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Lucille Teasdale-Corti

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Lucille Teasdale-Corti
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
St. Mary's Hospital Lacor (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Lucille TeasdaleVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Activités
Conjoint
Piero Corti (de à )Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Distinctions

Lucille Teasdale-Corti, C.M., G.O.Q. est née à Montréal le et décédée le à Besana in Brianza, en Italie. Elle une médecin et chirurgienne-pédiatre canadienne ayant travaillé en Ouganda de 1961 jusqu’à sa mort. Elle a contribué au développement des services de santé dans le nord du pays.

Biographie

L'enfance de Lucille Teasdale

Lucille Teasdale est née à Montréal, au Québec, le . Elle est la quatrième enfant d’une famille de sept. Son père René Teasdale était propriétaire de la première épicerie de Guybourg, un quartier ouvrier de l'est de la ville, près de la base militaire de Longue-Pointe. Il était aussi marguillier de sa paroisse et juge de paix. Sa mère, Juliette Sanscartier, était ménagère.

Très tôt, Lucille, qui avait peu de goût pour la vie domestique, s'est intéressée aux études. En 1941, à l'âge de 11 ans, elle fut admise au pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, administré par les sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie à Outremont. Malgré des relations parfois difficiles avec les religieuses, qui imposaient aux jeunes filles un cadre de vie sévère, le temps passé au pensionnat fut très formateur pour la jeune Lucille. C'est là qu'elle formula pour la première fois le désir d'aller pratiquer la médecine humanitaire à l'étranger, suite à la visite en 1943 de religieuses missionnaires de l'Immaculée-Conception qui étaient de retour de Chine.

En 1945, Lucille obtint une bourse pour aller suivre son cours classique au collège Jésus-Marie, à Outremont, où ses excellents résultats scolaires furent remarqués. C'est au collège Jésus-Marie qu'elle assista à une allocution de la Dre Jeanne Marcelle Dussault, alors la seule femme à étudier la psychiatrie à la Catholic University of America, à Washington D.C. Cette rencontre cimenta chez Lucille le désir de devenir médecin.

La formation à l'Université de Montréal

Lucille fut admise avec une bourse d'étude à la faculté de médecine de l'Université de Montréal en 1950, dans une cohorte qui ne comptait que dix femmes parmi les 110 étudiants inscrits. Elle se spécialisa rapidement en chirurgie, un domaine presque exclusivement masculin. Malgré le soutien financier de son père, Lucille s'enrôla dans le corps des cadets de l'armée de l'air pour financer ses frais de scolarité deux ans plus tard, en 1952. Après un entrainement initial à la base aérienne de London, en Ontario, elle fut transférée à l'été 1953 à la base de Summerside, à l'île du Prince-Édouard, avant de quitter définitivement l'armée.

Après l'obtention d'un diplôme cum laude de l'Université de Montréal en 1955, Lucille poursuivit un internat en chirurgie pédiatrique à l'hôpital Sainte-Justine, à Montréal. C'est à cette époque qu'elle fit plusieurs rencontres déterminantes: avec Dre Gloria Jéliu, Dr Luc Chicoine et Dr Pierre-Paul Collin, son mentor en chirurgie, notamment, mais aussi avec Piero Corti, un médecin italien qui effectuait alors une résidence à l'hôpital. Déjà diplômé en radiologie (1953) et en neuropsychiatrie (1956), Piero effectuait à Montréal un internat en pédiatrie dans le cadre de sa formation postdoctorale à l'Université de Pavie. Ensemble, les deux médecins caressent le rêve d'aller pratiquer la médecine humanitaire, avec laquelle Piero était d'ailleurs familier: son frère était missionnaire jésuite au Tchad, et son beau-frère pratiquait, qui avait longtemps pratiqué en Inde, était médecin en Chine depuis déjà quelques années. Lucille était cependant trop occupée par ses études pour le considérer plus sérieusement. En 1958, sa résidence terminée, Piero retourna en Italie. Pour sa part, Lucille poursuivit son internat à l'hôpital Maisonneuve jusqu'en 1959 puis à l'Hôtel-Dieu de Montréal jusqu'en 1960.

Afin de terminer sa formation en chirurgie, Lucille devait effectuer un stage à l'étranger. De nombreux établissements américains rejetèrent sa candidature, malgré l'excellence de son dossier et les recommandations des médecins qui l'avaient supervisé à Montréal. Elle réorienta ses efforts vers la France, où elle obtint, avec l'aide d'une collègue française qu'elle avait connue à l'hôpital Sainte-Justine, la neurologue Annie Courtois, deux postes: elle pourrait faire sa résidence à l'hôpital de la Conception, à Marseille, avant de poursuivre au prestigieux hôpital des Enfants-Malades, à Paris[1].

L'internat à Marseille

Lucille Teasdale arriva à Marseille en septembre 1960, où elle fut chaleureusement accueillie par ses collègues français. Elle devint rapidement l'assistante du professeur Pierre Salmon, un chirurgien spécialisé dans la luxation congénitale de la hanche[2]. Le séjour français, bien que fructueux, fut néanmoins court. Peu après son arrivée à Marseille, Lucille renoua avec Piero Corti, à qui elle fit parvenir une carte postale dans laquelle elle indiquait sa nouvelle adresse. Après un bref échange, Piero, qui revenait d'Afrique, s'empressa de lui demander un rendez-vous et se rendit à Marseille. Lors de cette rencontre, dans un restaurant du Vieux-Port, il lui indiqua qu'il avait trouvé, près de Gulu, dans le nord de l'Ouganda, un petit hôpital opéré par religieuses où ils pourraient pratiquer la médecine humanitaire et aider les démunis. Après avoir passé les vacances de Noël dans la famille de Piero, à Milan, Lucille accepta de l'accompagner en Ouganda pour quelques mois, avant de revenir à Marseille.

L'arrivée en Ouganda

Partis d'Italie à bord d'un avion de l'aviation militaire italienne, Lucille et Piero atterrirent en mai 1961 à Entebbe, le seul aéroport d'envergure dans tout l'Ouganda. Ils se rendirent premièrement à Kampala afin d'obtenir une licence pour permettre à Lucille de pratiquer la médecine en Ouganda. C'est le Dr Denis Parsons Burkitt, un éminent chirurgien britannique qui travaillait à l'hôpital universitaire de Mulago, qui l'autorisa à pratiquer. Le surlendemain de leur arrivée, Lucille et Piero se mirent en route pour Gulu, la principale ville du nord de l'Ouganda, située au cœur du territoire des Acholis.

Fondé en 1959 par des missionnaires italiens comboniens du Sacré Cœur et administré par le diocèse de Gulu, l'hôpital St. Mary's Lacor se trouve en réalité à Lacor, une localité située à quelques kilomètres à l'ouest de Gulu. Piero l'avait choisi parce que l'évêque de Gulu, Giovanni Cesena, lui aussi italien, avait accepté de lui laisser une certaine indépendance quant à la gestion de l'établissement. Au début des années 60, ce petit établissement ne comptait que 40 lits, avec un service de maternité et une clinique externe, mais aucun aucun lit de chirurgie. À cette époque, des travaux étaient déjà en cours pour élargir l'hôpital et le doter d'une salle d'opération ainsi que de pavillons de médecine et de radiologie. Outre Lucille et Piero, l'essentiel du personnel était composé d'infirmières missionnaires italiennes, de sages-femmes britanniques, d'un intendant, le frère Toni Biasin, lui-aussi combonien, et de quelques travailleurs locaux.

L'important achalandage de patients et l'ampleur du travail à réaliser convainquirent Lucille de prolonger indéfiniment son séjour en Ouganda. L'objectif était - et demeure encore aujourd'hui - d'offrir les meilleurs soins possibles à l'une des populations les plus pauvres du pays, chez qui des pratiques nocives comme l'ebino[3] étaient encore fréquentes. À ces coutumes s'ajoutait un vaste éventail de blessures et d'infections parasitaires, ainsi que la difficulté à traiter les patients locaux. Lucille voyait des patients en consultation externe durant l'avant-midi avant de procéder à des chirurgies durant l'après-midi, le tout dans des conditions matérielles beaucoup plus difficiles que dans un établissement occidental. L'hôpital n'avait généralement de l'électricité qu'entre 19:00 et 22:00. C'était cependant la réalisation d'un vieux rêve pour Lucille et Piero, qui pouvaient pratiquer la médecine humanitaire et porter assistance aux plus démunis. De retour à Gulu au début du mois de décembre 1961 après un bref séjour en Europe, Lucille et Piero se marièrent dans la chapelle de l'hôpital.

Le 9 octobre 1962, l'Ouganda, jusqu'alors protectorat britannique, obtint son indépendance. Edward Mutesa devint le premier président du pays, et Milton Obote fut élu comme premier ministre, le résultat d'une alliance entre leurs deux partis, le Kabaya Yekka (KY) et l'Uganda's People Congress (UPC). À peine un mois plus tard, Lucille donna naissance à sa fille Dominique, que les Acholis surnommèrent dans leur langue Atim - « née loin de chez elle ». C'est à partir de ce moment qu'ils appelèrent Lucille Min Atim, la mère d'Atim.

L'hôpital de Lacor au gré des crises

La dictature d'Idi Amin Dada et la crise économique

Dans les années 1967-1968, avant que le général en chef des forces armées Idi Amin Dada s’empare du pouvoir par l’entremise d’un coup d’État en 1971, le pays bénéficiait d’une période de paix relative malgré le président ougandais au pouvoir, Milton Obote, et le changement de constitution qui lui conférait des pouvoirs plus étendus. En 1972, Amin Dada a expulsé 60 000 Asiatiques du pays, des gens dont les ancêtres s’étaient établis en Ouganda à l’époque coloniale. Il a ensuite confié leurs entreprises et leurs propriétés à ses alliés. La négligence et la mauvaise gestion du pays ont ainsi entraîné l’effondrement de l’économie et des infrastructures du pays. Piero et Lucille ont dû faire un choix : quitter le pays, comme avaient fait la plupart des expatriés, ou rester et trouver une façon de maintenir le fonctionnement de l’hôpital. Ils ont décidé de rester et, avec l’aide de la famille de Piero en Italie, ils ont organisé un groupe de soutien qui a commencé à envoyer plusieurs conteneurs par année, lesquels étaient chargés d’articles divers, comme des médicaments, de l’équipement médical et des vêtements usagés.

Cependant, ils ont dû malheureusement se résoudre à faire quitter leur fille du pays pour sa sécurité et afin qu’elle puisse poursuivre ses études (le système scolaire s’était aussi effondré). Dès sa naissance, Dominique passait tout son temps dans l’enceinte de l’hôpital et suivait Lucille à la clinique externe et en salle d’opération lorsque sa gardienne ougandaise était absente. Dominique a fait ses études primaires à l’école de la région. À cette époque, Dominique retournait à Lacor que durant les vacances. Elle a habité chez l’une de ses tantes en Italie et par la suite, elle a poursuivi ses études dans un pensionnat au Kenya. De là, elle pouvait voyager jusqu’en Ouganda trois fois par année durant les vacances. Lucille, pour qui la seule condition au mariage avec Piero était de ne jamais voir sa famille se séparer, a déclaré que de vivre loin de sa fille a été le sacrifice le plus difficile qu’elle ait jamais eu à faire.

L'invasion tanzanienne et la guerre de brousse ougandaise

L’hôpital a vécu sa première véritable période d’insécurité durant la guerre Ouganda-Tanzanie, qui a conduit à la chute d’Idi Amin en 1979. L’hôpital a été saccagé à répétition par les quelques membres de l’armée dissoute d’Idi Amin menacés par les troupes tanzaniennes qui avaient gagné du terrain. Durant ces mois, l’hôpital a été coupé du reste du monde et personne n’était au courant des conditions de vie à l’intérieur de ses murs. Lucille a dû mener un nombre incomparable d’opérations en raison de la guerre et des vendettas parmi les tribus. Au moment où elle opérait un soldat blessé, Piero a subi une perforation du tympan en raison de tirs de mitrailleuses près de son oreille lors d’une confrontation avec des maraudeurs. Lorsque l’armée tanzanienne est arrivée à l’hôpital, un commandant a déclaré que depuis leur arrivée dans le pays, soit au moins quatre mois et avec 600 km de parcourus vers le Sud, Lacor était le premier hôpital rencontré toujours ouvert et en fonction.

1980 – Après plusieurs dirigeants par intérim et deux gouvernements provisoires de plus en plus turbulents, Milton Obote était de retour au pouvoir à titre de président de l’Ouganda. La guerre civile a éclaté et, malgré les quatre années d’efforts militaires mis à anéantir ses rivaux, le second mandat de Milton a causé plus de morts que les 300 000 décès estimés durant les sept années sous le règne d’Idi Amin. Il a été estimé que plus de 500 000 Ougandais sont morts et que de vastes étendues de terres ont été dévastées sous la présidence d’Obote.

1982 – Des victimes d’une mystérieuse maladie de la « maigreur » (connue par la suite sous le nom de VIH/SIDA) ont commencé à se manifester à l'hôpital Lacor. Lucille a commencé à éprouver les premiers symptômes de ce qui sera par la suite reconnu comme une maladie opportuniste liée au SIDA. En 1985, alors que les premiers tests de dépistage du VIH étaient rendus accessibles en Italie, Lucille a été déclarée positive. Piero et Lucille ont estimé que l’infection est survenue en 1979 lorsque Lucille a commencé à réaliser plusieurs chirurgies sur des victimes de la guerre et durant lesquelles certains fragments tranchants d’os brisés l’avaient coupée à de nombreuses reprises.

1983 – L'hôpital Lacor a été reconnu par le ministère de la Santé de l’Ouganda comme centre de formation en internat pour les médecins nouvellement diplômés de la Faculté de médecine de l’Université publique de Makerere (et par la suite de l’Université de Mbarara, fondée en 1989, et de l’Université de Gulu, fondée en 2003). Ces médecins pouvaient désormais effectuer leur année de stage obligatoire à l'hôpital Lacor pour ensuite y pratiquer la médecine ou pratiquer dans d’autres hôpitaux catholiques à but non lucratif. Le ministère italien des Affaires étrangères a offert un soutien important à Lacor par le biais de spécialistes pour la formation des internes, d’installations et d’équipements. À la fin des années 1980, le gouvernement italien était l’un des contributeurs importants de l’aide internationale fournie par les gouvernements européens et l’Ouganda représentait l’un des principaux bénéficiaires, spécialement par l’entremise de programmes de santé liés à des établissements publics et privés.

Lucille était en première ligne pour la formation de ces jeunes médecins. Le tout premier groupe d’internes était composé du Dr Matthew Luwkiya (qui est rapidement devenu le surintendant adjoint de l’hôpital et qui est mort en tant que héros en sacrifiant sa propre vie, accompagné de douze membres du personnel durant l’épidémie d’Ebola), Dr Isaac Ezati (qui a pris la relève à titre de chirurgien à Lacor avant de poursuive sa carrière à l'hôpital national de référence de Mulago et ensuite au ministère de la Santé ; il est demeuré sur le conseil d’administration de l'hôpital Lacor). Le deuxième groupe d’internes était composé du Dr Opira Cyprian en 1985 (maintenant le directeur général de l'hôpital Lacor), du Dr Odong Emintone en 1989 (maintenant directeur médical) et du Dr Ogwang Martin (maintenant directeur institutionnel).

Lucille en salle d’opération

L'insurrection de l'Armée de résistance du Seigneur

En 1986, après le deuxième évincement de Milton Obote, une coalition faible a gouverné le pays durant le reste de l’année, jusqu’au moment où la rébellion de l’armée nationale de résistance de Yoweri Museveni s’est emparé du pouvoir. L’armée évincée provenait principalement du Nord, où les divergences d’opinions ont mené à la formation de groupes rebelles. En 1987, Alice Lakwena, une jeune médium spirituelle Acholi, a formé le Holy Spirit Movement (HSM) avec lequel la plupart des mouvements rebelles du nord s'étaient sont fusionnés. Après une série de victoires spectaculaires contre ce qui était perçu comme l’armée d’occupation, elle a dirigé ses forces vers Kampala, mobilisant ainsi plus d’appui des autres groupes ethniques qui avaient aussi formulé des reproches au gouvernement Museveni. Les forces d’Alice Lakwena ont été vaincues.

À partir de 1986, l’hôpital a été saccagé de façon répétitive par des rebelles durant la nuit, parfois même plusieurs fois durant la même semaine. Les rebelles tenaient le personnel et les patients en otage sous la menace d’une arme à feu à la recherche d’argent et de médicaments. À de nombreuses reprises, Piero et Lucille ont également été pris en otage sous la menace d’une arme à feu dans leur résidence, laquelle était située dans l’enceinte près des portes de l’hôpital. Lorsque les rebelles ne trouvaient pas ce qu’ils cherchaient, ils kidnappaient des infirmières en vue de faire pression à l’hôpital pour le paiement d’une rançon. La plupart des employés vivaient à l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital avec leur famille pour une question de sécurité et ils allaient travailler le soir en vêtements civils afin d’éviter d’être reconnus et kidnappés dans l’éventualité d’une attaque de rebelles. Le dévouement héroïque et la résilience du personnel ont duré durant plusieurs années.

En 1989, l’Armée de résistance du Seigneur a émergé à titre de nouvelle faction lors de l’insurrection dans le nord de l’Ouganda. Durant une nuit de cette année-là, les rebelles sont entrés dans l’hôpital et cherchaient le Dr Corti et Min Atim, Piero et Lucille, lesquels venaient juste de quitter en vacances. Dr Matthew qui s’était installé dans la maison des Corti pour freiner une possible incursion rebelle avant qu’elle n’atteigne les résidences des autres médecins s’est proposé comme la personne responsable de l’hôpital et il a été enlevé avec d’autres membres du personnel. Piero et Lucille sont immédiatement revenus et ont décidé de fermer l’hôpital. Cependant, les aînés locaux ont réagi à la nouvelle en affirmant que l’hôpital était tout ce qui leur restait : ils n’acceptaient pas sa fermeture et essayeraient de convaincre les rebelles de ne plus entrer. Par la suite, l’hôpital n’a plus été victime d’une autre incursion de rebelles pendant les 15 années durant lesquelles le conflit civil de l’Armée de résistance du Seigneur s’était intensifié et qui avait lieu souvent autour de l’hôpital. L’hôpital a construit un mur autour de l’hôpital afin de la protéger des balles en plein vol.

Les dernières années et la reconnaissance internationale

Lucille Teasdale a reçu le diagnostic du SIDA en 1985, lorsque les premiers tests ont été rendus disponibles en Italie. Elle l'a contracté lors d'une opération[4]. Avant que les résultats puissent être disponibles, Lucille a été confiée au professeur Anthony Pinching de Londres, lequel était parmi les premiers à étudier cette maladie au Royaume-Uni. Il lui a dit que ses autres maladies opportunistes étaient représentatives de son état. Il lui a également mentionné qu’il était important de garder le moral et qu’elle pouvait continuer son travail clinique. Lucille était préoccupée par les interventions chirurgicales et on lui a dit qu’il n’y avait tout simplement pas d’autres alternatives pour la survie des patients dans un contexte où elle était la seule chirurgienne expérimentée disponible.

Malgré ses problèmes de santé, elle a continué à travailler, particulièrement au service des consultations externes des patients adultes et au service traitant le SIDA et la tuberculose de Lacor, tout en délaissant graduellement les chirurgies pour les confier aux médecins ougandais qu’elle avait formés. Elle a souffert d’une série de complications, d’une candidose orale omniprésente qui rendait l’ingestion difficile, à des conditions sévères comme la maladie d’Addison et une pneumonie à Pneumocystis carinii, laquelle avait mené Piero à se précipiter avec Lucille à Londres et ensuite à Milan pour surmonter les crises. Quelques mois avant son décès et avec un faible poids d’environ 88 lb, elle exerçait quand même ses fonctions en service de consultation externe entre 4 et 6 heures par jour. Elle était parfois trop faible lorsqu’elle se levait certains matins alors Piero ou d’autres personnes lui installaient une ligne intraveineuse pour la réhydrater. Dès qu’elle se sentait mieux, elle retirait l’aiguille elle-même et allait travailler.

Dans une dernière tentative d’améliorer la détérioration de son état, Piero s’est empressé de se rendre en Italie avec Lucille. Lucille s’est éteinte dans leur résidence à Besana in Brianza le [5].

Au cours de sa carrière à l'hôpital Lacor, Lucille a réalisé plus de 13 000 interventions chirurgicales. Le rapport annuel de 1996 de l’hôpital enregistrait 446 lits, 13 437 admissions et 116 953 patients traités en clinique externe à l'hôpital principal alors que les deux centres de santé en périphérie (un troisième avait été fermé en raison de l’insécurité) enregistraient 48 lits, 399 admissions et 11 549 patients en clinique externe. Les autres activités comprenaient 1 114 livraisons, 1 278 interventions chirurgicales importantes et 33 613 doses de vaccins administrés malgré le conflit.

La dépouille de Lucille Teasdale a été retournée en Ouganda au moment où l’insurrection environnant l’hôpital était à son point le plus fort. L’armée a dû évacuer par hélicoptère Lucille et Piero lorsqu’ils ont quitté Lacor, car les routes étaient trop dangereuses. Des milliers de migrants de nuit, des enfants et des femmes pour la plupart, cherchaient un abri chaque nuit à l’intérieur de l’hôpital pour échapper aux rebelles qui attaquaient les villages la nuit pour saccager, tuer et enlever les enfants âgés de 6 à 14 ans.

La cérémonie funèbre de Lucille a eu lieu dans une cathédrale voisine et des centaines de personnes y ont assisté. Certains membres du personnel ont parcouru jusqu’à 40 km à pied des centres de santé, malgré le risque d’embuscades et de mines terrestres sur les routes. L’armée à même positionné un tank armé à l’extérieur de la cathédrale pour la protection des personnes endeuillées. Lucille a été inhumée dans l’une des cours intérieures de l’hôpital.

L'hôpital de Lacor après Lucille

Après le décès de Lucille, Piero a continué à consacrer sa pratique médicale à Lacor, malgré la constante dégradation de son cœur et de l’état de sa mémoire. Un autre coup dur a été la mort du Dr Matthew Lukwiya durant l’épidémie d’Ebola dans les années 2000. Piero a finalement mis fin complètement à son travail clinique et pour assurer l’avenir de l’hôpital, il a créé deux fondations, une établie à Milan (Italie) en 1993 et une à Montréal (Canada) en 1995. Il a dédié la plus grande partie de son temps et de ses efforts à la fondation au Canada, d’où l’aide apporté à l’hôpital avait été minime au cours des 45 années précédentes. Piero est décédé à Milan d’un cancer du pancréas le jour de Pâques en 2003 et sa dépouille a été transportée en Ouganda pour être inhumé aux côtés de celle de Lucille et de Matthew. Les développements importants de l'hôpital Lacor qui ont suivi le décès de ses fondateurs sont le témoignage de leurs efforts et de leur capacité à avoir responsabilisé ceux qui se sont joints au personnel de Lacor.

L’approche de gestion du Dr Corti – pragmatique, entrepreneuriale et orientée sur les besoins – est toujours utilisée aujourd’hui. Autre point d’une égale importance : le dévouement de la Dre Lucille Teasdale envers ses patients et son approche « les patients en premier » a toujours établi l’orientation de l’organisation. Semble-t-il qu’elle pouvait être très difficile avec le personnel en ce qui a trait au comportement contraire à l’éthique, mais elle était aimée pour sa réelle préoccupation du bien-être de ses patients. Plusieurs personnes interrogées ont estimé que cette attitude et son intégration dans la culture de travail ont été ses plus grandes réalisations.

Réf. : Résilience et haute performance au milieu des conflits, des épidémies et de l’extrême pauvreté – L’hôpital de Lacor dans le nord de l’Ouganda Étude de cas préparée pour le projet « Capacité, changement et performance » Document de réflexion no 57A, .

En 2016 Dominique, la fille de Lucille et de Piero, qui détient son diplôme en médecine, a décidé de consacrer tout son temps à Lacor par l’entremise des fondations italienne et canadienne. Elle a pris la place de son père sur le conseil d’administration de l’hôpital à la suite du décès de son père en 2003.

Le rapport annuel 2014-2015 de l'hôpital Lacor a enregistré un total de 247 874 patients traités à l’hôpital et aux trois centres de santé périphérique, dont 36 385 admissions. Parmi tous ces patients, 31 % étaient des enfants âgés de moins six ans.

Reconnaissances et distinctions honorifiques

  • 1972 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Missione del Medico – Angelo De Gasperis par la Fondation Carlo Erba de Milan.
  • 1982 Lucille Teasdale et Piero Corti se sont vus décerner l’Ordre du mérite de la République italienne (officier) par le président de la République par voie de décret.
  • 1983 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Premio della Bontà Notte di Natale Angelo Motta par la Fondation Pro Juventute Don Gnocchi de Milan.
  • 1984 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Ambrogino d’Oro par la municipalité de Milan.
  • 1986 Lucille Teasdale s’est vu décerner la reconnaissance Paul Harris Fellow par les clubs Rotary International en Italie.
  • 1986 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le World Health Organization's Sasakawa Health Prize, lequel est remis à une ou plusieurs personnes, institutions ou organismes non gouvernementaux pour avoir accompli un travail exceptionnel et novateur en ce qui a trait au développement de la santé et en vue d’encourager des développements subséquents d’un tel travail.
  • 1987 Lucille Teasdale s’est vu décerner le prix Frederick Newton Gisborn Starr par l’Association médicale canadienne.
  • 1990 Lucille Teasdale a reçu l’International Medical Women Association Award d’Italie.
  • 1991 Lucille Teasdale a reçu l’Ordre du Canada
  • 1993 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Cuore Amico d’Italie
  • 1995 Lucille Teasdale est nommée consultante honorifique par le ministère de la Santé de l’Ouganda et le sénat de l’Université Makerere.
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu l’Ordre national du Québec (Grand Officier)
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu le Prix d’Excellence pour la Cause Africaine par CICA New York
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu le prix Velan des clubs Rotary de Montréal
  • 1995 Lucille Teasdale et Piero Corti se sont vu décerner le Premio Professionalità par les clubs Rotary de Milan.
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu le titre de membre honoraire par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.
  • 1995 L’hôpital Lacor a reçu le Premio Antonio Feltrinelli pour l’accomplissement à s’employer à respecter des critères moraux et humanitaires exceptionnels décerné par l’Accademia dei Lincei de Rome
  • 1996 Lucille Teasdale a reçu un doctorat honoris causa de l’Université de Montréal.
  • 1996 in memoriam Lucille Teasdale a reçu le Premio Speciale Cuore D’Oro par le Premio della Bontà Motta, Notte di Natale, Milan
  • 1997 in memoriam Lucille Teasdale a reçu le Premio Moscati Caserta d’Italie
  • 2004 in memoriam Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu la Médaille d’or de l’Ordre du mérite par voie de décret du président de la République italienne.
  • 1999 Parc Lucille-Teasdale à Montréal est nommé en son honneur (45°17′45″N 73°21′21″W / 45.2959°N 73.3559°W / 45.2959; -73.3559)
  • 2000 Poste Canada émet un timbre de 46 sous en l’honneur de Lucille Teasdale.Lucille Teasdale-Corti
  • 2001 Lucille Teasdale est intronisée au Temple de la renommée médicale canadienne.

Lucille Teasdale-Corti

  • 2001 L’école secondaire de Lucille-Teasdale à Blainville, Québec est construite et nommée en son honneur. (45°43′15″N 73°53′49″W / 45.72085°N 73.897018°W / 45.72085; -73.897018)
  • 2013 L’école internationale de Lucille-Teasdale à Brossard, Québec est renommée en son honneur. (45°26′55″N 73°28′39″W / 45.448563°N 73.477444°W / 45.448563; -73.477444)
  • Le CSSS (Centre de Santé et de Services Sociaux) est nommé en son honneur à Montréal. (Lucille Teasdale-Corti45°34′09″N 73°34′37″W / 45.569159°N 73.577042°W / 45.569159; -73.577042) en plus d’un boulevard, le boulevard Lucille Teasdale. (45°43′32″N 73°30′40″W / 45.725485°N 73.511245°W / 45.725485; -73.511245)

Notes et références

  1. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie. Lucille Teasdale & Piero Corti., Montréal, Libre Expression, (ISBN 9782764807033), p. 25
  2. Ibidem, p. 61.
  3. L'ebino, mieux connue sous le nom d'Infant Oral Mutilation (OIM), est une pratique consistant en l'extraction des canines en éruption chez des enfants en bas âge souffrant de fièvre ou de diarrhée. Si elle est aujourd'hui beaucoup plus rare, elle était encore pratiquée dans le nord de l'Ouganda au début des années 60.
  4. « Bilan du siècle - Lucille Teasdale-Corti », sur usherbrooke.ca (consulté le ).
  5. « Lucille Teasdale », sur thecanadianencyclopedia.ca (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

Monographies

  • Michel Arseneault, Un rêve pour la vie. Lucille Teasdale & Piero Corti, Montréal, Libre Expression, 2011, 2e éd. (1ère éd. 1999).
  • Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, Montréal, XYZ, 2007.
  • Fondazione Piero et Lucille Corti / Fondation Teasdale-Corti, To Make a Dream Come True: Letters from Lacor Hospital, 1961 - 2003, Bergamo, Corponove, 2009.

Articles

  • Danny Lake-Giguère, Figures marquantes de la solidarité - 7e rencontre: Lucille Teasdale, [en ligne], [1].

Vidéographie

  • Dre Lucille. Motion internationale. (version française et anglaise)
  • Before I Go –Documentaire sur Lucille Teasdale par Michel Arseneault (aussi en français : Avant de vous faire mes adieux)

Autres médias

  • Ilaria Ferramosca et Chiara Abastanotti, Lucille, Montréal, Hachette Canada, 2013.

Liens externes