2010, Québec, Septentrion, , 603 p. (ISBN 978-2-89448-653-5, 2-89448-653-7 et 978-2-89664-622-7, OCLC 775861079, lire en ligne)
  3. Morin, Jacques-Yvan, 1931-, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, Éditions Thémis, (ISBN 2-89400-047-2, 978-2-89400-047-2 et 2-89400-048-0, OCLC 31173146, lire en ligne)
  4. Lacoursière, Jacques, 1932- et Provencher, Jean, 1943-, Canada-Québec : synthèse historique, 1534-2015, p.465 (ISBN 978-2-89448-842-3 et 2-89448-842-4, OCLC 933795852, lire en ligne)
  5. a b et c Gagnon, Alain-G. (Alain-Gustave), 1954- et McGill University. Programme d'études sur le Québec., Québec : État et société, Québec/Amérique, 1994- (ISBN 2-89037-731-8, 978-2-89037-731-8 et 2-7644-0193-0, OCLC 31650812, lire en ligne)
  6. « Radio-Canada », sur https://ici.radio-canada.ca/, (consulté le )
  7. a b et c Morin, Jacques-Yvan, 1931-, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, Montréal (Québec), Éditions Thémis, , 978 p. (ISBN 2-920376-98-5 et 978-2-920376-98-4, OCLC 26808927, lire en ligne)
  8. Louis M. Imbeau, « Claude Morin, Lendemains piégés. Du Référendum à la Nuit des longs couteaux », Recherches sociographiques, vol. 31, no 1,‎ , p. 85 (ISSN 0034-1282 et 1705-6225, DOI 10.7202/056487ar, lire en ligne, consulté le )
  9. Note de John Ford à Lord Carrington datée du 30 avril 1980 publié dans Frédéric Bastien, La bataille de Londres, Éditions du Boréal, , p. 333.

Annexes

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • André Burelle, Pierre Elliott Trudeau : l'intellectuel et le politique, Québec, Fides, , 469 p. (ISBN 2-7621-2669-X, lire en ligne)
  • Jacques Lacoursière, Canada-Québec  : 1534-2010, Québec, Septentrion, , 607 p. (ISBN 978-2-89448-653-5) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jean Chrétien, Dans la fosse aux lions, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1985, 232 pages. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • René Lévesque, Attendez que je me rappelle..., Montréal, Éditions Québec/Amérique, 1986, 525 pages. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Michel Vastel, Trudeau le Québécois, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1989, 320 pages. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Alain-G. Gagnon, Québec : état et société - Tome 2, Montréal, Québec/Amérique, coll. « Débats », , 588 p. (ISBN 978-2-7644-0193-4), chap. 6 (« Le dossier constitutionnel Québec-Canada ») Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jacques-Yves Morin et José Woehrling, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, Montréal, Thémis, , 656 p. (ISBN 978-2-89400-047-2) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • François Rocher et Benoît Pelletier, Le nouvel ordre constitutionnel canadien. Du rapatriement de 1982 à nos jours, Montréal, Presses de l'université du Québec, , 352 p. (ISBN 978-2-7605-3760-6)

Articles connexes

Liens externes