Patriarcat d'Aquilée

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Patriarcat d'Aquilée
(it) Stato patriarcale di Aquileia
(fur) Patrie dal Friûl

1077–1420

Drapeau Blason
Description de cette image, également commentée ci-après
Le territoire de la principauté ecclésiastique au XIIIe siècle.
Informations générales
Statut Prince-évêché,
État du Saint-Empire
Capitale Religieuse : Aquilée
Politique : Aquilée, Cividale del Friuli,
Udine (depuis 1238)
Langue(s) frioulan, latin (officielles)
vénitien, slovène, allemand
Religion christianisme
Histoire et événements
557 Fondation de l’entité spirituelle patriarcale à la suite du « schisme des Trois Chapitres »
1077 Indépendance par rapport à la Marche de Vérone, érection en principauté (le patriarche est duc et marquis)
1420 Annexion territoriale par Venise
1751 Suppression de l’autorité patriarcale

Entités précédentes :

Le Patriarcat d’Aquilée (en italien : Patriarcato di Aquileia ; en latin : Patriarchatus Aquileiensis) est une entité politico-religieuse qui a existé de 568 à 1751 qui, avant tout sous le profil ecclésiastique, administrait un territoire très vaste avec au centre l’actuel Frioul. En plus de leur autorité religieuse, les Patriarches d’Aquilée obtinrent l’investiture féodale (1077-1420) sur le Frioul (« Patrie du Frioul ») et, à plusieurs périodes historiques, les confins politiques du patriarcat s’étendirent jusqu’à l’Istrie, à Cadore (Dolomites), en Carinthie, en Carniole et en Styrie.

Les cités principales de ces entités étaient : Aquilée, Forum Iulii (l'actuelle Cividale del Friuli) et Udine.

Pouvoir religieux et politique

Il est fondamental de distinguer entre la réalité ecclésiale et réalité politico-territoriale. Comme réalité ecclésiale, le Patriarcat d’Aquilée a été le plus grand diocèse et la plus grande métropole ecclésiale après les cinq patriarcats de Jérusalem, Alexandrie, Antioche, Constantinople et Rome. Jusqu’en 811, sa juridiction ecclésiastique arrivait jusqu’au fleuve Danube au nord, au lac Balaton à l’est et à Côme à l’ouest. En 811, l’empereur Charlemagne agrandit ses confins orientaux entre le fleuve Danube et la rivière Drave, sur la principauté slave de Blatozero[1]. Au sud, il a eu la juridiction ecclésiale de l’Istrie jusqu’en 1751, année de son extinction. Après la séparation des Églises d'Orient et d'Occident (1054) le Patriarcat d’Aquilée a été la plus grande métropole ecclésiale de tout le Moyen Âge occidental et la seconde dignité après Rome. Il étendait sa souveraineté sur les diocèses épiscopaux inclus dans sa juridiction métropolitaine et en nommait l’évêque. Sa cour, internationale, comprenait des peuples de langues et d’ethnies diverses. Il réunissait les mondes latin, germanique, slave et magyar.

Christianisation d'Aquilée

La basilique patriarcale d'Aquilée.

Sous l'empire romain, Aquilée était un port florissant, car à l’époque le rivage était encore situé au niveau de la cité. Riche du commerce grâce à ses nombreux canaux, elle devient peu à peu l'une des plus puissantes et importantes villes d'Italie du Nord avec Padoue et Vérone.

Aquilée devient aussi un important centre de christianisation pour l'Italie nord-orientale et les régions limitrophes. Déjà au IVe siècle, son archevêque était éminent de par l’étendue du territoire sous sa compétence juridique. La liturgie, officiée selon le rite oriental, appelé plus tard rite patriarcal, reste en vigueur jusqu’en 1596. En 381, un concile, promu par saint Ambroise de Milan et présidé par l’archevêque d’Aquilée, Valérien, s’y réunit : il condamna les évêques pro-arianistes Palladios de Ratiaria et Secondinien de Singidunum (Mésie supérieure, en Dacie aurélienne) et les doctrines ariennes diffusées en Occident.

Fondation du Patriarcat

En 554, les archevêques métropolitains de Milan et Aquilée se refusèrent d’adhérer à la condamnation prononcée par l’empereur Justinien contre les thèses nestoriennes dénommées Trois Chapitres, donnant naissance à un schisme (Schisme des trois chapitres) : en 557 durant le synode provincial convoqué à Aquilée pour l’élection du nouveau métropolitain Paulin 'succédant à Macédonios), avec la participation des évêques des diocèses, ils décidèrent de ne pas reconnaître les conclusions du deuxième concile de Constantinople et de rendre l’Église autocéphale. En 568, sous la pression de l’invasion lombarde, Paulin transféra son siège épiscopal à Grado, sous la protection de l’Empire romain d'Orient : il y fut proclamé patriarche.

Appartenant au duché du Frioul pendant l’occupation lombarde, l’Église d’Aquilée s’était élevée au rang de patriarcat dans l’espoir de devenir membre à part entière de la Pentarchie (qui serait alors devenue une « Hexarchie ») mais cet espoir est compromis car en 606, elle se divise en deux patriarcats : celui d’Aquilée et celui de Grado. Cette division est due au morcellement politique de la zone : la terre frioulaine, incluant Aquilée, entre sous domination lombarde, alors que le littoral adriatique de la Vénétie, avec Grado, reste territoire romain d’Orient. Le schisme des Trois Chapitres fut définitivement clos en 699 lors du concile de Pavie et Aquilée revint dans l’orthodoxie. Toutefois, même après la réconciliation entre les trois parties, le diocèse d’Aquilée continua à être divisé jusqu’en 731, officialisant ainsi la séparation entre le Patriarcat d’Aquilée et le Patriarcat de Grado.

Carte de l’Italie à l’an mil, largement dominée par le Saint-Empire.

Après que l'empereur Charlemagne ait vaincu le dernier roi lombard, Didier, en 774, le Frioul devint une marche de l’Empire carolingien. En même temps, la christianisation de la principauté slave de Carantanie a provoqué un conflit des patriarches contre les archevêques de Salzbourg et en 811, Charlemagne a désigné la rivière Drave comme limite entre les deux diocèses - une démarcation qui était en vigueur de près de mille ans jusqu’à 1751. Le territoire du Frioul est, suite de la conquête du royaume d'Italie par le roi germanique Otton Ier en 952, intégré à la marche de Vérone qui faisait partie des domains gouvernés par les ducs de Bavière, avec la marche d'Istrie, la Carantanie et la marche de Carniole. En 976, ces territoires passent sous l’autorité du nouveau duché de Carinthie.

Le patriarche Poppone (en exercice 1019-1042), familier et ministre de l’empereur Conrad II le Salique, consacra le la nouvelle cathédrale, et entoura la ville de nouveaux murs. Il se protégea ainsi pour se libérer de la tutelle du duché de Carinthie, et il affronta aussi les Vénitiens à Grado, mais fut vaincu et dut y renoncer à la fois militairement et par la volonté d’un concile épiscopal.

Lors de la dislocation de la Pentarchie, les patriarcats d’Aquilée et de Grado, après quelques hésitations, choisirent de se rallier à Rome et rejoignirent l’Église latine, d’autant que Venise avait fait le même choix et s’était séparée de l’empire d’Orient, suzerain lointain et impuissant à s’opposer aux visées germaniques.

Le pouvoir temporel des princes-patriarches

La principauté ecclésiastique d’Aquilée a été créée dans le cadre de la Querelle des Investitures : après la pénitence de Canossa le roi des Romains, Henri IV, a été destitué le margrave véronais Berthold de Zähringen, duc de Carinthie. Ensuite, le , le patriarche Sieghard de Beilstein (1068-1077) obtient du roi l’investiture féodale de « duc du Frioul » en rang de prince du Saint-Empire, peu tard aussi les titres de « marquis d’Istrie » et de « marquis de Carniole », constituant ainsi le prince-évêché d’Aquilée, un État immédiat du Saint-Empire romain. Le territoire comprenait la moitié orientale de la marche de Vérone, du bassin du fleuve Tagliamento et le Cadore jusqu'aux Alpes juliennes.

Les successeurs de Sieghard de Beilstein (1068-1077) restèrent fidèles à la politique d’Henri IV et de son fils Henri V, faisant de l’État frioulan un poste avancé de la politique impériale germanique en Italie.

Une fête célébrant la victoire en 1164 du patriarche de Grado sur celui d'Aquilée se tient au XVIIIe siècle, le jour du Jeudi gras sur la Place Saint-Marc à Venise. C'était l'occasion de joutes entre quartiers, qui montaient des pyramides humaines ou marchaient sur des fils tendus au-dessus de la Place. Gabriele Bella les représentent sur un tableau réalisé d'après celui de Francesco Guardi, conservé à la Pinacothèque Querini-Stampalia[2].

En 1186, le patriarche Godefroy de Hohenstaufen couronne le fils de l'empereur Frédéric Barberousse, Henri VI, roi d’Italie, déposé en réaction par le pape Urbain III. À la même époque, les baillis (Vögte) des patriarches au château de Gorizia acquièrent leur indépendance s'appelaient « comtes de Goritz » (Görz); ils étaient institués héritiers des comtes de Tyrol en 1253.

Sous le patriarche de Wolfgar d'Erla (Volchero; 1204-1218), une grande impulsion fut donnée aux activités commerciales et productives, avec l’amélioration du réseau routier et de l’activité culturelle. À Wolfgar succéda le patriarche Berthold V (1218-1251), de la maison d’Andechs-Méranie, frère de Sainte Edwige de Silésie, de la reine Gertrude de Hongrie et de la reine Agnès de France, lequel avait des visées sur la cité d’Udine qui, en un peu de temps, passa d’un petit village à une métropole. Les visées de conquête des gibelins comme Ezzelino III da Romano, ainsi que les territoires gagnés par le comte Meinhard III de Goritz, contraindront le patriarche à chercher de l’aide dans le parti adverse, celui des guelfes, s’alliant temporairement avec la république de Venise et avec les ducs de Carinthie.

En 1238, le siège des patriarches fut transféré à Udine, et y restera pendant environ deux siècles. Devenu un élément de force de la ligue guelfe, le Frioul connut une période de déclin : le patriarche ne réussissait plus à conserver la cohésion entre les communes et connut de fréquentes trahisons, des conjurations et des luttes entre vassaux. Le comte de Gorizia devint le principal adversaire le l’autorité patriarcale.

En 1281, un conflit éclata avec la République de Venise pour la possession des parties occidentales de l’Istrie. Dix ans plus tard, les patriarches durent la céder la totalité de la bande côtière de Capodistria (Koper) jusqu'à Rovigno (Rovinj) au sud. En 1331, la Venise a finalement annexé la région de Pola (Pula) à la pointe sud de la péninsule. La cité de Trieste s'est soumise sous le protectorat du duc Léopold III de Habsbourg en 1382.

Carte de l’Italie en 1402 : le patriarcat est en vert foncé ; la république de Venise en turquoise.

Le patriarche Bertrand de Saint-Geniès (1334-1350) obtint de nombreux succès sur le plan militaire et diplomatique sans jamais négliger ses devoirs d’évêque. Le , désormais nonagénaire, il fut tué lors d’une conjuration menée par le comte de Gorizia et par la commune de Cividale. Le patriarche Marquhard de Randeck (1365-1381) passa par contre à l’histoire pour avoir promulgué () la « constitution de la patrie du Frioul » (Constitutiones Patriae Foriiulii), base du droit frioulan.

Suivit une longue période de dissensions internes, principalement entre les cités d’Udine et de Cividale. Une grande partie des communes du Frioul, les Carraresi et le roi de Hongrie se rangèrent dans le camp de Cividale ; Udine obtint le soutien de Venise. En 1411, le Frioul devient un champ de bataille pour l’armée impériale, aux côtés de Cividale, et celle de Venise, aux côtés d’Udine. En , l’armée de l’empereur Sigismond occupe Udine ; le , le patriarche Louis de Teck est élu et nommé dans le dôme de Cividale. Le , les forces de la Venise sous le doge Michele Steno occupèrent Cividale et se préparèrent à la conquête d’Udine, qui tombe le , après une âpre défense. Tout de suite après, Gemona, San Daniele, Venzone, Tolmezzo tombèrent, ce qui marque la fin de l’État du patriarcat frioulan.

Fin du patriarcat

L’expansion territoriale de la république de Venise à la fin du Moyen Âge.

L'empereur Sigismond a reconnu les conquêtes et céda le territoire en fief impérial au doge de Venise en 1437. En 1445, après de longues tractations, le patriarche Ludovico Trevisano accepta le concordat imposé par Venise, par lequel est aboli de fait le droit d’indépendance du Frioul, qui devient une partie de la république de Venise (Domini di Terraferma) dirigée par un « inspecteur général ». En 1500, les possessions restantes des comtes de Goritz échurent à la maison de Habsbourg. L'empereur Charles Quint a finalement renoncé à tous les droits, titres et intérêts sur les domaines vénitiens en 1523.

Les doges de même que les monarchs de Habsbourg cherchaient encore à reléguer et écarter l'influence spitiruelle des patriarches sur ses domaines. Le , avec la bulle pontificale Incuncta nobis du pape Benoît XIV, sollicitée par Venise et Marie-Thérèse d'Autriche, le patriarcat d’Aquilée fut supprimé et à sa place fut instauré l’archidiocèse d'Udine (en Venise) et l’archidiocèse de Gorizia (en l'Autriche intérieure). Cela signifia le déclassement d’Udine, qui devint seulement siège de l’archevêché réduit, et l’élévation de Gorizia qui, jusqu’à cette époque, était seulement un archidiaconat au sein des grands diocèses d’Aquilée.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • (it) Francesco Barbaro: patrizio veneto e patriarca di Aquileia, Udine, Casamassima, 1984, .
  • (it) Il Friuli dal 1420 al 1797. La storia politica e sociale, Udine, Casamassima, 1998, pp. V-429 (Storia della società friulana, diretta da Giovanni Miccoli, vol. II/II).

Sources

Références

  1. Hans Erich Stier (dir.), Grosser Atlas zur Weltgeschichte, éd.: Westermann, p. 54, 56 et 59
  2. Rafael Pic, « Toute la ville s’amuse », Muséart, no 78,‎ , p. 80-85