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Waka (poésie)

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Le waka (和歌?), ou yamato uta, est un genre de la poésie japonaise, à forme fixe. Apparu au VIIIe siècle dans l'aristocratie de la cour impériale, il est écrit avec le syllabaire kana, privilégiant ainsi l'oralité plutôt que l'écrit de la tradition chinoise. Il gagne toutes les catégories de la population et reste encore très populaire au XXe siècle. Forme brève, le waka mobilise de nombreuses références culturelles nationales, dans ses vers en utilisant la polysémie de l'écriture en kana pour un surplus de sens, mais aussi en associant le poème calligraphié à un contexte et à des circonstances où il acquiert sa puissance d'expression.

Quelques aspects

Waka de Mizuko Takahashi en 1917

« Cette poésie est apparue quand le ciel et la terre ont commencé de s'ouvrir. Il s'agit du poème qui chante l'union du dieu avec la déesse sous le pont flottant céleste[1]. »

— Ki no Tsurayuki - Préface en japonais du Kokin shû

Longévité de la forme poétique

« Il y eut d'excellents poètes qui, les règnes succédant aux règnes comme les nœuds aux nœuds sur une tige de bambou de Kure, se sont fait un nom. Une époque suivait l'autre, liées comme les fils tressés d'un cordonnet, et la tradition poétique ne connut pas d'interruption.[2]. »

— Ki no Tsurayuki - Préface en japonais du Kokin shû

Après la « période archaïque » où les formes poétiques sont encore primitives, la période Nara au VIIIe siècle voit la formalisation du nombre de vers et de syllabes pour différentes formes poétiques. Le waka s'impose alors avec sa forme toujours actuelle de cinq vers composés de 5-7-5-7-7 syllabes[3] : « À l'époque des dieux impétueux[n 1] le mètre de la poésie n'était pas réglé. L'expression était brute et le sens des propos, semble-t-il, difficile à saisir. Une fois venu le temps des hommes (...) on composa des poèmes de trente et une syllabes[1]. » Le waka étant une forme particulière de poésie courte tanka (voir Tanka (poésie)) on le trouve parfois désigné par ce terme, ou plus généralement encore comme uta, c'est-à-dire « la poésie ».

Une pratique quotidienne de communication sociale
Billet galant, lettre de félicitations ou de condoléances, demande de promotion, mot d'excuse, billet accompagnant l'envoi d'un présent, prière aux dieux ou au buddha, tout prenait la forme de waka[4].

Jacqueline Pigeot - La période de Heian

Pendant une courte période au IXe siècle le style chinois est glorifié, entraînant un déclin de la poésie vernaculaire, mais celle-ci retrouve sa place à la Cour Impériale avec la création de cercles aristocratiques où on échange des waka[5]. C'est au cours de l'époque Fujiwara (804 - 872) que se développent alors nombre de pratiques curiales autour du waka : poèmes pour paravent, concours de poésie, composition de recueils[5]. La création en 951 du Bureau de la Poésie consacre le waka, qui trouve sa forme définitive à l'époque classique du IXe au XIIIe siècle, identifiant clairement deux unités sémantiques : le tercet (japonais : hokku) et le distique (japonais : ageku)[6].

La prédominance du waka reste ensuite indiscutée jusqu'au XIVe siècle. Il envahit tous les autres genres littéraires : roman, théâtre, correspondance, journal, ouvrages historiques, et fait l'objet de traités[6]. Il donne alors naissance à d'autres formes poétiques tout en restant très présent. Le renga naît par exemple de la déclamation des waka par deux personnes, l'une pour le tercet et l'autre pour le distique, exercice qui évolue ensuite vers l'enchaînement par le tandem de plusieurs dizaines de stances. Le haïku naît quant à lui du tercet, qui acquiert alors une forme autonome sous ce nom[7],[8]. Le waka, qui était à l'origine un signe d'appartenance à l'aristocratie, se diffuse dans l'ensemble de la population.

Aujourd'hui encore, une célébration appelée « Première manifestation poétique » (japonais : uta kai hajime) (attestée depuis 1267) a lieu dans le palais impérial, au cours de laquelle la famille impériale, des personnalités de la société civile et des citoyens ordinaires, déclament des waka de leur composition, créés pour la circonstance sur un thème imposé. L'une des fonctions du waka serait ainsi, depuis l'époque classique, d'« exprimer le lien harmonieux qui unit la famille impériale à ses sujets »[9]. La vitalité actuelle de cette forme poétique est encore attestée par le succès populaire de la publication par une professeur de littérature d'un lycée de Kanagawa d'un recueil de sa composition[6] : L'anniversaire de la salade, (japonais : sarada kinenbi).

Espaces contextuels

« Le waka ne se prête guère à une approche naïve, il n'est pas possible de l'isoler du tissu organique des pratiques et de la réflexion dans lesquels il s'est développé et où il prend sens[6]. »

— Jacqueline Pigeot - Autour du waka

Le waka peut faire l'objet de deux modes de réception, qui ne s'excluent pas : expression d'un individu dans certaines situations (lettres de circonstance, concours), ou intégré à une production collective dans un recueil (ou encore un concours), ou encore comme citation accompagnant d'autres objets ou intégré à d'autres œuvres. Une introduction succincte, japonais : kotoba-gaki, précède alors le poème pour apporter un éclairage décisif sur les circonstances dans lesquelles il a été rédigé[10].

Paravent avec calligraphie (chinoise) - Musée Guimet, Paris
  • La cour impériale. L'espace le plus général pour le waka est, dès sa naissance, la cour impériale où se produit un incessant va-et-vient de poèmes de circonstances de cette forme, comme les « lettres du lendemain » que l'homme envoie à la femme dont il vient de prendre congé[10] et toutes les circonstances mentionnées par Jacqueline Pigeot (voir encadré). Toute personne de la cour se devait de maîtriser ce moyen de communication[11].
  • Les joutes poétiques. Les waka donnent lieu à des joutes poétiques (japonais : uta awase) sur des thèmes (comme « fleurs de prunier » ou « vent d'automne ») annoncés sur place ou à l'avance, concours qui évoluent pour devenir des cérémonies très solennelles, aux enjeux honorifiques parfois considérables. Elles rassemblaient également des objets en relation avec le thème, et étaient initialement arbitrées par les participants eux-mêmes, puis par des poètes faisant autorité mais qui devaient argumenter leur verdict, ce qui favorisa l'approfondissement de la réflexion sur cette forme poétique[10],[12] en particulier dans les procès-verbaux des concours[11].
Peinture de paravent
Le souverain[n 2] contempla (...) des peintures figurant sur un paravent. Trouvant intéressante la chute d'eau d'une cascade, Il ordonna aux personnes en service de produire des poèmes sur ce thème ; aussi la Dame composa celui-ci.
S'agit-il ici
D'une cascade de sentiments
Dans le cœur retenus ?
Je vois, certes, qu'elle tombe
Mais je n'entends aucun bruit
[13].

Kokin waka shû - Livre XVII - 930

  • Les recueils rassemblent des éléments à l'origine indépendants pour bâtir un discours, travail minutieux de sélection et de classement aboutissant à un système cohérent d'association et d'enchaînements[14] autour d'un thème comme le regret du temps qui passe (saison, amours) pour le Kokin waka shû, ou spirituel et biographique pour le Sanshô Dôei. Ce travail peut être repris à différentes époques comme le Sanshô-Dôei, recueil des waka de Maître Dôgen, vers 1420 puis vers 1700[15] : une anthologie de chefs-d’œuvre devient ainsi un chef-d’œuvre en soi, dans lequel un poème trouve une nouvelle signification[6].
  • Les paravents. À partir de la seconde moitié du IXe siècle, des paravents ornés de motifs japonais font l'objet de composition de waka (byobu uta) destinés à être calligraphiés sur le paravent ou simplement récités devant, parole d'un personnage peint ou d'un spectateur[12], discours sur le monde à partir d'une représentation du monde[16]. Le waka peut être calligraphié dans le paysage[17], ou sur des « papiers collés » figurés[18], ou encore des éventails peints eux-mêmes sur le paravent[19].
  • La citation. La citation de fragments de waka ou de poèmes entiers est très fréquente dans l'ensemble des genres littéraires, particulièrement à l'époque d'Edo XVIIe au XIXe siècle. Zeami (1363-1443) fait ainsi de la citation de waka anciens l'une des pièces maîtresses de son dispositif dramatique[6].

Dans toutes ces circonstances, le waka acquiert sa puissance d'expression inséré dans un ensemble d'objets traduisant les intentions de l'auteur, et il n'est qu'un des éléments du message. Le support, les objets qui accompagnent le waka, (ou que le waka accompagne : il peut ainsi suivre un poème long qu'il résume[n 3]) le porteur, éléments importants que le compilateur mentionne. Le waka devient parole de l'objet : paysage du paravent, thème du concours, cadeau... et insère l'objet dans une relation de personne à personne[21].

Esthétique

« C'est ainsi qu'à célébrer les fleurs, à envier les oiseaux, à s'émouvoir du brouillard, à s'apitoyer sur la rosée, les émotions poétiques et les expressions pour les chanter se multiplièrent et devinrent plus variées[1]. »

— Ki no Tsurayuki - Préface en japonais au Kokin shû

Les thèmes pouvant être abordés sont clairement définis et en nombre restreint : saisons, amours, deuils, voyages, célébration, religion, nature, eau... qui se déclinent en sous-thèmes[22], [23]. La religion, la spiritualité est présente dans un syncrétisme entre le shinto et le bouddhisme, le waka étant même présenté comme une Voie donnant accès au salut bouddhique[6]. Certains thèmes sont par contre proscrits : corps humain, nourriture, guerre, satire...[23],[4].

À chaque thème sont associés des éléments renvoyant eux-mêmes à un sentiment, et la principale finalité du vocabulaire est d'émouvoir dans une expression de la sensibilité d'apparence spontanée. « Le waka est tenu pour le témoignage par excellence sur la personne du poète parce qu'il est censé avoir jailli spontanément de son cœur[24] » le travail de l'imagination ne doit pas transparaître. Mais la fleur, la neige, restent, au-delà du code, un objet de contemplation[10].

Le waka, ni abstraction ni représentation
Puisque c'est la forme qui fait le sens, le langage poétique privilégie le signifiant. De ce fait même, il récuse la fonction cognitive du langage en tant que médiation transparente d'un message informatif. Le langage de la poésie n'est pas celui de la communication ; il n'est pas non plus au service de la description référentielle (...) ni abstraction ni représentation[25].

Yoko Orimo - Le langage poétique chez Dôgen

Le printemps renvoie à la rosée, la rosée renvoie aux larmes, dans le cadre d'un langage codé que le poète devait respecter sous peine de rendre son poème incompréhensible[23]. Ainsi les sentiments ne sont pas analysés ni même explicités, mais simplement suggérés dans une esthétique de l'allusion, condition de la brièveté du waka, qui permet au poète de laisser entendre plus qu'il ne dit : le « surplus de sens » (japonais : amari no kokoro), les allusions pouvant ne reposer que sur des coïncidences d'homophonie[23],[4].

Le vocabulaire ainsi limité par cette codification et la recherche d'euphonie ne doit être ni vulgaire ni effrayant, et le chinois en est banni. Comme généralement dans la poésie japonaise, la rime en est bannie. Le langage s'y démarque du langage ordinaire, on n'y trouve ainsi ni les marqueurs honorifiques couramment utilisés au Japon (et cette absence, qui permet au waka d'être repris à son compte par tout un chacun, contribue à sa diffusion[6]), ni indication du sexe du locuteur[6],[23]. Des lexiques (japonais : uta-makura) de mots et d'expressions de la langue poétique sont constitués par des poètes-lettrés[11],[26].

La calligraphie est une belle écriture du waka et le poème calligraphié devient de fait un objet autonome, ne respectant pas l'unité sémantique du vers ou la structure métrique[16]. Mais le waka est une poésie entre l'écriture et la vocalité, constamment soulignée. Toute la poésie japonaise est du côté de la vocalité et la beauté du waka est malgré tout de l'ordre du sonore[27], « Fondamentalement, un poème est quelque chose qui sonne bien ou mal lorsqu'on le dit à haute voix[n 4] ». L'oralité prévaut sur l'écrit, et des traités sont consacrés à la qualité phonique du waka, pure expression vocale : « dans son essence, le waka serait un cri »[28], le waka prend vie et couleurs lorsqu'il est récité ou chanté et la forme graphique du kana « préserve la polysémie du signifiant en tant qu'image acoustique »[27]

« À écouter la fauvette qui chante parmi les fleurs ou la grenouille qui gîte dans les eaux, on voit qu'il n'est pas d'être vivant qui ne chante son chant [ne compose de poème][29]. »

— Ki no Tsurayuki, Préface en japonais au Kokin shû

La poétique du waka s'inscrit ainsi dans une triple exigence : le respect des règles (vocabulaire, mètre...), l'expression (intéressante, nouvelle) d'une émotion (personnelle) et l'inscription dans une tradition (langage codé), trois contraintes qui correspondent également à un triple registre de l'imaginaire : collectif (traditions), personnel (émotion individuelle), réalité (codifiée, la Nature)[30].

Surplus de sens

« Esthétique de l'allusion, le propre du bon poète étant de laisser entendre plus qu'il ne dit, en ménageant un surplus de sens[4]. »

— Jacqueline Pigeot - La littérature japonaise

Pour favoriser l'expression malgré la brièveté formelle du waka, le poète dispose de différents moyens rhétoriques allusifs, ou de jeux de mots, apportant un « surplus de sens » (japonais : amani no kokoro) au poème. Ainsi, le Kokin waka shû utilise abondamment les Makura-kotoba, les Kake-kotoba et les Mitate, et le Kake-kotoba est également très fréquent dans le Sanshô Dôei.

  • Makura kotoba « mot oreiller » ou « mot initiateur » ou « épithète de convention ». Presque toujours composé de cinq syllabes, il correspond alors au premier vers du waka et introduit un terme significatif, central, du poème. Il peut être rapproché de la notion d'épithète homérique[n 5] , mais n'a souvent qu'un rapport très ancien et oublié (analogie phonétique ou association d'idées) mais connu de tous avec le terme introduit[31],[32],[10].
Exemple: azusa yumi « arc de catalpa », évoquant par sa forme le croissant de la lune et le mois lunaire, introduit le printemps[33] [waka 27 du Sanshô-dôei]
Exemple (encadré) : karakoromo « beau vêtement » introduit le verbe kitsuru « porté »[31].
Waka associant
acrostiche, Makura kotoba et Engo
À mon épouse
Me suis attaché, comme à
Un beau vêtement
Depuis longtemps porté, aussi
Ce voyage lointain m'attriste
[34].

Kokin waka shû - Livre IX - 410

  • Jo kotoba « motif initiateur ». Il a la même fonction que le makura kotoba mais peut occuper deux ou trois vers, et sa forme dépend du poète[31].
  • Kake kotoba « mot pivot ». Ce procédé utilise la polysémie fréquente des mots japonais écrits en kana, transformant l’ambiguïté lexicale d'un mot en complexité et épaisseur sémantique, un mot pouvant avoir jusqu'à quatre significations[35],[31].
Exemple: asa « lin + matin » suivi de yufu « coton + soir »[35] [waka 28 du Sanshô-dôei]
  • Engo « mot associé » ou « mot en relation ». L'auteur utilise des mots ayant une polysémie dans deux univers, ce qui doit susciter dans l'esprit du lecteur surprise, admiration et émotion[31], par exemple « la neige » et le verbe « fondre (en larmes) ».
Exemple (encadré, quatre mots associés du domaine du vêtement) : narenishi = « assoupli + être attaché (à quelqu'un) » - tsuma = « bord d'un vêtement + épouse » - haru = « amidonné + lointain » - kinuru = « porté + parcouru »[31]
  • Mitate « identification fictive » associant deux objets absolument différents.
Exemple : les fleurs du cerisier (blanches) et les flocons de neige : « Du ciel tombent les fleurs »[31] [waka 330 du Kokin waka shû]
  • Meisho « sites célèbres chantés en poésie ». Certains sites sont associés à des éléments distinctifs, que citent les poètes en fonction du thème qu'ils traitent.
Exemple : la baie de Naniwa, évoquant les roseaux[31], les toponymes Hirose et Tatsuta, célèbres sanctuaires, évoquant le Shintô[36]
  • Honkadori « pastiche de poème ancien, composition sur un poème de base »[37],[35]. Il superpose au poème original les images que celui-ci a éveillées chez le lecteur « réalisant ainsi l'une des virtualités qu'il contenait à l'état latent »[38]. Ce procédé correspond à une caractéristique majeure de l'esthétique japonaise, aimant à revisiter et à triturer les choses déjà existantes plutôt que rechercher une nouveauté absolue, mais avec un goût pour les variations et le pastiche[35]. Cette intertextualité n'est possible que dans une société ayant clairement circonscrit son patrimoine littéraire[37].
  • Omokage « résonance ». Largement attesté dans le waka, il y apparaît principalement dans le thème de l'amour. Ce terme désigne l'inspiration (le sens) qui déborde de l'expression, l'impression suscitée par un ensemble de notations dont aucune n'est visuelle[39].

Poésies japonaise vs chinoise

« Dans le cas de la poésie des Chinois, la forme en est établie (...) De ce fait, les qualités et les défauts des poèmes apparaissent de façon évidente et on ne peut la traiter à la légère (...)
En revanche, la poésie japonaise paraît facile et présente des traits qui la font prendre à la légère (...). C'est seulement lorsqu'on est entré à fond dans ce domaine que l'espace se déploie à l'infini et que l'on peut sentir qu'il est aussi illimité que les flots de la mer.[40]. »

— Shunzei - Notes sur les styles depuis l'Antiquité

Au VIIIe siècle, le Japon s'est mise à l'école de la Chine en adoptant sa langue, pour l'administration comme pour la poésie. Mais une poésie de cour apparaît en japonais, principalement pratiquée par les femmes[5], faisant référence à une tradition nationale encore antérieure[41], et, au Xe siècle, le waka apparaît comme le seul genre littéraire conçu en langue nationale digne de la même attention que la prestigieuse poésie chinoise[42]. C'est ainsi que le waka fut la seule forme littéraire en langue vernaculaire qui valût d'être signée, expression personnelle, authentique et prestigieuse de l'auteur[43].

Le mot waka signifiant « poésie en japonais » suppose donc l'existence d'une poésie en langue étrangère : le chinois, auréolée par son ancienneté et sa vitalité. L'originalité de la tradition nationale est alors revendiquée et théorisée pour différencier le waka de la poésie chinoise. Selon Shunzei, c'est le kana, écriture phonétique, syllabaire, qui constitue la matrice du waka par opposition aux caractères chinois qui restent cependant la « vraie écriture » : ne pouvant rivaliser à l'écrit, la poésie nationale se tourne vers la vocalité, et, face à une production hautement élaborée, le waka se tourne à l'époque classique vers une « pureté originelle » de la « nature primitive », d'une pure vocalité[44].

Ainsi, Yoko Orimo souligne la différence qu'implique l'écriture vernaculaire japonaise, particulièrement dans le Sanshô Dôei de Maître Dôgen : « Sa beauté [du Sanshô Dôei] est avant tout de l'ordre du sonore, l'oralité y prévalant sur l'écrit. C'est pourquoi, quant à la forme graphique du waka, le kana, alphabet japonais, lui convient mieux que l'idéogramme chinois sémantiquement déterminé[27]. »

Traduction et compréhension

« Transplanté dans un milieu étranger au terreau où il s'est formé, isolé d'un monde où chaque pièce ne prenait son sens que par rapport à celles qui l'accompagnaient ou l'avaient précédée, ou encore à la prose qui y préludait, amputé des références implicites aux conventions avec lesquelles il jouait, le waka, ainsi dépouillé, peut faire piètre figure[45]. »

— Jacqueline Pigeot- Questions de poétique japonaise

Certaines caractéristiques esthétiques et formelles des waka compliquent la tâche des traducteurs, voire la rendent impossible : comment rendre l'harmonie euphonique[46], la multiplicité des sens de chaque mot utilisé par le poète, astuce littéraire, ouvrant plusieurs niveaux d'interprétation et une complexité sémantique intraduisible[47]. Le traducteur est alors tenté de déclarer forfait[39] devant ce qu'il peut considérer comme un abus de chevilles, de jeux de mots, d'épithètes dont le sens est perdu, désespoir du traducteur[3].

Le lecteur occidental d'une traduction peut alors ressentir une impression de ressassement par ce vocabulaire restreint, ces images peu nombreuses[41], considérer comme un excès de raffinement la préciosité de cette poésie nuisant à un « véritable élan poétique »[3]. Ces difficultés sont un obstacle à la compréhension du waka qui peut alors apparaître « grêle, indigent, dérisoire » et pour beaucoup d'occidentaux le waka « n'est pas un vin assez corsé »[45].

C'est pourquoi le waka se prête mal à l'approche « naïve » d'une traduction traditionnelle, sans commentaires, telle que celle de G. Renondeau de nature interprétative. Plus souvent les traducteurs accompagnent leur proposition de commentaires pour « ne pas l'isoler du tissu organique des pratiques et de la réflexion dans lesquels il s'est développé et où il prend sens » [45]. C'est le cas de Jacqueline Pigeot et de Yoko Orimo qui proposent chacune des traductions littérales (mais certaines particularités de la langue japonaise laissent une marge importante au traducteur[47]) accompagnées d'éclairages révélant « certaines aspects, implicites mais significatifs, de la représentation que se faisaient les Japonais de l'essence de leur poésie »[45].

Pour approfondir

Commentaires

  1. Traduction d'un makura kotoba, forme largement utilisée dans le waka, mot « initiateur », celui-ci introduisant le mot « dieu »
  2. Il s'agit de l'empereur Montoku de Tumura (850-858)
  3. Voir par exemple les deux waka qui suivent Sur la mort de mon fils Furui[20]
  4. Citation de Fujiwara no Shunzei par Jacqueline Pigeot
  5. J. Pigeot mentionne ainsi le makura kotoba « la nuit couleur de myrtille » qui fait penser à l'épithète homérique « l'aurore aux doigts de rose »

Références bibliographiques

  1. a b et c Ki no Tsurayuki, Préface en japonais, p. 55-57
  2. Ki no Tsurayuki, Préface en japonais, p. 65
  3. a b et c G. Renondeau, Préface, p. 8-10
  4. a b c et d J. Pigeot, La période de Heian - La poésie, p. 15-16
  5. a b et c M. Vieillard-Baron, Préface au Kokin waka shû, p. 12-14
  6. a b c d e f g h et i J. Pigeot, Autour du waka, p. 3-6
  7. Y. Orimo, Dôgen, maître zen, et waka, p. 19 notes 13 et 14
  8. G. Renondeau, Préface, p. 12
  9. M. Vieillard-Baron, Préface aux Joyaux d'or, p. 8-9
  10. a b c d et e F. Yosano, Brève note sur le tanka, p. 17-18
  11. a b et c J. Pigeot, Une poésie entre écriture et vocalité, p. 18
  12. a et b M. Vieillard-Baron, Préface au Kokin waka shû, p. 15-16
  13. Kokin waka shû, Livre XVII, 930, p. 390
  14. M. Vieillard-Baron, Préface au Kokin waka shû, p. 23 et 30
  15. Y. Orimo, Qu'est-ce que le Sanshô Doei, p. 24-25
  16. a et b J. Pigeot, Une poésie entre écriture et vocalité, p. 22-23
  17. P. Griolet, Poésie et paravent à l'époque classique, p. 81-87
  18. A.-M. Christin, Cerisiers en fleurs et érables d'automne avec des poèmes suspendus, p. 170-174
  19. M. Yasuhara, Les paravents aux livres d'éventails, p. 205-210
  20. Yamanoue no Okura, Anthologie, p. 53
  21. J. Pigeot, Une poésie entre écriture et vocalité, p. 25-28
  22. Y. Orimo, Physionomie du recueil, p. 253-254
  23. a b c d et e M. Vieillard-Baron, Préface, p. 34-35
  24. J. Pigeot, L'imagination en poésie à l'époque du shinkokin-shû, p. 32
  25. Y. Orimo, Études stylistiques, p. 247
  26. J. Pigeot, Glossaire, p. 142
  27. a b et c Y. Orimo, Le waka au coeur de la langue japonaise, p. 249
  28. J. Pigeot, Une poésie entre écriture et oralité, p. 9-10
  29. Ki no Tsurayuki, (Trad. J. Pigeot) Une poésie entre écriture et vocalité, p. 9
  30. J. Pigeot, L'imagination en poésie à l'époque du shinkokin-shû, p. 39
  31. a b c d e f g et h M. Vieillard-Baron, Le waka et les figures poétiques, p. 36-42
  32. G. Renondeau, Préface, p. 9
  33. Y. Orimo, Note stylistique et mots-clé, p. 135
  34. Kokin waka shû, Livre IX, 410, p. 222
  35. a b c et d Y. Orimo, Le waka au coeur de la langue et de la culture japonaise, p. 249-251
  36. Y. Orimo, Études stylistiques, p. 260
  37. a et b M. Vieillard-Baron, Préface, p. 19-20
  38. J. Pigeot, L'imagination en poésie, p. 53
  39. a et b J. Pigeot, L'imagination en poésie à l'époque du shinkokin-shû, p. 42-43
  40. Shunzei, Cité et traduit par J. Pigeot, p. 13
  41. a et b J. Pigeot, Le siècle de Nara, p. 4-6
  42. J. Pigeot, Autour du waka, p. 18
  43. M. Vieillard-Baron, Les thèmes poétiques et la langue du waka, p. 12
  44. J. Pigeot, Une poésie entre écriture et vocalité, p. 12-15
  45. a b c et d J. Pigeot, Une poésie entre écriture et oralité, p. 7-8
  46. J. Pigeot, La poésie, p. 17
  47. a et b Notes préliminaires de la traduction, p. 35-38

Bibliographie

Les ouvrages présentés proposent non seulement des versions bilingues des recueils de wakas, mais aussi des commentaires relatifs au contexte, aux formes rhétoriques spécifiques et aux questions de traduction.

Etudes et anthologies occidentales

  • Jacqueline Pigeot et Jean-Jacques Tschudin, La littérature japonaise, PUF, coll. « Que sais-je ? », , 128 p. (ISBN 9782130379928)
  • Jacqueline Pigeot, Questions de poésie japonaise, PUF, coll. « Orientales », , 142 p. (ISBN 9782130479222)
    Réunion d'articles publiés séparément - Le thème du waka est abordé dans chaque chapitre par rapport aux autre formes (listes, renga...) - Bibliographie et glossaire
  • Anthologie de la poésie japonaise classique (trad. du japonais par G. Renondeau et B. Frank, préface et commentaires de G. Renondeau), nrf Poésie / Gallimard, coll. « Unesco / Œuvres représentatives », , 256 p. (ISBN 9782070321773)
    Sélection de waka des différentes périodes historiques, de Nara aux Tokugawa - La traduction a été relue par B. Franck
  • G. Renondeau, « Préface », dans Anthologie, p. 7-15
    Historique et critique de la forme poétique du waka
  • Anne-Marie Christin (Direction scientifique), Paravents japonais : Par la brèche des nuages, Citadelles & Mazenod, (ISBN 9782850888304)
    Livre d'art présentant des paravents ornés de waka directement ou sur des papiers collés ou encore des éventails

Recueils anciens

  • Izumi Shikibu (trad. du japonais par Fumi Yosano, présentation par Fumi Yosano), Poèmes de cour, Orphée / La Différence, , 127 p. (ISBN 9782729106447)
    Sélection de 99 waka d'un recueil du X°s - Texte original et traduction
  • Fumi Yosano, « Présentation », dans Poèmes de cour, p. 7-18
    Présentation de l'auteur et de la poétique des tankas
  • Dôgen (trad. du japonais par Yoko Orimo, introduction et étude par Yoko Orimo), Dôgen et la poésie : Traduction du recueil de waka Sanshô-Dôei, Sully / Le Prunier, , 270 p. (ISBN 9782354323523)
    Recueil constitué au XVIe siècle de 63 waka du XIIIe siècle de Maître Dôgen, fondateur du Zen Sôtô
  • Yoko Orimo, « Introduction », dans Dôgen et la poésie, p. 11-38
    Présentation du recueil et de la place de la poésie chez Dôgen - Questions de traduction
  • Yoko Orimo, « Waka 1 à 63 », dans Dôgen et la poésie, p. 39-246
    Pour chaque waka : Texte japonais - Traduction - Lexique - Sources et collation - Note stylistique - Commentaires
  • Yoko Orimo, « Études stylistiques », dans Dôgen et la poésie, p. 247-270
    Approfondissement de différents aspects de la poétique de ces waka
  • Kokin waka shû : Recueil de poèmes japonais d'hier et d'aujourd'hui (trad. du japonais par Michel Vieillard-Baron, présentation par Michel Vieillard-Baron), Les Belles Lettres, coll. « Japon », , 514 p. (ISBN 9782251453088)
    Premier recueil impérial (ca 905) de waka de différents auteurs.
  • Ki no Tsurayuki, « Préface en japonais », dans Kokin shû, p. 55-71
    La préface en japonais, rédigée par le compilateur du recueil, développe la préface en chinois. Elle aborde les règles de la poétique et la philologie des waka, et rappelle les intentions du compilateur
  • Michel Vieillard-Baron, « Préface », dans Kokin shû, p. 11-54
    Présentation du recueil et de la forme poétique du waka
  • Recueil des joyaux d’or et autres poèmes : le waka classique (trad. Michel Vieillard-Baron, présentation par Michel Vieillard-Baron), Les Belles Lettres, coll. « Japon », 308 p. (ISBN 9782251722252)
    Réunion de trois anthologies impériales du XIIIe siècle

Recueil contemporain

  • Tawara Machi (trad. du japonais par Yves-Marie Allioux), L'Anniversaire de la salade [« Sarada kinenbi »], Picquier (1re éd. 1987), 137 p. (ISBN 9782809702187)
    Recueil de wakas modernes d'un unique auteur, ayant obtenu un immense succès populaire lors de sa publication en 1987 au Japon - La traduction ne reprend pas la structure en cinq vers
  • « Postfaces », dans Sarada kinenbi, p. 107-137
    Postfaces de l'éditeur japonais, de l'auteur et du traducteur

Voir aussi

Quelques poètes

Articles connexes

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