« Lucille Teasdale-Corti » : différence entre les versions

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
Lgdanny (discuter | contributions)
m Ajout de références bibliographiques pour les sections: Formation à l'Université de Montréal, Internat à Marseille et Arrivée en Ouganda
Lgdanny (discuter | contributions)
m Modification au présent narratif / historique
Ligne 8 : Ligne 8 :
}}
}}


'''Lucille Teasdale-Corti''', C.M., G.O.Q. est née à [[Montréal]] le {{date de naissance-|30 janvier 1929}} et décédée du sida le {{date de décès-|1 août 1996}} à [[Besana in Brianza]], en Italie. Pionnière québécoise du travail humanitaire, elle une [[médecin]] et [[Chirurgie|chirurgienne-pédiatre]] [[Canada|canadienne]] ayant travaillé à l'hôpital [https://www.lacorhospital.org/ St. Mary's Lacor], dans le nord de l'[[Ouganda]], durant {{nb|35 ans}}, de 1961 jusqu'à sa mort. Durant cette carrière, marquée successivement par l'indépendance du pays, le régime d'[[Idi Amin Dada]], la [[Guerre de brousse en Ouganda|guerre de brousse]] et l'[[insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur]] de [[Joseph Kony]], elle a grandement contribué au développement des services de santé dans le nord de l'Ouganda.
'''Lucille Teasdale-Corti''', C.M., G.O.Q. est née à [[Montréal]] le {{date de naissance-|30 janvier 1929}} et décédée du sida le {{date de décès-|1 août 1996}} à [[Besana in Brianza]], en Italie. Pionnière québécoise du travail humanitaire, elle est une [[médecin]] et [[Chirurgie|chirurgienne-pédiatre]] [[Canada|canadienne]] ayant travaillé dans le nord de l'[[Ouganda]] durant {{nb|35 ans}}, de 1961 jusqu'à sa mort. Durant cette carrière, marquée successivement par l'indépendance du pays, le régime d'[[Idi Amin Dada]], la [[Guerre de brousse en Ouganda|guerre de brousse]] et l'[[insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur]] de [[Joseph Kony]], elle a grandement contribué au développement des services de santé dans le nord de l'Ouganda.


== Biographie ==
== Biographie ==
Ligne 15 : Ligne 15 :
Lucille Teasdale est née à Montréal, au [[Québec]], le {{date-|30 janvier 1929}}. Elle est la quatrième enfant d’une famille de sept. Son père René Teasdale était propriétaire de la première épicerie de [[Guybourg]], un quartier ouvrier de l'est de la ville, près de la [[Garnison Montréal|base militaire de Longue-Pointe]]<ref name=":1">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=51|lieu=Montréal|éditeur=Libre Expression|date=2011|année première édition=1998|pages totales=|isbn=9782764805527|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Il était aussi marguillier de sa paroisse et juge de paix<ref name=":1" />. Sa mère, Juliette Sanscartier, était ménagère<ref name=":1" />.
Lucille Teasdale est née à Montréal, au [[Québec]], le {{date-|30 janvier 1929}}. Elle est la quatrième enfant d’une famille de sept. Son père René Teasdale était propriétaire de la première épicerie de [[Guybourg]], un quartier ouvrier de l'est de la ville, près de la [[Garnison Montréal|base militaire de Longue-Pointe]]<ref name=":1">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=51|lieu=Montréal|éditeur=Libre Expression|date=2011|année première édition=1998|pages totales=|isbn=9782764805527|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Il était aussi marguillier de sa paroisse et juge de paix<ref name=":1" />. Sa mère, Juliette Sanscartier, était ménagère<ref name=":1" />.


Très tôt, Lucille, qui avait peu de goût pour la vie domestique, s'est intéressée aux études, au grand bonheur de son père, un fils de cultivateur qui avait quitté l'école très tôt pour travailler<ref name=":2">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=53-54|lieu=|éditeur=|date=|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. En 1941, à l'âge de 11 ans, elle fut admise au pensionnat du [[Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie|Saint-Nom-de-Marie]], administré par les sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie à [[Outremont]]. Malgré des relations parfois difficiles avec les religieuses, qui imposaient aux jeunes filles un cadre de vie sévère<ref name=":2" />, le temps passé au pensionnat fut très formateur pour la jeune Lucille. C'est qu'elle formula pour la première fois le désir d'aller pratiquer la médecine humanitaire à l'étranger, suite à la visite en 1943 de religieuses missionnaires de l'Immaculée-Conception qui étaient de retour de [[Chine]]<ref name=":2" />. Elle fit part de ce désir à son père alors qu'ils assistaient ensemble à une partie de baseball des [[Royaux de Montréal (baseball)|Royaux de Montréal]]<ref name=":2" />.
Très tôt, Lucille s'intéresse aux études, au grand bonheur de son père qui, issu d'une famille de cultivateurs, avait quitté très jeune l'école pour travailler<ref name=":2">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=53-54|lieu=|éditeur=|date=|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. En 1941, à l'âge de 11 ans, elle est admise au pensionnat du [[Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie|Saint-Nom-de-Marie]], administré par les sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie à [[Outremont]]. Malgré des relations parfois difficiles avec les religieuses et le cadre de vie sévère du pensionnat<ref name=":2" />, cette époque est très formatrice pour Lucille. C'est en 1943, suite à la visite de [[Sœurs missionnaires de l'Immaculée-Conception|religieuses missionnaires de l'Immaculée-Conception]] de retour de [[Chine]] qu'elle développe le désir d'aller pratiquer la médecine humanitaire à l'étranger<ref name=":2" />. Peu après, elle fait part de ce désir à son père alors qu'ils assistent ensemble à une partie de baseball des [[Royaux de Montréal (baseball)|Royaux de Montréal]]<ref name=":2" />.


En 1945, Lucille obtint une bourse pour aller suivre son [[Collège classique|cours classique]] au collège Jésus-Marie, à Outremont, où ses excellents résultats scolaires lui valurent les louanges de ses enseignantes<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=85-86}}</ref>. Alors qu'elle était au collège, elle assista à une allocution de la D<sup>re</sup> Jeanne Marcelle Dussault, alors la seule femme à étudier la psychiatrie à la ''[[Université catholique d'Amérique|Catholic University of America]]'', à Washington D.C. Cette rencontre cimenta chez Lucille le désir de devenir médecin<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=57-58|consulté le=16 juin 2023}}</ref>.
En 1945, Lucille obtient une bourse pour aller suivre son [[Collège classique|cours classique]] au collège Jésus-Marie à Outremont, où ses excellents résultats scolaires lui valent les louanges de ses enseignantes<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=85-86}}</ref>. Alors qu'elle est au collège, elle assiste à une allocution de la D<sup>re</sup> Jeanne Marcelle Dussault, alors la seule femme à étudier la psychiatrie à la ''[[Université catholique d'Amérique|Catholic University of America]]'', à Washington D.C. Cette rencontre cimente chez Lucille le désir de devenir médecin<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=57-58|consulté le=16 juin 2023}}</ref>.


=== La formation à l'Université de Montréal ===
=== La formation à l'Université de Montréal ===
Lucille fut admise avec une bourse d'étude à la [[Faculté de médecine de l'Université de Montréal|faculté de médecine]] de l'[[Université de Montréal]] en 1950, dans une cohorte qui ne comptait que huit femmes parmi les 110 étudiants inscrits<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|langue originale=anglais|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=24|lieu=Montréal|éditeur=XYZ|date=2007|isbn=978-1-4593-2801-3|lire en ligne=https://canadacommons.ca/artifacts/1881473/lucille-teasdale/2630724/|accès url=limité|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Elle se spécialisa rapidement en chirurgie, un domaine presque exclusivement masculin. Malgré le soutien financier de son père, qui pouvait se permettre de payer les études de sa fille puisqu'elle était la seule parmi ses frères et sœurs à suivre une formation universitaire<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|format=pdf|pages=4}}</ref>, Lucille s'enrôla en 1952 dans le corps des cadets de l'armée de l'air pour payer ses frais de scolarité<ref name=":3">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=88-90}}</ref>. Après un premier entrainement à la [[Base des Forces canadiennes London|base aérienne de London]], en Ontario, elle fut transférée durant l'été 1953 à la [[base de Summerside]], à l'[[Île-du-Prince-Édouard|île du Prince-Édouard]], avant de quitter définitivement l'armée<ref name=":3" />. Durant les étés suivants, elle fit du bénévolat à une colonie de vacance pour enfants handicapés située aux abords du [[Lac Pierre]], à [[Saint-Alphonse-Rodriguez]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=91|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.
En 1950, Lucille est admise avec une bourse d'étude à la [[Faculté de médecine de l'Université de Montréal|faculté de médecine]] de l'[[Université de Montréal]]. Sa cohorte ne compte alors que huit femmes parmi les 110 étudiants inscrits<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|langue originale=anglais|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=24|lieu=Montréal|éditeur=XYZ|date=2007|isbn=978-1-4593-2801-3|lire en ligne=https://canadacommons.ca/artifacts/1881473/lucille-teasdale/2630724/|accès url=limité|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Elle se spécialise rapidement en chirurgie, un domaine qui, dans le Québec des années 1950, demeure presque exclusivement masculin. Malgré le soutien financier de son père, qui pouvait se permettre de payer les études de sa fille puisqu'elle était la seule parmi ses frères et sœurs à suivre une formation universitaire<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|format=pdf|pages=4}}</ref>, Lucille s'enrôle en 1952 dans le corps des cadets de l'armée de l'air afin de payer ses frais de scolarité<ref name=":3">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=88-90}}</ref>. Après un premier entrainement à la [[Base des Forces canadiennes London|base aérienne de London]], en Ontario, elle est transférée durant l'été 1953 à la [[base de Summerside]], à l'[[Île-du-Prince-Édouard|île du Prince-Édouard]], avant de quitter définitivement l'armée<ref name=":3" />. Durant les étés suivants, jusqu'à son départ pour Marseille en 1960, elle fait du bénévolat dans une colonie de vacance pour enfants handicapés située aux abords du [[Lac Pierre]], à [[Saint-Alphonse-Rodriguez]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=91|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.


Après l'obtention en 1955 de médecine d'un diplôme avec mention honorifique de l'Université de Montréal, Lucille poursuivit un internat en chirurgie pédiatrique à l'[[Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine|hôpital Sainte-Justine]], à Montréal<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=25|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Comme l'une des premières chirurgiennes québécoises<ref>{{Lien web |titre=Lucille Teasdale |url=https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/lucille-teasdale-1 |accès url=libre |site=L'Encyclopédie canadienne |date=18 février 2013 |consulté le=19 juin 2023}}</ref>, elle s'illustra par son énergie et ses compétences comme chirurgienne<ref name=":4">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie: Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=19-20|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Malgré son charisme et sa beauté, qui lui avaient valu quelques années plus tôt le titre de « Miss Médecine » de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, Lucille était d'un naturel plutôt discret, et ne fraternisait que très peu avec ses collègues de l'hôpital Sainte-Justine<ref name=":4" />. C'est néanmoins à cette époque qu'elle fit la rencontre de [[Piero Corti]], un médecin italien qui y réalisait alors un internat en pédiatrie<ref name=":4" />. Comme Lucille, Piero caressait lui aussi le rêve d'aller pratiquer la médecine à l'étranger<ref name=":0" />. Son frère Corrado était missionnaire jésuite au [[Tchad]], et son beau-frère avait pratiqué la médecine en Inde et en Afrique<ref name=":0" />. En 1958, après la fin de sa résidence à l'hôpital Sainte-Justine, Piero retourna en Italie. C'est à la suite de ce retour qu'il développa plus sérieusement son plan d'aller pratiquer la médecine en Afrique<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=69|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Pour sa part, Lucille poursuivit son internat à l'[[Hôpital Maisonneuve-Rosemont|hôpital Maisonneuve]] jusqu'en 1959 puis à l'[[Hôtel-Dieu de Montréal]] jusqu'en 1960<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=24|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.
Après l'obtention en 1955 de médecine d'un diplôme avec mention honorifique de l'Université de Montréal, Lucille poursuit un internat en chirurgie pédiatrique à l'[[Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine|hôpital Sainte-Justine]], à Montréal<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=25|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Comme l'une des premières chirurgiennes québécoises<ref>{{Lien web |titre=Lucille Teasdale |url=https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/lucille-teasdale-1 |accès url=libre |site=L'Encyclopédie canadienne |date=18 février 2013 |consulté le=19 juin 2023}}</ref>, elle s'illustre par son énergie et ses compétences en chirurgie<ref name=":4">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie: Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=19-20|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Malgré son charisme et sa beauté, qui lui avaient valu quelques années plus tôt le titre de « Miss Médecine » de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, Lucille est d'un naturel plutôt discret, et ne fraternise que très peu avec ses collègues de l'hôpital Sainte-Justine<ref name=":4" />. C'est néanmoins à cette époque qu'elle fait la rencontre du D<sup>r</sup> [[Piero Corti]], un médecin italien qui y suivait un internat en pédiatrie<ref name=":4" />. Comme Lucille, Piero entretien lui aussi le rêve d'aller pratiquer la médecine à l'étranger<ref name=":0" />, rêve auquel il est d'ailleurs plus familier que Lucille: son frère Corrado est missionnaire jésuite au [[Tchad]], et son beau-frère avait pratiqué la médecine en Inde et en Afrique<ref name=":0" />. En 1958, après la fin de sa résidence à l'hôpital Sainte-Justine, Piero retourne en Italie. De retour en Europe, il développe plus sérieusement son plan d'aller pratiquer la médecine en Afrique, ce dont il fait part à son frère lors d'un safari<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=69|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Alors que Piero commence à chercher un hôpital où s'installer, Lucille poursuit son internat à l'[[Hôpital Maisonneuve-Rosemont|hôpital Maisonneuve]] jusqu'en 1959 puis à l'[[Hôtel-Dieu de Montréal]] jusqu'en 1960<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=24|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.


Afin de terminer sa formation en chirurgie, Lucille devait effectuer un stage à l'étranger. De nombreux établissements américains rejetèrent sa candidature, malgré l'excellence de son dossier et les recommandations des médecins qui l'avaient supervisé à Montréal<ref name=":0">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=27|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Elle décida de poursuivre sa formation en France, où elle décrocha deux postes avec l'aide d'une collègue française de l'hôpital Sainte-Justine, la neurologue Annie Courtois<ref name=":5">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=25|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Elle y décrocha rapidement deux postes: elle pourrait faire une résidence à l'[[hôpital de la Conception]], à [[Marseille]], avant de poursuivre son internat au prestigieux [[Hôpital Necker-Enfants malades|hôpital des Enfants-Malades]] à [[Paris]]<ref name=":5" />.
Afin d'obtenir un diplôme en chirurgie, il était nécessaire d'effectuer un stage à l'étranger. De nombreux établissements américains rejetent la candidature de Lucille, malgré son excellent dossier et les recommandations de ses superviseurs à Montréal<ref name=":0">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=27|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Elle décide de poursuivre sa formation en France, où elle obtient deux postes avec l'aide d'une collègue française de l'hôpital Sainte-Justine, la neurologue Annie Courtois<ref name=":5">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=25|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Dès lors, le plan pour terminer sa formation en chirurgie semble clair: elle va faire une résidence à l'[[hôpital de la Conception]], à [[Marseille]], avant de poursuivre son internat au prestigieux [[Hôpital Necker-Enfants malades|hôpital des Enfants-Malades]] à [[Paris]]<ref name=":5" />.


=== L'internat à Marseille ===
=== L'internat à Marseille ===
Lucille Teasdale arriva à Marseille en septembre 1960 et, malgré les différences culturelles entre la France et le Québec, s'adapta rapidement à la vie marseillaise<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=28|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Peu après son arrivée, elle devint l'assistante du professeur Pierre Salmon, un chirurgien spécialisé dans la luxation congénitale de la hanche<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=61|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Ce séjour français fut néanmoins court. Dès son arrivée en France, Lucille renoua avec Piero Corti, à qui elle fit parvenir une carte postale dans laquelle elle indiquait sa nouvelle adresse<ref name=":5" />. Après un bref échange, Piero, qui revenait d'Afrique, s'empressa de lui demander un rendez-vous à Marseille<ref name=":6">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=26-27}}</ref>. Lors de cette rencontre, il lui raconta qu'il avait trouvé à Lacor, près de [[Gulu]], une ville du nord de l'Ouganda, un petit hôpital opéré par religieuses italienne où ils pourraient pratiquer ensemble la médecine humanitaire et aider les démunis<ref name=":6" />. Piero n'avait pas choisi l'Ouganda au hasard: alors que l'ancien Congo belge, devenu indépendant en 1960, était secoué par une guerre de sécession, l'Ouganda, la « perle de l'Afrique » de [[Winston Churchill]], était encore un protectorat britannique. Le pays était en voie d'obtenir son indépendance, mais le gouvernement britannique avait pris le soin, depuis plusieurs décennies, d'éduquer les élites ougandaises afin qu'elles puissent éventuellement succéder à l'administration coloniale<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=18|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.
Lucille Teasdale arrive à Marseille en septembre 1960 et, malgré les différences culturelles entre la France et le Québec, s'adapte rapidement à la vie marseillaise<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=28|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Peu après son arrivée, elle devient l'assistante du professeur Pierre Salmon, un chirurgien spécialisé dans la luxation congénitale de la hanche<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=61|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Ce séjour français est néanmoins court. Dès son arrivée en France, Lucille renoue avec Piero Corti, à qui elle fait parvenir une carte postale dans laquelle elle indique sa nouvelle adresse<ref name=":5" />. Après un bref échange, Piero, tout juste revenu d'Afrique, s'empresse de lui demander un rendez-vous à Marseille<ref name=":6">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=26-27}}</ref>. Lors de cette rencontre, il lui raconte qu'il a trouvé à Lacor, près de [[Gulu]], une ville du nord de l'Ouganda, un petit hôpital opéré par religieuses italienne où ils pourraient pratiquer ensemble la médecine humanitaire et aider les démunis<ref name=":6" />. Piero n'avait pas choisi l'Ouganda au hasard: alors que l'ancien Congo belge, devenu indépendant en 1960, était secoué par une guerre de sécession, l'Ouganda, la « perle de l'Afrique » de [[Winston Churchill]], était encore un protectorat britannique. Le pays était alors en voie d'obtenir son indépendance, mais le gouvernement britannique, depuis plusieurs décennies, avait pris le soin d'éduquer les élites ougandaises afin qu'elles puissent éventuellement succéder à l'administration coloniale<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=18|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.


Piero ne pouvait pas offrir à Lucille un salaire: au mieux, en plus du logement et de la nourriture, il pouvait lui payer son billet d'avion et des cigarettes<ref name=":6" />. Cela ne dérangea pas Lucille, qui se souciait peu de ce genre de choses et pour qui la médecine était avant tout une passion<ref name=":7">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=65|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Plus jeune, alors qu'elle était au collège, elle avait réalisé qu'elle ne voulait pas pratiquer la médecine pour l'argent mais bien pour aider les plus démunis<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=3}}</ref>. À l'hôpital Sainte-Justine, elle s'était aussi offusquée que des chirurgiens pédiatriques priorisaient parfois des patients adultes, qu'ils voyaient en pratique privée, au lieu de se consacrer à soigner les enfants<ref name=":7" />. Pour Lucille, la médecine était « si passionnante que les médecins devraient payer pour avoir le privilège de pratiquer »<ref name=":7" />. Après avoir passé les vacances de Noël 1960 dans la famille de Piero, à Milan, Lucille accepta de l'accompagner en Ouganda pour quelques mois, avant de revenir à Marseille<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=70|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.
Piero ne pouvait pas offrir à Lucille un salaire: au mieux, en plus du logement et de la nourriture, il pouvait lui payer son billet d'avion et des cigarettes<ref name=":6" />. Cela ne dérange pas Lucille, pour qui la médecine était avant tout une passion<ref name=":7">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=65|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Plus jeune, alors qu'elle était au collège, elle avait réalisé qu'elle ne voulait pas pratiquer pour l'argent mais bien pour aider les plus démunis<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=3}}</ref>. À l'hôpital Sainte-Justine, elle s'était aussi offusquée que des chirurgiens pédiatriques priorisaient parfois des patients adultes, qu'ils voyaient en pratique privée, au lieu de se consacrer à soigner les enfants<ref name=":7" />. Pour Lucille, la médecine était « si passionnante que les médecins devraient payer pour avoir le privilège de pratiquer »<ref name=":7" />. Après avoir passé les vacances de Noël avec la famille de Piero à Milan, Lucille accepte de l'accompagner en Ouganda pour quelques mois, avant de revenir à Marseille<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=70|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.


=== L'arrivée en Ouganda ===
=== L'arrivée en Ouganda ===
[[Fichier:Lucille Teasdale.jpg|vignette]]
[[Fichier:Lucille Teasdale.jpg|vignette]]
Lucille et Piero atterrirent à l'[[Aéroport international d'Entebbe|aéroport d'Entebbe]] à bord d'un avion de l'aviation militaire italienne en mai 1961. Ils se rendirent immédiatement à [[Kampala]] afin d'obtenir du D<sup>r</sup> [[Denis Parsons Burkitt]], un chirurgien britannique de l'hôpital universitaire de Mulago, une licence pour permettre à Lucille de pratiquer la médecine en Ouganda<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=41|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Le surlendemain de leur arrivée, Lucille et Piero se mirent en route pour Gulu, la principale ville du nord de l'Ouganda. Il s'agissait du cœur du territoire des [[Acholi (peuple)|Acholis]], un des groupes ethniques les plus importants du nord du pays.
Lucille et Piero atterrissent à l'[[Aéroport international d'Entebbe|aéroport d'Entebbe]] à bord d'un avion de l'aviation militaire italienne en mai 1961. Ils se rendent immédiatement à [[Kampala]] afin d'obtenir du D<sup>r</sup> [[Denis Parsons Burkitt]], un chirurgien britannique de l'hôpital universitaire de Mulago, une licence pour permettre à Lucille de pratiquer la médecine en Ouganda<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=41|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Le surlendemain de leur arrivée, Lucille et Piero se mettent en route pour Gulu, la principale ville du nord de l'Ouganda, au cœur du territoire des [[Acholi (peuple)|Acholis]].


L'hôpital St. Mary's Lacor avait été fondé en 1959 à Lacor, à quelques kilomètres à l'ouest de Gulu, par des missionnaires italiens [[Missionnaires comboniens du Sacré-Cœur|comboniens du Sacré Cœur]]. Il était administré par le [[Archidiocèse de Gulu|diocèse de Gulu]], dont l'évêque, Giovanni Cesena, était lui-aussi italien. Piero l'avait choisi parce que ce dernier avait accepté de lui laisser une certaine indépendance quant à la gestion de l'établissement. Au début des années 60, ce petit établissement ne comptait que 40 lits, avec un service de maternité et une clinique externe, mais aucun lit de chirurgie<ref name=":8">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=6}}</ref>. À cette époque, des travaux étaient déjà en cours pour élargir l'hôpital et le doter d'une salle d'opération ainsi que de pavillons de médecine et de radiologie<ref name=":8" />. Dès son arrivée, Lucille fut submergée, voire même angoissée, par l'ampleur du travail qui l'attendait: elle était la seule chirurgienne de la région, qui comptait une population de 40 000 personnes<ref name=":9">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=38-39|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Le lendemain de son arrivée à l'hôpital, elle fut appelée à performer une [[césarienne]], bien qu'il s'agissait d'une intervention qu'elle n'avait jamais encore pratiquée et pour laquelle elle ne disposait que de connaissances théoriques<ref name=":9" />. Il s'agissait de sa première chirurgie en Ouganda.
L'hôpital St. Mary's Lacor avait été fondé en 1959 à Lacor, à quelques kilomètres à l'ouest de Gulu, par des missionnaires italiens [[Missionnaires comboniens du Sacré-Cœur|comboniens du Sacré Cœur]]. Il était alors opéré par des religieuses et administré par le [[Archidiocèse de Gulu|diocèse de Gulu]], dont l'évêque, Giovanni Cesena, était lui-aussi italien. Piero l'avait choisi parce que ce dernier avait accepté de lui laisser une certaine indépendance quant à la gestion de l'établissement. Au début des années 60, ce petit établissement ne compte que 40 lits, avec un service de maternité et une clinique externe, mais aucun lit de chirurgie<ref name=":8">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=6}}</ref>. À cette époque, des travaux étaient déjà en cours pour élargir l'hôpital et le doter d'une salle d'opération ainsi que de pavillons de médecine et de radiologie<ref name=":8" />. Dès son arrivée, Lucille est submergée, voire même angoissée, par l'ampleur du travail qui l'attend: elle est la seule chirurgienne de la région, qui comptait alors une population de 40 000 personnes<ref name=":9">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=38-39|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Dès lendemain de son arrivée à l'hôpital, elle est appelée à performer une [[césarienne]], bien qu'il s'agisse d'une intervention qu'elle n'a jamais encore pratiquée et pour laquelle elle ne dispose que de connaissances théoriques<ref name=":9" />. Il s'agit de sa première chirurgie en Afrique.


L'important achalandage de patients et l'ampleur du travail à réaliser convainquirent Lucille de prolonger indéfiniment son séjour en Ouganda. L'objectif était - et demeure encore aujourd'hui - d'offrir les meilleurs soins possibles à l'une des populations les plus pauvres du pays, chez qui des pratiques nocives comme l'''ebino''<ref>L'<nowiki/>''ebino'', mieux connue sous le nom d'''Infant Oral Mutilation'' (OIM), est une pratique consistant en l'extraction des canines en éruption chez des enfants en bas âge souffrant de fièvre ou de diarrhée. Si elle est aujourd'hui beaucoup plus rare, elle était encore pratiquée dans le nord de l'Ouganda au début des années 60.</ref> étaient encore fréquentes. À ces coutumes s'ajoutait un vaste éventail de blessures et d'infections parasitaires, ainsi que la difficulté à traiter les patients locaux. Lucille voyait des patients en consultation externe durant l'avant-midi avant de procéder à des chirurgies durant l'après-midi, installée dans un bloc opératoire temporaire<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=40|consulté le=19 juin 2023}}</ref>, le tout dans des conditions matérielles beaucoup plus difficiles que celles d'un un établissement occidental. L'hôpital n'avait généralement de l'électricité qu'entre 19:00 et 22:00<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=75}}</ref>. Alors que Lucille pratiquait la médecine, Piero tentait de trouver du financement et du matériel pour assurer le fonctionnement de l'établissement<ref name=":10">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=42}}</ref>. La fin de semaine, ils chassaient ou visitaient des parcs nationaux<ref name=":10" />. Après quelques mois en Ouganda, Lucille accepta de demeurer un peu plus longtemps à l'hôpital, à la demande de Piero, qui la demanda en mariage<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=79}}</ref>. De retour en Afrique en décembre 1961, après une brève séparation, Lucille et Piero se marièrent dans la chapelle de l'hôpital de Lacor<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=115}}</ref>.
L'important achalandage de patients et l'ampleur du travail à réaliser convainquent Lucille de prolonger indéfiniment son séjour en Ouganda. Dès le début, les patients acholis s'avèrent difficiles à traiter, ce que Lucille souligne dans sa correspondance avec sa sœur Lise. Cette population, l'une des plus pauvres du pays, pratiquait encore de des coutumes comme l'''ebino'', qui consiste en l'extraction des canines en éruption chez les enfants en bas âge malades<ref>Mieux connue sous le nom d'''Infant Oral Mutilation'' (OIM), la pratique était très commune dans le nord de l'Ouganda au début des années 1960. Elle est aujourd'hui beaucoup plus rare.</ref>. À ces problèmes s'ajoutent le manque les maladies, les blessures et aussi le manque d'éducation chez les mères par rapport aux soins et à la nutrition des enfants. Durant ces premiers mois, Lucille est extrêmement occupée: elle voit des patients en consultation externe durant l'avant-midi avant de procéder à des chirurgies durant l'après-midi, installée dans un bloc opératoire temporaire<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=40|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Elle pratique dans des conditions matérielles beaucoup plus difficiles qu'en France ou au Québec. L'hôpital n'a généralement de l'électricité qu'entre 19:00 et 22:00<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=75}}</ref>. Soucieux d'assurer le fonctionnement de l'établissement, Piero tente de trouver du financement et du matériel <ref name=":10">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=42}}</ref>. La fin de semaine, Lucille et Piero chassent ou visitent des parcs nationaux<ref name=":10" />. Après quelques mois en Ouganda, constatant tout le travail qu'il reste encore à faire, Lucille accepte de demeurer un peu plus longtemps à l'hôpital, à la demande de Piero, qui la demande en mariage<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=79}}</ref>. De retour en Afrique en décembre 1961 après un bref séjour à l'étranger, Lucille et Piero se marient dans la chapelle de l'hôpital de Lacor<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=115}}</ref>.


Le 9 octobre 1962, l'Ouganda, jusqu'alors protectorat britannique, obtint son indépendance. [[Muteesa II|Edward Mutesa]] devint président du pays, et [[Milton Obote]] fut élu comme Premier ministre, le résultat d'une alliance entre leurs deux partis, le Kabaya Yekka (KY) et l'[[Congrès du peuple ougandais|Uganda's People Congress]] (UPC). À peine un mois plus tard, Lucille donna naissance à sa fille Dominique, que les Acholis surnommèrent dans leur langue ''Atim'' - « née loin de chez elle ». C'est à partir de ce moment qu'ils appelèrent Lucille ''Min Atim'', la mère d'''Atim''.
Le 9 octobre 1962, l'Ouganda obtient son indépendance. [[Muteesa II|Edward Mutesa]] devient président du pays, et [[Milton Obote]] est élu comme Premier ministre, le résultat d'une alliance entre leurs deux partis, le Kabaya Yekka (KY) et l'[[Congrès du peuple ougandais|Uganda's People Congress]] (UPC). À peine un mois plus tard, Lucille donnw naissance à sa fille Dominique, que les Acholis surnomment ''Atim'' - « née loin de chez elle ». C'est à partir de ce moment qu'ils appellent Lucille ''Min Atim'', la mère d'''Atim''.


=== L'hôpital de Lacor au gré des crises ===
=== L'hôpital de Lacor au gré des crises ===
À partir de la seconde moitié des années 60, l'Ouganda dut faire face à une série de crise qui affaiblirent grandement la stabilité et la sécurité du pays. En 1966, le premier ministre Obote renversa le président et prit le pouvoir, modifiant la constitution pour se donner de larges pouvoirs. Ces premiers troubles ne freinèrent aucunement le développement de l'hôpital de Lacor. Vers la fin de la décennie, près de dix ans après leur arrivée à Gulu, Piero et Lucille dirigeaient maintenant un hôpital en pleine expansion. L'établissement comptait désormais une unité de pédiatrie ainsi qu'un bloc opératoire de 150 lits. Des patients de tout le nord du pays y étaient soignés, à Lacor ou dans les cliniques rattachées à l'hôpital qui avaient été ouvertes dans les environs de Gulu, à [[Amuru (district)|Amuru]], Pabo et Opit. Le personnel soignant était composé de médecins et d'infirmières d'Italie, dont le gouvernement fut toujours le principal soutien de l'établissement. Piero et Lucille obtinrent à la même époque l'aide de l'[[Agence canadienne de développement international]] et de [[Développement et Paix]], qui financèrent la construction d'une école d'infirmières à Lacor. Ce projet cadrait avec la volonté chez le couple de former du personnel soignant local, ce qui, encore aujourd'hui, demeure l'une des grandes lignes directrices de l'hôpital de Lacor.
Durant la seconde moitié des années 60, l'Ouganda fait face à une série de crise qui affectent grandement la stabilité et la sécurité du pays. En 1966, le premier ministre Obote renverse le président et modifie la constitution pour se donner des pouvoirs plus larges. Ces premiers troubles ne freinent aucunement le développement de l'hôpital de Lacor. Vers la fin de la décennie, près de dix ans après leur arrivée à Gulu, Piero et Lucille dirigent maintenant un hôpital en pleine expansion. L'établissement compte alors une unité de pédiatrie ainsi qu'un bloc opératoire de 150 lits. Des patients de tout le nord du pays y sont soignés, à Lacor comme dans les cliniques rattachées à l'hôpital ouvertes dans les environs de Gulu, à [[Amuru (district)|Amuru]], Pabo et Opit. Le personnel soignant est composé de médecins et d'infirmières d'Italie, avec des aides-infirmières ougandaises. Piero et Lucille obtiennent à la même époque l'aide de l'[[Agence canadienne de développement international]] et de l'O.N.G. [[Développement et Paix]], qui financent la construction d'une école d'infirmières à Lacor, afin de former du personnel soignant local. Au fil des années, l'hôpital de Lacor deviendra un important centre de formation pour les infirmières et les médecins ougandais.


Au début des années 70, une paix relative régnait encore sur l'ancien protectorat britannique, malgré les scandales touchant le Premier ministre Obote. Celle-ci fut grandement affectée par l'arrivée au pouvoir d'[[Idi Amin Dada]], le commandant en chef des forces armées ougandaises, qui [[Coup d'État de 1971 en Ouganda|renversa le gouvernement Obote en 1971]].
Au début des années 70, une paix relative règne encore sur l'ancien protectorat britannique, malgré les scandales touchant le Premier ministre Obote. Cette paix est subitement rompue par l'arrivée au pouvoir d'[[Idi Amin Dada]], le commandant en chef des forces armées ougandaises, qui [[Coup d'État de 1971 en Ouganda|renverse le gouvernement Obote en 1971]].


==== La dictature d'Idi Amin Dada et la crise économique ====
==== La dictature d'Idi Amin Dada et la crise économique ====
L'arrivée au pouvoir d'Idi Amin Dada marqua le début du déclin rapide de l'économie ougandaise. Dans les mois qui suivirent, [[Expulsion de la communauté sud-asiatique d'Ouganda|il expulsa du pays la minorité asiatique, principalement d'origine indienne]], qui était établie en Ouganda depuis l'époque coloniale, et redistribua leurs propriétés à ses alliés. Le régime d'Idi Amin fut aussi marqué par une importante répression politique. En 1979, à la veille de l'invasion tanzanienne, il avait causé la mort ou la disparition d'environ 300 000 ougandais, soit près du quarantième de la population totale du pays. La situation difficile en Ouganda mena à un exode important, ce dont souffrirent surtout les services publics, dont les hôpitaux, particulièrement affectés par le manque de personnel, de ressources et d'équipements.
L'arrivée au pouvoir d'Idi Amin Dada marque le début du déclin rapide de l'économie ougandaise. Dans les mois qui suivent, [[Expulsion de la communauté sud-asiatique d'Ouganda|il expulse du pays la minorité asiatique, principalement d'origine indienne]], établie en Ouganda depuis l'époque coloniale, et redistribue leurs propriétés à ses alliés. Le régime d'Idi Amin est aussi marqué par une importante répression politique ayant causé la mort ou la disparition d'environ 300 000 ougandais, soit près du quarantième de la population totale. La situation difficile en Ouganda mène à un exode important, ce dont souffrent grandement surtout les services publics, dont les hôpitaux qui, à partir de cette époque, sont particulièrement affectés par le manque de personnel, de ressources et d'équipements.


C'est dans ce contexte que Lucille fit un choix très difficile: celui d'envoyer Dominique vivre en Italie, dans la famille de Piero, afin de lui offrir des meilleures conditions de vie et, surtout, une éducation moderne, ce qui n'était pas possible en Ouganda avec l'effondrement des services publics. Dominique ne revint à Lacor que pour les vacances, bien que ses parents acceptèrent éventuellement qu'elle soit transférée à une école à [[Nairobi]], au [[Kenya]] voisin. Cette séparation fut néanmoins difficile pour Lucille, qui craignait que sa fille se sente rejetée par sa mère<ref>Référence: Arseneault, p. 152.</ref>. C'était d'autant plus difficile pour elle puisque la principale condition à son mariage avec Piero était celle de ne jamais être séparée de sa fille. Ce fut, de son propre aveu, le sacrifice le plus difficile qu'elle fit durant toute sa vie. Lucille et Piero furent eux-mêmes confrontés au choix de quitter le pays, devant la situation qui dégénérait toujours plus. Ils décidèrent de demeurer en Ouganda pour maintenir le fonctionnement de l'hôpital. Avec l'aide de la famille de Piero, ils organisèrent l'envoi à chaque année de plusieurs conteneurs avec de l'équipement médical, des médicaments et des vêtements usagés afin de pallier les conditions opérationnelles de plus en plus difficiles qui affectaient le fonctionnement de l'hôpital.
C'est dans ce contexte que Lucille fait le choix difficile d'envoyer sa fille Dominique vivre en Italie, dans la famille de Piero, afin de lui offrir des meilleures conditions de vie et, surtout, une éducation moderne. Au fil des années, Dominique ne revint à Lacor que pour les vacances, bien que ses parents acceptent éventuellement qu'elle soit transférée à une école à [[Nairobi]], au [[Kenya]] voisin. Cette séparation est néanmoins difficile pour Lucille, qui craint que sa fille se sente rejetée par sa mère<ref>Référence: Arseneault, p. 152.</ref>. Il s'agit de son propre aveu du sacrifice le plus difficile de sa vie. Lucille et Piero sont eux-mêmes confrontés au choix de quitter le pays, la situation politique et économique dégénère toujours plus. Ils décident malgré tout de demeurer en Ouganda pour maintenir le fonctionnement de l'hôpital, sur lequel compte des dizaines de milliers d'Ougandais. Avec l'aide de la famille de Piero, ils organisent l'envoi à chaque année de plusieurs conteneurs avec de l'équipement médical, des médicaments et des vêtements usagés afin de pallier les conditions opérationnelles de plus en plus difficiles à l'hôpital.


En comparaison aux établissements publics, la crise économique et politique affecta cependant assez peu l'hôpital de Lacor. En 1976, cinq ans après l'arrivée d'Idi Amin au pouvoir, l'hôpital comptait 220 lits, parmi lesquels 60 étaient des lits de chirurgie. Une nouvelle salle d'opération septique et un service de radiothérapie avaient été inaugurés. L'établissement, sous la supervision juste mais sévère de Lucille et Piero, fonctionnait très efficacement, ce que remarqua même Idi Amin lors d'une visite officielle la même année. Lucille, en particulier, était très exigeante envers le personnel soignant. Elle s'astreignait cependant à la même discipline que celle qu'elle imposait aux infirmières, et demeurait très appréciée de ses patients. Au fil des années, les relations qu'elle avait développée avec les Acholis étaient devenues profondes, même si elle n'hésitait jamais à les réprimander pour leurs mauvaises habitudes, par exemple.
En comparaison aux établissements publics, durement touchés, la crise économique et politique affecte assez peu l'hôpital de Lacor. En 1976, cinq ans après l'arrivée d'Idi Amin au pouvoir, l'hôpital compte 220 lits, dont 60 lits de chirurgie. Une nouvelle salle d'opération septique et un service de radiothérapie avaient récemment été inaugurés. L'établissement, sous la supervision juste mais sévère de Lucille et Piero, fonctionne très efficacement, ce qui leur valent même les bons compliments du dictateur lors d'une visite officielle la même année. Lucille, en particulier, est très exigeante envers le personnel soignant. Elle s'astreint cependant à la même discipline que celle qu'elle impose aux infirmières, et ''Min Atim'' demeure très appréciée de ses patients. Au fil des années, les relations développées avec les Acholis étaient devenues profondes, même si elle n'hésite jamais à les réprimander pour leurs mauvaises habitudes ou leur négligence.


Lucille et Piero alternaient infatigablement entre les consultations médicales et les chirurgies au bloc opératoire. Ils n'étaient cependant plus les seuls médecins à l'hôpital, comme c'était le cas à leur arrivée en 1961. Outre l'équipe d'infirmières italiennes et ougandaises, dirigée par sœur Lina Soso depuis 1977, Piero et Lucille étaient assistés par de nombreux collègues étrangers. C'est grâce à l'un d'eux, le D<sup>r</sup> Lino Dalla Bernardina, un professeur retraité de l'Université de Padoue spécialisé en radiologie, que l'hôpital avait pu inaugurer son service de radiothérapie, alors l'un des seuls en Afrique. Le pédiatre québécois D<sup>r</sup> Claude Desjardins avait aussi rejoint l'équipe l'année précédente, en 1975, comme chef du service de pédiatrie. Il avait entendu parler de l'hôpital par l'entremise de D<sup>r</sup> Gloria Jéliu, qu'il avait côtoyé à l'hôpital Sainte-Justine. Il fut éventuellement chargé des cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit, dans une optique de médecine préventive. Les Acholis faisait alors face à de graves déficits en matière de nutrition et de soins des enfants, et tardaient souvent à les emmener à l'hôpital lorsqu'ils éprouvaient des ennuis de santé. Les efforts de Claude Desjardins et de sa femme Suzanne, une éducatrice spécialisée en nutrition, menèrent éventuellement à la publication en 1978 du manuel ''Helping the Rural African Mother to Care for Her Child'', qui fut réédité et distribué à travers l'Afrique anglophone par l'UNICEF avant d'être traduit en français en 1980<ref>L'ouvrage fut traduit en 1980 sous le titre: ''Aider la mère africaine des régions rurales à bien soigner son enfant''. </ref>.
Lucille alterne infatigablement entre les consultations médicales et les chirurgies au bloc opératoire. Piero et elle ne sont cependant plus les seuls médecins à l'hôpital, comme c'était le cas à leur arrivée en 1961. Outre l'équipe d'infirmières italiennes et ougandaises, dirigée par sœur Lina Soso depuis 1977, Piero et Lucille sont assistés par de nombreux collègues étrangers. C'est grâce à l'un d'eux, le D<sup>r</sup> Lino Dalla Bernardina, professeur retraité de l'Université de Padoue spécialisé en radiologie, que l'hôpital avait pu inaugurer son service de radiothérapie, alors l'un des seuls en Afrique. Le pédiatre québécois D<sup>r</sup> Claude Desjardins avait aussi rejoint l'équipe l'année précédente, en 1975, comme chef du service de pédiatrie. Il avait entendu parler de l'hôpital par l'entremise de D<sup>r</sup> Gloria Jéliu, qu'il avait côtoyé à l'hôpital Sainte-Justine. Il est éventuellement chargé des cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit afin de développer un programme de médecine préventive. Les Acholis faisait alors face à de graves déficits en matière de nutrition et de soins des enfants, et tardaient souvent à les emmener à l'hôpital lorsqu'ils éprouvaient des ennuis de santé. Les efforts de Claude Desjardins et de sa femme Suzanne, une éducatrice spécialisée en nutrition, mènent éventuellement à la publication en 1978 du manuel ''Helping the Rural African Mother to Care for Her Child'', réédité et distribué à travers l'Afrique anglophone par l'UNICEF avant d'être traduit en français en 1980<ref>L'ouvrage fut traduit en 1980 sous le titre: ''Aider la mère africaine des régions rurales à bien soigner son enfant''. </ref>.


L'apport le plus important fut celui des jeunes internes italiens qui, en guise de service militaire, furent envoyés par le ministère italiens des Affaires étrangères comme médecins coopérants en Ouganda. L'hôpital de Lacor bénéficia immensément de ce programme qui était parrainé par une organisation non-gouvernementale italienne, le [https://www.mediciconlafrica.org/ Cuamm]. Cet afflux de médecins était néanmoins temporaire, puisque les internes ne demeuraient environ que trois mois à Lacor avant d'être envoyé ailleurs en Ouganda. Lucille et Piero savaient bien que l'africanisation du personnel soignant - autant les infirmières que les médecins - était à long terme la seule solution pour assurer la pérennité de l'établissement. Celle-ci ne commença que plus tard, au courant des années 80. La faillite de l'économie ougandaise durant les années du régime d'Idi Amin empêcha à la faculté de médecine de l'[[université Makerere]], à laquelle était attachée l'hôpital Mulago, de former une relève ougandaise.
L'apport le plus important demeure celui des jeunes internes italiens qui, en guise de service militaire, sont envoyés par le ministère italiens des Affaires étrangères comme médecins coopérants en Ouganda. L'hôpital de Lacor bénéficie immensément de ce programme parrainé par l'O.N.G. italien [https://www.mediciconlafrica.org/ Cuamm]. Cet afflux de médecins était néanmoins temporaire, puisque les internes ne demeuraient environ que trois mois à Lacor avant d'être envoyé ailleurs en Ouganda. Lucille et Piero comprennent rapidement que l'africanisation du personnel soignant demeure la seule solution pour assurer la pérennité de l'établissement, même si les conditions économiques du pays, alors en faillite, ne permettent pas encore à l'[[université Makerere]] de former des médecins ougandais. Cette africanisation ne commencera que plus tard, au courant des années 1980.


==== L'invasion tanzanienne et la guerre de brousse ougandaise ====
==== L'invasion tanzanienne et la guerre de brousse ougandaise ====
C'est durant la guerre entre la Tanzanie, qui a mené en 1979 à la chute du régime d'Idi Amin, que l'hôpital de Lacor a connu sa première véritable période d'insécurité. L'établissement avait jusqu'alors poursuivi sans grands problèmes ses activités. En octobre 1978, sur fond de tensions politiques entre le dictateur ougandais et [[Julius Nyerere]], le président tanzanien, [[Guerre ougando-tanzanienne|l'armée ougandaise envahit la Tanzanie]] et annexa la région de [[Kagera (région)|Kagera]]. Les forces tanzaniennes, avec le support de volontaires ougandais opposés au régime d'Idi Amin, stoppèrent rapidement l'invasion et envahirent le sud de l'Ouganda au début de l'année 1979. En avril, [[Bataille de Kampala|Kampala fut prise par les troupes tanzaniennes]] et Idi Amin fut forcé de fuir le pays.
C'est durant la guerre entre la Tanzanie, qui mène en 1979 à la chute du régime d'Idi Amin, que l'hôpital de Lacor connait sa première véritable période d'insécurité. En octobre 1978, sur fond de tensions politiques entre le dictateur ougandais et [[Julius Nyerere]], le président tanzanien, [[Guerre ougando-tanzanienne|l'armée ougandaise envahit la Tanzanie]] et annexe la région de [[Kagera (région)|Kagera]]. Les forces tanzaniennes, avec le support de volontaires ougandais opposés au régime d'Idi Amin, stoppent rapidement l'invasion et, durant leur contre-offensive, envahissent le sud de l'Ouganda au début de l'année 1979. En avril, [[Bataille de Kampala|Kampala est prise par les troupes tanzaniennes]] et Idi Amin est forcé de fuir le pays.


La contre-offensive tanzanienne engendra un exode vers le nord de l'Ouganda des soldats fidèles à Idi Amin. Avec l'effondrement de la structure militaire, ces soldats, sans direction, s'adonnèrent à de nombreuses exactions contre la population civile. Si l'hôpital de Lacor fut épargné, ce ne fut pas le cas des cliniques d'Amuru, de Pabo et d'Opit, qui furent saccagées par des soldats ougandais. La coupure des lignes téléphoniques, des services postaux et du réseau électrique isola l'établissement du reste du monde. Grâce à une génératrice au diesel, Lucille put continuer à voir des patients et à faire des chirurgies.
La contre-offensive tanzanienne engendre l'exode des soldats fidèles à Idi Amin vers le nord de l'Ouganda. Avec l'effondrement de la structure militaire, ces soldats, sans direction, s'adonnent à de nombreuses exactions contre la population civile. Si l'hôpital de Lacor est épargné, ce n'est pas le cas des cliniques d'Amuru, de Pabo et d'Opit, qui sont saccagées par des soldats ougandais. La coupure des lignes téléphoniques, des services postaux et du réseau électrique isole cependant l'établissement, ainsi que Lucille et Piero, du reste du monde. Grâce à une génératrice au diesel, Lucille eut continuer à voir des patients et à faire des chirurgies.


Ces interventions, déjà nombreuses, se faisaient alors encore plus fréquentes à cause de la guerre, du brigandage et de la flambée des violences entre les Acholis et d'autres groupes ethniques comme les [[Kakwa (peuple)|Kakwas]], les [[Lugbara (peuple)|Lugbaras]] et les [[Madi (peuple)|Madis]]. Des militaires mais aussi des civils, souvent blessés par balles, étaient soignés à l'hôpital, qui fonctionnait à plein régime. Ces blessures, causées par les munitions explosives employées par les militaires, étaient difficiles à opérer à cause des nombreux éclats d'os. C'est durant une de ces délicates interventions que Lucille contracta le [[Virus de l'immunodéficience humaine|VIH]], virus encore méconnu qui progressait rapidement en Ouganda, à la faveur des combats. Devenue chirurgienne de guerre malgré elle, Lucille devait opérer dans des conditions difficiles, l'hôpital sans cesse menacer par les pillards. Il fut attaqué par des militaires ougandais pour la première fois en mai 1979. Alors que Lucille était dans la salle d'opération, Piero tenta d'empêcher l'accès à l'hôpital à des soldats, qui firent feu sur lui. Ce n'est que l'intervention de la mère d'un des soldats, qui avait elle-même été soignée à l'hôpital, qui sauva Piero, qui s'en sortit avec une perforation du tympan. L'arrivée des troupes tanzaniennes à Gulu le 20 mai 1979 apporta un bref dépit à la région et à l'hôpital, dont l'état étonna particulièrement le commandant tanzanien. Il s'agissait du seul hôpital encore ouvert qu'il avait croisé depuis son arrivée en Ouganda.
Ces interventions, déjà nombreuses, se font alors encore plus fréquentes à cause de la guerre, du brigandage et de la flambée des violences entre les Acholis et d'autres groupes ethniques du nord comme les [[Kakwa (peuple)|Kakwas]], les [[Lugbara (peuple)|Lugbaras]] et les [[Madi (peuple)|Madis]]. Des militaires mais aussi des civils, souvent blessés par balles, sont soignés à l'hôpital, qui fonctionne malgré tout à plein régime. Ces blessures, causées par les munitions explosives employées par les militaires, s'avèrent spécialement difficiles à opérer à cause des nombreux éclats d'os. C'est durant une de ces délicates interventions que Lucille contracte le [[Virus de l'immunodéficience humaine|VIH]], virus encore méconnu qui progressait rapidement en Ouganda, à la faveur des combats et des déplacements de population. Devenue chirurgienne de guerre malgré elle, Lucille doit opérer dans des conditions difficiles, sous la menace constante des pillards. L'hôpital est attaqué par des militaires ougandais pour la première fois en mai 1979. Alors que Lucille était dans la salle d'opération, Piero tente d'empêcher l'accès à l'hôpital à des soldats, qui tirent dans sa direction. Ce n'est que l'intervention de la mère d'un des soldats, elle-même patiente de l'hôpital, qui sauve Piero, qui s'en sort seulement avec une perforation du tympan. L'arrivée des troupes tanzaniennes à Gulu le 20 mai 1979 apporte un bref dépit à la région et à l'hôpital, dont l'état fonctionnel étonne particulièrement le commandant tanzanien. Il s'agissait du seul hôpital encore ouvert croisé depuis son arrivée en Ouganda, quelques mois auparavant.


Après plusieurs gouvernements provisoires, Milton Obote fut de nouveau élu président en 1980, malgré une forte opposition au nouveau gouvernement. Profitant de cette accalmie politique, Lucille et Piero entamèrent des discussions avec la faculté de médecine de l'université Makerere afin que l'hôpital de Lacor devienne un établissement d'accueil pour les internes ougandais. Après les soins humanitaires, la formation de la relève ougandaise était l'autre grand rêve de Lucille et Piero, qui étaient bien conscients que la pérennité de l'établissement en dépendait. La paix dans le nord du pays fut néanmoins de courte durée. Dès 1981, la résistance contre le gouvernement Obote s'organisa rapidement autour du [[Mouvement de résistance nationale]] et de sa branche armée, l'[[Armée de résistance nationale]] (NRA), commandée par [[Yoweri Museveni]]. Cette insurrection marqua le début de la [[Guerre de brousse en Ouganda|guerre de brousse]], une guerre civile brutale qui dura jusqu'en 1986 et qui causa la mort de plus d'un demi-million d'Ougandais.
Après plusieurs gouvernements provisoires, Milton Obote est de nouveau élu président en 1980, malgré une forte opposition. Profitant de cette accalmie politique, Lucille et Piero entament des discussions avec la faculté de médecine de l'[[université Makerere]] afin que l'hôpital de Lacor devienne un établissement d'accueil pour les internes ougandais. La paix est encore une fois de courte durée puisque dès 1981, la résistance contre le gouvernement Obote s'organise rapidement autour du [[Mouvement de résistance nationale]] et de sa branche armée, l'[[Armée de résistance nationale]] (NRA), commandée par [[Yoweri Museveni]]. Cette insurrection marque le début de la [[Guerre de brousse en Ouganda|guerre de brousse]], une guerre civile brutale qui va durer jusqu'en 1986 et qui causera la mort de plus d'un demi-million d'Ougandais.


Le nord du pays s'embrasa brusquement devant l'incapacité des soldats ougandais, sans expérience ni discipline, à mettre un terme à la rébellion de la NRA. L'hôpital de Lacor fut à plusieurs reprises la cible de pillards qui espéraient y trouver de l'équipement, des vivres et des médicaments. Au courant de l'année 1982, des patients affectés par une maladie mystérieuse, alors surnommée la « [[Syndrome d'immunodéficience acquise|maladie de maigreur]] » (ou ''slim disease'') firent leur apparition à l'hôpital. C'est à la même époque que Lucille commença à ressentir les symptômes de la maladie, qu'elle pensait alors être le fait de son importante charge de travail. Le couple travaillait alors inlassablement à l'hôpital, qui faisait face à une affluence considérable de patients et de blessés. La santé de Piero, qui fit un premier infarctus en 1983, n'allait guère mieux. C'est dans ce contexte difficile, alors que les combats entre l'armée et les rebelles de la NRA faisaient rage, que l'établissement accueillit ses premiers internes de l'université de Makerere, parmi lesquels se trouvait le D<sup>r</sup> [[Matthew Lukwiya]], en qui Lucille et Piero, qui vieillissaient, réalisèrent qu'ils avaient trouvé leur successeur. Avec le soutien du gouvernement italien<ref>À la fin des années 1980, le gouvernement italien était l’un des plus importants contributeurs à l'aide internationale en Ouganda, plus spécifiquement par l'entremise de programmes de santé liés aux établissements publics et privés.</ref>, disposé à fournir de l'équipement et des spécialistes, Lucille et Piero venaient de réaliser un projet qu'ils entretenaient déjà depuis leur arrivée en Ouganda, plus de 20 ans auparavant. Cet accord permettait aux médecins diplômés de l'université de Makerere de venir faire leur internat à Lacor, sous la supervision de Lucille qui, malgré la fatigue qui la tenaillait, se retrouvait subitement en première ligne de la formation de la relève médicale ougandaise. L'accord fut plus tard étendu à l'[[Université des sciences et technologies de Mbarara|université de Mbarare]], fondée en 1989, ainsi qu'à celle de Gulu, fondée en 2003. Le petit dispensaire médical fondé en 1959 était désormais devenu un important centre de formation et d'enseignement. Il poursuivait aussi toujours sa croissance, avec la construction d'un pavillon d'[[oncologie]] et d'une autre pour les patients atteints de la [[tuberculose]], une maladie opportuniste fréquemment observée chez les patients atteints du sida.
Le nord du pays s'embrase brusquement devant l'incapacité des soldats ougandais, sans expérience ni discipline, à mettre un terme à la rébellion de la LRA. L'hôpital de Lacor est à plusieurs reprises ciblé par des pillards, qui espèrent y trouver de l'équipement, des vivres et des médicaments. À ces troubles, qui engorgent de blessés les urgences de l'établissement, s'ajoute l'apparition à l'hôpital, au courant de 1982, de patients affectés par une maladie mystérieuse, alors surnommée la « [[Syndrome d'immunodéficience acquise|maladie de maigreur]] » (ou ''slim disease''). C'est à cette même époque que Lucille commence à ressentir les symptômes du sida, qu'elle pense être le fait de son importance charge de travail. La santé de Piero, qui fait un premier infarctus en 1983, ne va alors guère mieux. Malgré tout, le couple n'a d'autre choix que de travailler, alors que l'hôpital de Lacor fait face à une affluence considérable de patients et de blessés.


C'est dans ce contexte difficile, alors que les combats entre l'armée et les rebelles de la NRA font rage, que l'établissement accueille ses premiers internes. Parmi ceux-ci se trouve le D<sup>r</sup> [[Matthew Lukwiya]], en qui Lucille et Piero réalisent qu'ils ont trouvé leur successeur. Avec le soutien du gouvernement italien<ref>À la fin des années 1980, le gouvernement italien était l’un des plus importants contributeurs à l'aide internationale en Ouganda, plus spécifiquement par l'entremise de programmes de santé liés aux établissements publics et privés.</ref>, disposé à fournir de l'équipement et des spécialistes, Lucille et Piero venaient enfin de réaliser un projet qu'ils entretenaient depuis leur arrivée en Ouganda, plus de 20 ans auparavant. Cet accord permet aux médecins diplômés de l'université de Makerere de faire un internat à Lacor, sous la supervision de Lucille qui, malgré la fatigue et la maladie, se retrouve subitement en première ligne de la formation de la relève médicale ougandaise. L'accord sera plus tard étendu à l'[[Université des sciences et technologies de Mbarara|université de Mbarare]], fondée en 1989, et à celle de Gulu, fondée en 2003. En plus d'être en centre de formation pour les médecins ougandais, l'hôpital forme à cette époque des infirmières et poursuit sa croissance avec la construction d'une unité d'[[oncologie]] et d'un pavillon pour les patients atteints de la [[tuberculose]], une maladie opportuniste fréquemment observée chez les patients atteints du sida.
À ces développements s'ajouta une autre nouvelle heureuse: en 1983, Dominique annonça à ses parents qu'elle désirait poursuivre des études en médecine. Cette nouvelle fut un baume pour le couple, qui pouvait enfin espérer que leur fille puisse les rejoindre à Lacor. À la même époque, Lucille commença cependant à soupçonner la nature de la maladie qui l'affectait depuis déjà quelques années. Alors qu'elle était de passage en Italie, en 1985, elle fit un test de dépistage. Elle reçut le diagnostic alors qu'elle se trouvait à Montréal pour visiter son père, qui était malade. Sa première inquiétude fut de savoir si elle pouvait continuer à pratiquer la chirurgie. Deux spécialistes, le professeur [[Anthony Pinching]], qu'elle consulta lors d'une escale à Londres alors qu'elle était en route pour l'Ouganda, et le D<sup>r</sup> [[Wilson Carswell]], un médecin britannique qui travaillait à Kampala, l'invitèrent à poursuivre ses activités. Tant que personne ne pouvait la remplacer, Lucille causerait plus de tort en arrêter de pratiquer qu'en continuant à opérer, en prenant des précautions supplémentaires. La fulgurante progression du sida à travers le pays fit rapidement de cette maladie une réalité de la médecine en Ouganda, avec laquelle le personnel soignant, fortement touché par l'épidémie, devait aussi composer.


En 1983, Dominique annonce à ses parents qu'elle désire poursuivre des études en médecine. Cette nouvelle est un baume pour le couple, qui pouvait enfin espérer que leur fille puisse les rejoindre à Lacor. À la même époque, Lucille commence cependant à soupçonner la nature de la maladie qui l'affecte depuis déjà quelques années. Lucille est diagnostiquée séropositive en 1985. Elle reçoit les résultats alors qu'elle se trouve à Montréal pour rendre visite à son père malade. Elle s'inquiète immédiatement de de savoir si elle peut continuer à pratiquer la chirurgie. Deux spécialistes, le professeur [[Anthony Pinching]], qu'elle consulte lors d'une escale à Londres alors qu'elle était en route pour l'Ouganda, et le D<sup>r</sup> [[Wilson Carswell]], un médecin britannique qui travaillait à Kampala, l'invitent sans réserve à poursuivre ses activités. Tant que personne ne pouvait la remplacer, Lucille causerait plus de tort en arrêtant de pratiquer qu'en continuant, en prenant des précautions supplémentaires. La fulgurante progression du sida à travers le pays fit rapidement de cette maladie une réalité de la médecine en Ouganda, avec laquelle le personnel soignant, fortement touché par l'épidémie, devait aussi composer.
En 1985, le président Milton Obote fut de nouveau renversé par un coup d'État orchestré par des militaires Acholis. L'année suivante, en 1986, les troupes de la NRA s'emparèrent de Kampala, forçant la démission du président [[Tito Okello]] après six mois au pouvoir. Le nouveau gouvernement, dirigé par Yoweri Museveni, entreprit dès sa constitution des opérations militaires contre les groupes qui lui étaient hostiles, dont les Acholis, qui s'organisèrent pour résister. Parmi ces groupes, le plus important dans la région de Gulu était l'Armée populaire et démocratique d'Ouganda (UPDA), formée d'anciens militaires acholis fidèles à Tito Okello. Le gouvernement Museveni et la NRA, à peine légitimement au pouvoir, menèrent une brutale campagne anti-insurrectionnelle contre cette nouvelle rébellion. C'est ce contexte qui vit l'émergence du Mouvement du Saint-Esprit (HSM).

En 1985, le président Milton Obote est de nouveau renversé par un coup d'État orchestré par des militaires Acholis. L'année suivante, en 1986, les troupes de la NRA s'emparent de Kampala, forçant la démission du président [[Tito Okello]] après six mois au pouvoir. Le nouveau gouvernement, dirigé par [[Yoweri Museveni]], entreprend dès sa constitution une campagne militaire contre les groupes qui lui sont hostiles, dont les Acholis, qui s'organisent pour résister. Parmi ces groupes, le plus important dans la région de Gulu est l'[[Armée populaire et démocratique d'Ouganda]] (UPDA), formée d'anciens militaires acholis fidèles à Tito Okello. Le gouvernement Museveni et la NRA, à peine légitimement au pouvoir, mènent une campagne anti-insurrectionnelle brutale contre cette nouvelle rébellion, attisant le nationalisme acholi. C'est ce contexte qui vit l'émergence du [[Mouvement du Saint-Esprit]] (HSM).


==== L'insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur ====
==== L'insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur ====
Le Mouvement du Saint-Esprit, un amalgame de plusieurs groupes rebelles mêlant nationalisme Acholi, spiritisme et fondamentalisme chrétien, fut formé en 1987. À sa tête se trouvait une jeune médium Acholi, [[Alice Lakwena|Alice Auma]], qui disait recevoir ses ordres de Lakwena, une entité messagère du Saint-Esprit. Après une série de victoires spectaculaires contre les forces gouvernementales, elle dirigea ses troupes vers Kampala, mobilisant l'appui d'autres groupes ethniques opposés au gouvernement. La rébellion s'effrita brusquement vers la fin de l'année, avec l'arrestation d'[[Alice Lakwena]] à la frontière kenyane, qu'elle tentait de traverser avec un groupe de fidèles. Sa disparition laissa cependant le champ libre à une seconde insurrection bien plus tenace, [[Insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur|qui persiste encore à ce jour]]: celle d'un autre médium Acholi, [[Joseph Kony]], commandant de l'[[Armée de résistance du Seigneur|Armée de Résistance du Seigneur]] (LRA).
Le Mouvement du Saint-Esprit, un amalgame de plusieurs groupes rebelles mêlant nationalisme acholi, spiritisme et fondamentalisme chrétien, est formé en 1987. À sa tête se trouve une jeune médium acholi, [[Alice Lakwena|Alice Auma]], qui dit recevoir ses ordres de Lakwena, une entité messagère du Saint-Esprit. Après une série de victoires contre les forces gouvernementales, elle dirige ses troupes vers Kampala, mobilisant l'appui d'autres groupes ethniques opposés au gouvernement. La rébellion s'effrite brusquement vers la fin de l'année, avec l'arrestation d'Alice à la frontière kenyane, qu'elle tentait de traverser avec un groupe de fidèles. Sa disparition laisse cependant le champ libre à une seconde insurrection bien plus tenace et [[Insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur|qui persiste encore à ce jour]]: celle de l'[[Armée de résistance du Seigneur|Armée de Résistance du Seigneur]] (LRA), commandée par [[Joseph Kony]], qui lui aussi se réclame du Saint-Esprit.

La seconde moitié des années 1980, marquée par la violence quotidienne, les enlèvements et le pillage, est particulièrement difficiles pour l'hôpital. Des travaux pour la construction d'une bibliothèque, d'un service de physiothérapie et de laboratoires sont alors en préparation. Depuis 1985, l'établissement est cependant de nouveau sans électricité et repose toujours, pour son fonctionnement quotidien, sur une génératrice au diesel, dispendieuse à faire fonctionner, ainsi que sur quelques panneaux solaires installés sur les toits. Les patients sont moins nombreux, à cause des barrages routiers et des combats qui rendent les déplacements dangereux. À cette époque, ce sont surtout des civils cherchant à échapper au maraudage des rebelles et des soldats qui fréquentent l'établissement. Protégé par ses murs, celui-ci devient avec le temps un sanctuaire fréquenté à chaque soir par des milliers de personnes.


Cela n'empêcha pas l'hôpital de Lacor d'être attaqué et saccagé à répétition par les rebelles. Les cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit connaissent un sort similaire, les rebelles cherchant à s'emparer médicaments et d'équipements médicaux, ou encore à kidnapper des infirmières pour les rançonner<ref>C'est le cas de l'infirmière Amooti Mwazi, enlevée et torturée en mars 1987. Bien qu'elle fut éventuellement libérée, elle ne reprit pas son emploi à l'hôpital, préférant quitter Gulu pour Kampala. </ref>. À partir de 1987, la fréquence des attaques ne fait qu'augmenter. Lucille et Piero n'y échappent d'ailleurs pas. À plusieurs reprises, ils sont eux-mêmes pris en otage par des rebelles. En 1987, le lundi de Pâques, des rebelles s'introduisent dans l'hôpital après une fête et enferment le couple dans une chambre, menaçant de tuer Piero s'ils ne lui donnent pas de l'argent<ref>Arseneault, ''Un rêve pour la vie...'', p. 258.</ref>. Ces attaques deviennent de plus en plus fréquentes. Quelques mois plus tard, en novembre 1987, des rebelles entrent dans l'hôpital pour se saisir d'un blessé, qu'ils trainent dehors avant de l'exécuter<ref>''Ibidem'', p. 259.</ref>. L'hôpital, son personnel et ceux qui s'y réfugient, sont sous la menace constante des rebelles.
La seconde moitié des années 1980, marquée par la violence quotidienne, les enlèvements et le pillage, furent particulièrement difficiles pour l'hôpital qui, contre toute attente, avait jusqu'alors invariablement poursuivi ses agrandissements. Des travaux pour la construction d'une bibliothèque, d'un service de physiothérapie et de laboratoires étaient alors en préparation. Depuis 1985, l'établissement était cependant de nouveau sans électricité et reposait toujours, pour son fonctionnement quotidien, sur une génératrice au diesel, dispendieuse à faire fonctionner, ainsi que sur quelques panneaux solaires installés sur les toits. Les patients étaient moins nombreux, à cause des barrages routiers et des combats qui rendaient les déplacements dangereux. À cette époque, ce sont surtout des civils cherchant à échapper au maraudage des rebelles et des soldats qui fréquentaient l'établissement. Protégé par ses murs, celui-ci devint avec le temps un sanctuaire fréquenté à chaque soir par des milliers de personnes.


Cela n'empêcha pas l'hôpital de Lacor d'être attaqué et saccagé à répétition par les rebelles. Les cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit connurent un sort similaire, les rebelles cherchant à s'emparer médicaments et d'équipements médicaux, ou encore à kidnapper des infirmières pour les rançonner<ref>C'est le cas de l'infirmière Amooti Mwazi, enlevée et torturée en mars 1987. Bien qu'elle fut éventuellement libérée, elle ne reprit pas son emploi à l'hôpital, préférant quitter Gulu pour Kampala. </ref>. La fréquence des attaques ne fit qu'augmenter au cours des années: entre septembre et décembre 1988, l'hôpital St. Mary's Lacor subit sept attaques distinctes. Même l'armée, qui devait protéger l'établissement, y menait de fréquentes perquisitions. Pour la première fois depuis 1961, Lucille et Piero commencèrent à songer à fermer l'hôpital qui, en outre du pillage, faisait face à l'exode de son personnel. La sécurité des infirmières, des internes et du personnel de l'hôpital devint l'une des préoccupations principales. La plupart des employés vivaient à l’intérieur de l’enceinte de l'établissement avec leur famille. Ils allaient travailler le soir en vêtements civils afin d'éviter d'être reconnus et enlevés par les rebelles. Ceux qui n'étaient pas Acholis, surtout, craignaient d'être reconnus par les insurgés. Les médecins italiens avaient aussi été rapatriés: parmi ceux-ci, seul le D<sup>r</sup> Dalla Bernardina demeurait encore sur place, avec la sœur Lina Soso et d'autres religieuses italiennes.
Entre septembre et décembre 1988, l'hôpital St. Mary's Lacor est attaqué à sept reprises par les rebelles. Lorsque ce ne sont pas les rebelles, ce sont des militaires qui y font des perquisitions. Pour la première fois depuis 1961, Lucille et Piero commencent à songer à fermer l'hôpital qui, en outre du pillage, fait face à l'exode de son personnel. La sécurité des infirmières, des internes et du personnel de l'hôpital devient à cette époque l'une de leurs préoccupations principales. La plupart des employés vivent alors à l’intérieur de l’enceinte de l'établissement avec leur famille. Ils vont travailler le soir en vêtements civils afin d'éviter d'être reconnus et enlevés par les rebelles. Ceux qui ne sont pas Acholis, surtout, craignent d'être reconnus par les insurgés. La plupart des médecins italiens avaient été rapatrié: à la fin des années 1980, seul le D<sup>r</sup> Dalla Bernardina demeure encore sur place, avec la sœur Lina Soso et quelques autres religieuses italiennes.


À plusieurs reprises, Lucille et Piero furent eux-mêmes menacés par les rebelles, qui les prirent en otage dans leur résidence située à l'intérieur de l'enceinte de l'hôpital. En 1987, le lundi de Pâques, des rebelles s'étaient introduits dans l'hôpital après une fête et avaient enfermé le couple dans une chambre, menaçant de tuer Piero s'ils ne lui donnaient pas de l'argent<ref>Arseneault, ''Un rêve pour la vie...'', p. 258.</ref>. Des épisodes similaires devinrent de plus en plus communs avec le temps. Quelques mois plus tard, en novembre 1987, des rebelles entrèrent dans l'hôpital pour se saisir d'un blessé, qu'ils trainèrent dehors avant de l'exécuter<ref>''Ibidem'', p. 259.</ref>. L'hôpital, son personnel et ceux qui s'y réfugiaient, étaient sous la menace constante des rebelles. En réalité, la désintégration du Mouvement du Saint-Esprit ne régla en rien la situation, qui s'empira considérablement avec l'émergence de l'[[Armée de résistance du Seigneur|Armée de Résistance du Seigneur]]. À cette menace constante, qui perdura pour l'établissement jusqu'au début des années 1990, s'ajoutait la santé de Lucille, qui dégénérait de plus en plus depuis son diagnostic en 1985. Elle souffrait notamment d'un [[muguet buccal]] particulièrement tenace et qui rendait son alimentation difficile, mais aussi, en plus de la fatigue, d'autres co-infections typiques du sida comme la fièvre ou, la pneumonie et la [[maladie d'Addison]].
En réalité, la désintégration du HSM en 1988 ne règle en rien la situation, qui s'empire considérablement avec l'émergence de la LRA. À cette menace constante, qui perdure pour l'établissement jusqu'au début des années 1990, s'ajoute la santé de Lucille, qui décline de plus en plus depuis son diagnostic en 1985. Elle souffre notamment d'un [[muguet buccal]] particulièrement tenace et qui rend son alimentation difficile, mais aussi, en plus de la fatigue, d'autres co-infections typiques du sida comme la fièvre, la pneumonie et la [[maladie d'Addison]].


Alors que Lucille et Piero étaient en vacances au Kenya, en mars 1989, l'hôpital St. Mary's fut de nouveau envahi, cette fois-ci par les rebelles fidèles à [[Joseph Kony]] qui désiraient s'emparer de médicaments. Ceux-ci demandèrent initialement à voir Piero et Lucille. Constatant leur absence, ils tentèrent d'enlever les infirmières, mais le D<sup>r</sup> Lukwiya s'interposa, les informant que les médicaments étaient désormais gardés par l'armée à Gulu et non plus à l'hôpital. Le médecin fut pris en otage par les rebelles, qui emportèrent aussi quelques infirmières ougandaises avant de disparaître dans la jungle. Seul derrière, le D<sup>r</sup> Dalla Bernardina fut forcé de fermer l'hôpital, tout en maintenant les urgences ouvertes. De retour en Ouganda, Lucille et Piero constatèrent à quel point la situation était devenue difficile, mais ne purent faire autre chose que de poursuivre leur travail.
Alors que Lucille et Piero sont en vacances au Kenya, en mars 1989, l'hôpital St. Mary's est envahi par des rebelles fidèles à [[Joseph Kony]] qui désirent s'emparer de médicaments. Ceux-ci demandent initialement à voir Piero et Lucille mais, constatant leur absence, tentent plutôt d'enlever les religieuses. Le D<sup>r</sup> Lukwiya s'interpose, les informant que les médicaments sont désormais gardés par l'armée à Gulu. En échange des religieuses italiennes, le médecin est pris en otage par les rebelles, qui emporte aussi avec eux dans la forêt quelques infirmières ougandaises. Le D<sup>r</sup> Dalla Bernardina est forcé de fermer l'hôpital, tout en maintenant les urgences ouvertes. De retour en Ouganda, Lucille et Piero constatent à quel point la situation est devenue difficile, et décident éventuellement de fermer temporairement l'établissement. Lucille continue à travailler, malgré l'état avancé de sa maladie, alors que Piero s'active à sauver l'établissement, dont l'existence même est désormais menacée.


Alors que Lucille travaillait, malgré l'état avancé de sa maladie, Piero s'activa à sauver l'établissement, dont l'existence même était désormais menacée. Le gouvernement italien menaçait de le fermer définitivement. Cette menace, bien réelle, eut pour effet la libération du D<sup>r</sup> Lukwiya et des autres otages. La fermeture de l'établissement fut néanmoins maintenue et, le 10 avril 1989, Piero fit distribuer des tracts à Gulu pour en faire l'annonce. À la suite des protestations de la population locale, qui ne pouvait concevoir la fermeture de l'hôpital, le gouvernement accepta de former une milice pour en assurer la défense. Ce n'était pas la première fois que Piero avait utilisé cet argument: il en avait déjà fait part aux influents aînés des Acholis, sans que la manœuvre ne porte fruit. Cette fois-ci, la menace fut suffisante. Joseph Kony, par l'intermédiaire d'un de ses soldats, menaça Piero de représailles si l'hôpital ne reprenait pas ses activités, signe qu'il avait compris l'importance de l'établissement, où même ses soldats allaient se faire soigner. Ce fut la dernière fois que l'établissement fut menacé: jusqu'à la fin du conflit au début des années 2000, l'hôpital de Lacor fut épargné, malgré les combats faisant rage entre les rebelles de l'[[Armée de résistance du Seigneur|Armée de Résistance]] du Seigneur et l'[[Armée de résistance nationale|Armée de Résistance Nationale]] du gouvernement.
Devant les attaques répétées, le gouvernement italien menace de fermer définitivement l'hôpital. Cette menace, bien réelle, a pour effet la libération du D<sup>r</sup> Lukwiya et des autres otages, les rebelles réalisant pour la première fois à quel point ils dépendent eux-mêmes des soins qui y sont prodigués. La fermeture temporaire de l'établissement est néanmoins maintenue et, le 10 avril 1989, Piero fait distribuer des tracts à Gulu pour en faire l'annonce. À la suite des protestations de la population locale, le gouvernement accepte de former une milice pour en assurer la défense. Piero maintient cependant la fermeture de l'hôpital pendant un certain temps. Ce n'était pas la première fois qu'il avait utilisé cet argument: il en avait déjà fait part part aux influents aînés des Acholis sans que la manœuvre ne porte fruit. La menace, cette fois-ci, est suffisante. Joseph Kony, par l'intermédiaire d'un de ses soldats, menace Piero de représailles si l'hôpital ne reprend pas ses activités, mais abandonne rapidement cette tactique. Jusqu'à la fin du conflit au début des années 2000, l'hôpital de Lacor a été épargné, malgré les combats faisant rage entre les rebelles de la LRA et les troupes gouvernementales.


=== Les dernières années et la reconnaissance internationale ===
=== Les dernières années et la reconnaissance internationale ===


Lorsque Lucille fut diagnostiquée séropositive, en 1985, on ne lui donna que 25% de probabilités de survivre plus de deux ans. Lors de sa rencontre avec le D<sup>r</sup> Pinching, ce dernier lui avait dit que le moral allait jouer un rôle important dans ses chances de survie. Le VIH était alors assez peu étudié. Lucille lutta finalement contre la maladie durant onze ans, travaillant malgré la fatigue, les nombreux problèmes de santé et les combats qui faisaient rage dans la région de Gulu. Si l'ensemble de sa carrière fut bien plus plus difficile que si elle avait fait le choix, au début des années 60, de poursuivre sa formation de chirurgienne en France, sa dernière décennie de vie le fut encore plus.
Lorsque Lucille fut diagnostiquée séropositive, en 1985, on ne lui donna que 25% de probabilités de survivre plus de deux ans. Lors de sa rencontre avec le D<sup>r</sup> Pinching, ce dernier lui avait dit que le moral jouait un rôle important dans ses chances de survie. Le VIH était alors assez peu étudié, et on connaissait mal l'espérance de vie d'un patient séropositif. Lucille lutta finalement contre la maladie durant onze ans, travaillant malgré la fatigue, les nombreux problèmes de santé et l'insurrection qui embrasait le nord de l'Ouganda.


Ces dernières années furent aussi marquées par la reconnaissance internationale. À partir du milieu des années 1980, [[#Prix et distinctions|les prix et les récompenses commencèrent à s'accumuler]]. Récipiendaires de plusieurs distinctions italiennes, promus officiers de l'[[Ordre du Mérite de la République italienne]] en 1981 et reçus par le pape [[Jean-Paul II]] avec d'autres médecins du Cuamm deux ans plus tard, le couple était déjà bien connu en Italie. C'est néanmoins en 1986 qu'ils reçurent une première distinction d'envergure internationale: le [https://apps.who.int/gb/awards/f/Sasakawa.html prix Sasakawa] de l'[[Organisation mondiale de la santé]], octroyé pour leur apport au développement des soins de santé dans le nord de l'Ouganda. Cette reconnaissance ne s'étendait cependant pas au Canada. Outre quelques rares mentions dans les journaux québécois à ce couple de médecins qui travaillaient en Ouganda, Lucille Teasdale demeurait inconnue du public canadien. Les contributions du gouvernement canadien, déjà rares, s'étaient d'ailleurs taries depuis les années 1970.
Ces dernières années sont aussi marquées par la reconnaissance internationale. À partir du milieu des années 1980, [[#Prix et distinctions|les prix et les récompenses commencent à s'accumuler]]. Récipiendaires de plusieurs distinctions italiennes, promus officiers de l'[[Ordre du Mérite de la République italienne]] en 1981 et reçus par le pape [[Jean-Paul II]] avec d'autres médecins du Cuamm deux ans plus tard, le couple est déjà bien connu en Italie. C'est néanmoins en 1986 qu'ils reçoivent une première distinction d'envergure internationale: le [https://apps.who.int/gb/awards/f/Sasakawa.html prix Sasakawa] de l'[[Organisation mondiale de la santé]], octroyé pour leur apport au développement des soins de santé dans le nord de l'Ouganda. Cette reconnaissance ne s'étend cependant pas encore au Canada: outre quelques rares mentions dans les journaux québécois, Lucille Teasdale demeure inconnue du public canadien.


La situation changea progressivement vers la fin de sa vie. En 1987, elle reçut le prix [https://www.cma.ca/fr/impliquez-vous/prix-de-lamc/prix-fng-starr F.N.G. Starr], la plus haute distinction de l'[[Association médicale canadienne]], où elle figure en compagnie de [[Frederick Banting|sir Frederick Banting]], de [[Wilder Penfield]] et d'[[Armand Frappier]]. Elle devint aussi membre honoraire de l'[[Association médicale du Québec]], devenant la première femme à recevoir cet honneur. Deux ans plus tard, en 1989, la parution d'un portrait dans le ''[[Reader's Digest]]'' permit enfin de l'introduire à un public plus large. En 1991, Lucille reçut l'[[Ordre du Canada]]. Quatre ans plus tard, en 1995, le Premier ministre québécois [[Jacques Parizeau]] lui octroya l'[[Ordre national du Québec]]. Peu après, elle fut admise comme membre honoraire du [[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] lors d'une cérémonie publique tenue à la [[Place des Arts]] de Montréal. Sa renommée québécoise n'était déjà plus à faire: l'année précédente, le journaliste [[Michel Arseneault]] s'était rendu auprès d'elle, en Ouganda. Son reportage, diffusé à l'émission ''Le Point'' à [[Radio Canada|Radio-Canada]], avait été un grand succès. On la reconnaissait lorsqu'elle arrivait à l'[[Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal|aéroport de Montréal.]]
La situation change progressivement vers la fin de sa vie. En 1987, elle reçoit le prix [https://www.cma.ca/fr/impliquez-vous/prix-de-lamc/prix-fng-starr F.N.G. Starr], la plus haute distinction de l'[[Association médicale canadienne]], où elle figure en illustre compagnie auprès de [[Frederick Banting|sir Frederick Banting]], de [[Wilder Penfield]] et d'[[Armand Frappier]]. Elle est aussi nommée membre honoraire de l'[[Association médicale du Québec]], devenant la première femme à recevoir cet honneur. Deux ans plus tard, en 1989, la parution d'un portrait dans le ''[[Reader's Digest]]'' permet enfin de l'introduire à un public plus large. En 1991, Lucille reçoit l'[[Ordre du Canada]]. Quatre ans plus tard, en 1995, le Premier ministre québécois [[Jacques Parizeau]] lui octroie l'[[Ordre national du Québec]]. Peu après, elle est admise comme membre honoraire du [[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] lors d'une cérémonie publique tenue à la [[Place des Arts]] de Montréal. Sa renommée québécoise n'est déjà plus à faire: l'année précédente, le journaliste [[Michel Arseneault]] s'était rendu auprès d'elle, en Ouganda afin de l'interviewer. Son reportage, diffusé à l'émission ''Le Point'' à [[Radio Canada|Radio-Canada]], est un grand succès.


Aux honneurs canadiens succédèrent les grands honneurs italiens. En 1995, l'hôpital de Lacor reçut le prix Antonio-Feltrinelli de l'[[Académie des Lyncéens|Académie nationale des Lyncéens]], la plus ancienne société savante d'Europe, fondée en 1603. Le prix, accompagné d'une bourse de 300 000 lires italiennes, fut décerné lors d'une cérémonie publique au [[Palais Corsini|Palazzo Corsini]], à [[Rome]]. À tous ces honneurs s'ajoutèrent finalement celui de l'[[Organisation des Nations unies|Organisation des Nations Unies]], qui décerna à Lucille le prix du Centre international pour la cause africaine afin de souligner son engagement, personnel et professionnel, dans la lutte contre le sida en Ouganda.
Aux honneurs canadiens succèdent ceux de l'Italie. En 1995, l'hôpital de Lacor reçoit le prix Antonio-Feltrinelli de l'[[Académie des Lyncéens|Académie nationale des Lyncéens]], la plus ancienne société savante d'Europe, fondée en 1603. Le prix, accompagné d'une bourse de 300 000 lires italiennes, est décerné lors d'une cérémonie publique au [[Palais Corsini|Palazzo Corsini]], à [[Rome]]. À tous ces honneurs s'ajoute finalement celui de l'[[Organisation des Nations unies|Organisation des Nations Unies]], qui décerne à Lucille le prix du Centre international pour la cause africaine afin de souligner son engagement, personnel et professionnel, dans la lutte contre le sida en Ouganda.


Au cours des années 1990, la paix revint peu à peu dans le nord de l'Ouganda. L'[[Armée de résistance du Seigneur|Armée de Résistance du Seigneur]] perdait alors du terrain face aux forces gouvernementales, [[Insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur#Pourparlers de Djouba (de 2006 à 2008)|même si les rebelles demeurèrent actifs dans le pays jusqu'en 2006]]. Ces soubresauts de violence contre la population civile, marqués par le meurtre, le vol de bétail et les enlèvements d'enfants, n'affectèrent jamais plus directement l'hôpital de Lacor, qui put reprendre ses activités. En 1993, signe du retour de la paix dans la région, le pape visita Gulu pour une messe publique. À la grande déception de Lucille, le programme du souverain pontife n'incluait pas une visite de l'hôpital de Lacor, même si plusieurs hôpitaux missionnaires en Ouganda et au Zaïre voisin s'y trouvaient.
Au cours des années 1990, la paix revient peu à peu dans le nord de l'Ouganda. La LRA perd alors du terrain face aux forces gouvernementales, [[Insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur#Pourparlers de Djouba (de 2006 à 2008)|même si les rebelles demeurèrent actifs dans le pays jusqu'en 2006]]. Ces soubresauts de violence contre la population civile, marqués par le meurtre, le vol de bétail et les enlèvements d'enfants, n'affectent jamais plus directement l'hôpital de Lacor, qui peut reprendre ses activités. En 1993, signe du retour de la paix dans la région, le pape [[Jean-Paul II]] visite Gulu pour une messe publique. À la grande déception de Lucille, le programme du souverain pontife n'inclue pas une visite de l'hôpital de Lacor, même si plusieurs hôpitaux missionnaires en Ouganda et au Zaïre voisin y sont inscrits.


Si la paix était de retour, la santé de Lucille déclinait toujours plus, l'astreignant à des périodes de repos de plus en plus longues. Dans ses dernières années, elle partageait son temps entre l'Ouganda et l'Italie, où elle suivait des traitements. Elle continuait malgré tout à voir des patients. Quelques mois avant son décès, extrêmement amaigrie et fatiguée, elle parvenait tout de même à travailler quelques heures par jour. Parfois trop faible pour se lever le matin, Piero devait lui administrer des perfusions intraveineuses pour la réhydrater. Le 16 mars 1996, avec l'assistance de Jacob Meri, un interne ougandais, elle performa une dernière chirurgie, la dernière de 13 000 interventions. Un mois plus tard, trop malade pour demeurer en Ouganda, elle quitta définitivement Lacor, sa demeure des 35 dernières années. À cause du danger posé par les rebelles, le couple dût être évacué par l'armée en hélicoptère.
Si la paix est de retour, la santé de Lucille décline toujours plus, l'astreignant à des périodes de repos de plus en plus longues. Dans ses dernières années, elle partage son temps entre l'Ouganda et l'Italie, où elle suit des traitements. Elle continue malgré tout à voir et à opérer des patients. Quelques mois avant son décès, extrêmement amaigrie et fatiguée, elle parvient tout de même à travailler quelques heures par jour. Parfois trop faible pour se lever le matin, Piero doit lui administrer des perfusions intraveineuses pour la réhydrater. Le 16 mars 1996, avec l'assistance de Jacob Meri, un interne ougandais, elle performe une dernière chirurgie. Il s'agit de sa dernière parmi plus de 13000 interventions chirurgicales. Un mois plus tard, trop malade pour demeurer en Ouganda, elle quitte définitivement Lacor. À cause du danger posé par les rebelles, le couple doit être évacué par l'armée en hélicoptère.


=== Mort ===
=== Mort ===
Piero et Lucille s'installèrent à [[Besana in Brianza]], non loin de Milan, en avril 1996. Extrêmement souffrante, elle ne put se rendre à Montréal, en mai de la même année, pour recevoir un doctorat ''honoris causa'' de l'[[Université de Montréal]], son ''alma mater''. C'est sa sœur Lise qui l'accepta en son nom. Entourée de Piero, de Dominique et de Lise, Lucille Teasdale décéda le 1<sup>er</sup> août 1996. Après des obsèques publiques en Italie, sa dépouille fut transportée en Ouganda pour y recevoir des funérailles publiques. Des milliers d'Ougandais vinrent lui rendre hommage dans la cathédrale de Gulu, sous la supervision de l'armée, qui avait positionné un char d'assaut à proximité. Lucille Teasdale fut inhumée dans la cour de l'hôpital.
Piero et Lucille s'installent à [[Besana in Brianza]], non loin de Milan, en avril 1996. Extrêmement souffrante, elle ne peut se rendre à Montréal, en mai de la même année, pour recevoir un doctorat ''honoris causa'' de l'[[Université de Montréal]]. C'est sa sœur Lise qui l'accepte en son nom. Entourée de Piero, de Dominique et de Lise, Lucille Teasdale décède le 1<sup>er</sup> août 1996. Après des obsèques publiques en Italie, sa dépouille est transportée en Ouganda pour y recevoir des funérailles publiques. Des milliers d'Ougandais viennent lui rendre hommage dans la cathédrale de Gulu, sous la supervision de l'armée, qui positionne un char d'assaut à proximité, signe que la menace de la LRA plane toujours sur la région. Lucille Teasdale est inhumée dans la cour de l'hôpital, sa demeure pendant 35 ans.


Cinq après après sa mort, en 2001, Lucille fut intronisée à titre posthume au [[Temple de la renommée médicale canadienne]]<ref>{{Lien web |titre=Lucille Teasdale-Corti, MD |url=https://www.cdnmedhall.ca/fr/laur%C3%A9ats/lucilleteasdalecorti# |site=[[Temple de la renommée médicale canadienne]] |consulté le=14 juin 2023}}</ref>. Depuis 2008, en souvenir de leur œuvre et de leur engagement humanitaire, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada remet à chaque année le prix Teasdale-Corti d'action humanitaire à des médecins qui, souvent au péril de leur vie, pratiquent la médecine humanitaire à l'étranger<ref>{{Lien web |titre=Récipiendaires du prix Teasdale-Corti d'action humanitaire du Collège royal |url=https://www.collegeroyal.ca/ca/fr/awards-grants/awards/royal-college-teasdale-corti-humanitarian-award/royal-college-teasdale-corti-humanitarian-award-recipients.html |site=[[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] |consulté le=14 juin 2023}}</ref>. Son nom figure encore dans la toponymie québécoise.
Cinq après après sa mort, en 2001, Lucille est intronisée à titre posthume au [[Temple de la renommée médicale canadienne]]<ref>{{Lien web |titre=Lucille Teasdale-Corti, MD |url=https://www.cdnmedhall.ca/fr/laur%C3%A9ats/lucilleteasdalecorti# |site=[[Temple de la renommée médicale canadienne]] |consulté le=14 juin 2023}}</ref>. Depuis 2008, en souvenir de leur œuvre et de leur engagement humanitaire, le [[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] remet à chaque année le prix Teasdale-Corti d'action humanitaire à des médecins qui, souvent au péril de leur vie, pratiquent la médecine humanitaire à l'étranger<ref>{{Lien web |titre=Récipiendaires du prix Teasdale-Corti d'action humanitaire du Collège royal |url=https://www.collegeroyal.ca/ca/fr/awards-grants/awards/royal-college-teasdale-corti-humanitarian-award/royal-college-teasdale-corti-humanitarian-award-recipients.html |site=[[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] |consulté le=14 juin 2023}}</ref>.


=== L'hôpital de Lacor après Lucille ===
=== L'hôpital de Lacor après Lucille ===
Le rapport annuel de l'hôpital pour l'année 1996 indique que l'hôpital de Lacor comptait désormais 446 lits. Il enregistrait 13 437 admissions, et notait que 116 953 patients avaient été traités en clinique externe. 1114 accouchements et 1278 interventions chirurgicales majeures avaient été réalisées durant l'année, et 33613 doses de vaccin avaient été inoculées. Il s'agissait du principal établissement de santé du nord du pays. Malgré la guerre et le manque chronique de ressources humaines et matérielles, l'hôpital n'avait jamais cessé de grossir en 35 ans.
Le rapport annuel de l'hôpital pour l'année 1996 indique que l'hôpital de Lacor comptait alors 446 lits. Il enregistre 13 437 admissions, et note que 116 953 patients avaient été traités en clinique externe. 1114 accouchements et 1278 interventions chirurgicales majeures avaient été réalisées durant l'année, et 33613 doses de vaccin avaient été inoculées. Il s'agissait déjà du principal établissement de santé du nord du pays. Malgré la guerre et le manque chronique de ressources humaines et matérielles, l'hôpital n'avait jamais cessé de grossir en 35 ans. Dans les décennies depuis la mort de Lucille Teasdale, l'hôpital n'a jamais cessé de croître.


Après le décès de Lucille, malgré sa santé elle-aussi défaillante à la suite d'un second infarctus en 1992, Piero continua à se consacrer à l'hôpital de Lacor. Atteint de la [[maladie d'Alzheimer]] et souffrant déjà de problèmes cardiaques depuis plusieurs années, il fut aussi grandement affecté par le décès soudain du D<sup>r</sup> Lukwiya, emporté par une épidémie d'Ebola en décembre 2000. Dès lors, sa santé l'empêchant de pratiquer la médecine, il voua ses dernières années au financement des activités de l'établissement à travers les deux fondations qu'il avait créé avec Lucille: la ''[https://fondazionecorti.it/ Fondazione Piero e Lucille Corti]'' en Italie (1993) et la [https://faitespartie.org/ Fondation Teasdale-Corti] à Montréal (1995). Piero Corti s'éteint à Milan d'un cancer du pancréas le dimanche 20 avril 2003, le jour de Pâques. Sa dépouille fut transportée en Ouganda pour être inhumée aux côtés de celles de Lucille et de Matthew, dans les jardins de l'hôpital de Lacor.
Après le décès de Lucille, malgré une santé défaillante, Piero continue à se consacrer à l'hôpital de Lacor. Atteint de la [[maladie d'Alzheimer]] et souffrant déjà de problèmes cardiaques depuis plusieurs années, il est aussi grandement affecté par le décès soudain du D<sup>r</sup> Matthew Lukwiya, emporté par une épidémie d'Ebola qui frappe l'hôpital en décembre 2000. Dès lors, sa santé l'empêchant de pratiquer la médecine, il voue ses dernières années au financement des activités de l'établissement à travers les deux fondations qu'il avait créé avec Lucille: la ''[https://fondazionecorti.it/ Fondazione Piero e Lucille Corti]'' en Italie (1993) et la [https://faitespartie.org/ Fondation Teasdale-Corti] à Montréal (1995). Piero Corti s'éteint à Milan d'un cancer du pancréas le dimanche 20 avril 2003, le jour de Pâques. Sa dépouille est transportée en Ouganda pour être inhumée aux côtés de celles de Lucille et de Matthew, dans les jardins de l'hôpital de Lacor.


Depuis le retour de la paix dans le nord du pays au milieu des années 2000, l'établissement poursuit son développement. Il est aujourd'hui l'un des principaux employeurs de la région ainsi qu'un important centre d'internat pour les médecins formés en Ouganda. À la mort de son père en 2003, Dominique Corti est devenue présidente de la ''Fondazione Piero et Lucille Corti''. Elle l'a aussi remplacé sur le conseil d'administration de l'hôpital. Depuis 2006, elle est membre du conseil d'administration de la Fondation Teasdale-Corti. L'hôpital de Lacor est aujourd'hui administré par une équipe entièrement ougandaise, formée à l'hôpital par Lucille et Piero. Encore aujourd'hui, l'approche préconisée par Lucille, axée sur le soin des patients avant tout, demeure l'un des principes fondamentaux de l'établissement. Chaque année, des centaines de milliers de patients - dont près du tiers sont des enfants âgés de moins de six ans - obtiennent des soins de qualité à l'hôpital ou dans ses cliniques périphériques.
Depuis le retour définitif de la paix dans le nord du pays au milieu des années 2000, l'établissement poursuit son développement. Il est aujourd'hui l'un des principaux employeurs de la région ainsi qu'un important centre d'internat pour les médecins formés en Ouganda. À la mort de son père en 2003, Dominique Corti est devenue présidente de la ''Fondazione Piero et Lucille Corti''. Elle l'a aussi remplacé sur le conseil d'administration de l'hôpital. Depuis 2006, elle est membre du conseil d'administration de la Fondation Teasdale-Corti. L'hôpital de Lacor est aujourd'hui administré par une équipe entièrement ougandaise, formée à l'hôpital par Lucille et Piero. Encore aujourd'hui, l'approche préconisée par Lucille, axée sur le soin des patients avant tout, demeure l'un des principes fondamentaux de l'établissement. Chaque année, des centaines de milliers de patients - dont près du tiers sont des enfants âgés de moins de six ans - obtiennent des soins de qualité à l'hôpital ou dans ses cliniques périphériques.


== Prix et distinctions ==
== Prix et distinctions ==

Version du 20 juin 2023 à 22:03

Lucille Teasdale-Corti
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
St. Mary's Hospital Lacor (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Lucille TeasdaleVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Activités
Conjoint
Piero Corti (de à )Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Distinctions

Lucille Teasdale-Corti, C.M., G.O.Q. est née à Montréal le et décédée du sida le à Besana in Brianza, en Italie. Pionnière québécoise du travail humanitaire, elle est une médecin et chirurgienne-pédiatre canadienne ayant travaillé dans le nord de l'Ouganda durant 35 ans, de 1961 jusqu'à sa mort. Durant cette carrière, marquée successivement par l'indépendance du pays, le régime d'Idi Amin Dada, la guerre de brousse et l'insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur de Joseph Kony, elle a grandement contribué au développement des services de santé dans le nord de l'Ouganda.

Biographie

L'enfance de Lucille Teasdale

Lucille Teasdale est née à Montréal, au Québec, le . Elle est la quatrième enfant d’une famille de sept. Son père René Teasdale était propriétaire de la première épicerie de Guybourg, un quartier ouvrier de l'est de la ville, près de la base militaire de Longue-Pointe[1]. Il était aussi marguillier de sa paroisse et juge de paix[1]. Sa mère, Juliette Sanscartier, était ménagère[1].

Très tôt, Lucille s'intéresse aux études, au grand bonheur de son père qui, issu d'une famille de cultivateurs, avait quitté très jeune l'école pour travailler[2]. En 1941, à l'âge de 11 ans, elle est admise au pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, administré par les sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie à Outremont. Malgré des relations parfois difficiles avec les religieuses et le cadre de vie sévère du pensionnat[2], cette époque est très formatrice pour Lucille. C'est en 1943, suite à la visite de religieuses missionnaires de l'Immaculée-Conception de retour de Chine qu'elle développe le désir d'aller pratiquer la médecine humanitaire à l'étranger[2]. Peu après, elle fait part de ce désir à son père alors qu'ils assistent ensemble à une partie de baseball des Royaux de Montréal[2].

En 1945, Lucille obtient une bourse pour aller suivre son cours classique au collège Jésus-Marie à Outremont, où ses excellents résultats scolaires lui valent les louanges de ses enseignantes[3]. Alors qu'elle est au collège, elle assiste à une allocution de la Dre Jeanne Marcelle Dussault, alors la seule femme à étudier la psychiatrie à la Catholic University of America, à Washington D.C. Cette rencontre cimente chez Lucille le désir de devenir médecin[4].

La formation à l'Université de Montréal

En 1950, Lucille est admise avec une bourse d'étude à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Sa cohorte ne compte alors que huit femmes parmi les 110 étudiants inscrits[5]. Elle se spécialise rapidement en chirurgie, un domaine qui, dans le Québec des années 1950, demeure presque exclusivement masculin. Malgré le soutien financier de son père, qui pouvait se permettre de payer les études de sa fille puisqu'elle était la seule parmi ses frères et sœurs à suivre une formation universitaire[6], Lucille s'enrôle en 1952 dans le corps des cadets de l'armée de l'air afin de payer ses frais de scolarité[7]. Après un premier entrainement à la base aérienne de London, en Ontario, elle est transférée durant l'été 1953 à la base de Summerside, à l'île du Prince-Édouard, avant de quitter définitivement l'armée[7]. Durant les étés suivants, jusqu'à son départ pour Marseille en 1960, elle fait du bénévolat dans une colonie de vacance pour enfants handicapés située aux abords du Lac Pierre, à Saint-Alphonse-Rodriguez[8].

Après l'obtention en 1955 de médecine d'un diplôme avec mention honorifique de l'Université de Montréal, Lucille poursuit un internat en chirurgie pédiatrique à l'hôpital Sainte-Justine, à Montréal[9]. Comme l'une des premières chirurgiennes québécoises[10], elle s'illustre par son énergie et ses compétences en chirurgie[11]. Malgré son charisme et sa beauté, qui lui avaient valu quelques années plus tôt le titre de « Miss Médecine » de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, Lucille est d'un naturel plutôt discret, et ne fraternise que très peu avec ses collègues de l'hôpital Sainte-Justine[11]. C'est néanmoins à cette époque qu'elle fait la rencontre du Dr Piero Corti, un médecin italien qui y suivait un internat en pédiatrie[11]. Comme Lucille, Piero entretien lui aussi le rêve d'aller pratiquer la médecine à l'étranger[12], rêve auquel il est d'ailleurs plus familier que Lucille: son frère Corrado est missionnaire jésuite au Tchad, et son beau-frère avait pratiqué la médecine en Inde et en Afrique[12]. En 1958, après la fin de sa résidence à l'hôpital Sainte-Justine, Piero retourne en Italie. De retour en Europe, il développe plus sérieusement son plan d'aller pratiquer la médecine en Afrique, ce dont il fait part à son frère lors d'un safari[13]. Alors que Piero commence à chercher un hôpital où s'installer, Lucille poursuit son internat à l'hôpital Maisonneuve jusqu'en 1959 puis à l'Hôtel-Dieu de Montréal jusqu'en 1960[14].

Afin d'obtenir un diplôme en chirurgie, il était nécessaire d'effectuer un stage à l'étranger. De nombreux établissements américains rejetent la candidature de Lucille, malgré son excellent dossier et les recommandations de ses superviseurs à Montréal[12]. Elle décide de poursuivre sa formation en France, où elle obtient deux postes avec l'aide d'une collègue française de l'hôpital Sainte-Justine, la neurologue Annie Courtois[15]. Dès lors, le plan pour terminer sa formation en chirurgie semble clair: elle va faire une résidence à l'hôpital de la Conception, à Marseille, avant de poursuivre son internat au prestigieux hôpital des Enfants-Malades à Paris[15].

L'internat à Marseille

Lucille Teasdale arrive à Marseille en septembre 1960 et, malgré les différences culturelles entre la France et le Québec, s'adapte rapidement à la vie marseillaise[16]. Peu après son arrivée, elle devient l'assistante du professeur Pierre Salmon, un chirurgien spécialisé dans la luxation congénitale de la hanche[17]. Ce séjour français est néanmoins court. Dès son arrivée en France, Lucille renoue avec Piero Corti, à qui elle fait parvenir une carte postale dans laquelle elle indique sa nouvelle adresse[15]. Après un bref échange, Piero, tout juste revenu d'Afrique, s'empresse de lui demander un rendez-vous à Marseille[18]. Lors de cette rencontre, il lui raconte qu'il a trouvé à Lacor, près de Gulu, une ville du nord de l'Ouganda, un petit hôpital opéré par religieuses italienne où ils pourraient pratiquer ensemble la médecine humanitaire et aider les démunis[18]. Piero n'avait pas choisi l'Ouganda au hasard: alors que l'ancien Congo belge, devenu indépendant en 1960, était secoué par une guerre de sécession, l'Ouganda, la « perle de l'Afrique » de Winston Churchill, était encore un protectorat britannique. Le pays était alors en voie d'obtenir son indépendance, mais le gouvernement britannique, depuis plusieurs décennies, avait pris le soin d'éduquer les élites ougandaises afin qu'elles puissent éventuellement succéder à l'administration coloniale[19].

Piero ne pouvait pas offrir à Lucille un salaire: au mieux, en plus du logement et de la nourriture, il pouvait lui payer son billet d'avion et des cigarettes[18]. Cela ne dérange pas Lucille, pour qui la médecine était avant tout une passion[20]. Plus jeune, alors qu'elle était au collège, elle avait réalisé qu'elle ne voulait pas pratiquer pour l'argent mais bien pour aider les plus démunis[21]. À l'hôpital Sainte-Justine, elle s'était aussi offusquée que des chirurgiens pédiatriques priorisaient parfois des patients adultes, qu'ils voyaient en pratique privée, au lieu de se consacrer à soigner les enfants[20]. Pour Lucille, la médecine était « si passionnante que les médecins devraient payer pour avoir le privilège de pratiquer »[20]. Après avoir passé les vacances de Noël avec la famille de Piero à Milan, Lucille accepte de l'accompagner en Ouganda pour quelques mois, avant de revenir à Marseille[22].

L'arrivée en Ouganda

Lucille et Piero atterrissent à l'aéroport d'Entebbe à bord d'un avion de l'aviation militaire italienne en mai 1961. Ils se rendent immédiatement à Kampala afin d'obtenir du Dr Denis Parsons Burkitt, un chirurgien britannique de l'hôpital universitaire de Mulago, une licence pour permettre à Lucille de pratiquer la médecine en Ouganda[23]. Le surlendemain de leur arrivée, Lucille et Piero se mettent en route pour Gulu, la principale ville du nord de l'Ouganda, au cœur du territoire des Acholis.

L'hôpital St. Mary's Lacor avait été fondé en 1959 à Lacor, à quelques kilomètres à l'ouest de Gulu, par des missionnaires italiens comboniens du Sacré Cœur. Il était alors opéré par des religieuses et administré par le diocèse de Gulu, dont l'évêque, Giovanni Cesena, était lui-aussi italien. Piero l'avait choisi parce que ce dernier avait accepté de lui laisser une certaine indépendance quant à la gestion de l'établissement. Au début des années 60, ce petit établissement ne compte que 40 lits, avec un service de maternité et une clinique externe, mais aucun lit de chirurgie[24]. À cette époque, des travaux étaient déjà en cours pour élargir l'hôpital et le doter d'une salle d'opération ainsi que de pavillons de médecine et de radiologie[24]. Dès son arrivée, Lucille est submergée, voire même angoissée, par l'ampleur du travail qui l'attend: elle est la seule chirurgienne de la région, qui comptait alors une population de 40 000 personnes[25]. Dès lendemain de son arrivée à l'hôpital, elle est appelée à performer une césarienne, bien qu'il s'agisse d'une intervention qu'elle n'a jamais encore pratiquée et pour laquelle elle ne dispose que de connaissances théoriques[25]. Il s'agit de sa première chirurgie en Afrique.

L'important achalandage de patients et l'ampleur du travail à réaliser convainquent Lucille de prolonger indéfiniment son séjour en Ouganda. Dès le début, les patients acholis s'avèrent difficiles à traiter, ce que Lucille souligne dans sa correspondance avec sa sœur Lise. Cette population, l'une des plus pauvres du pays, pratiquait encore de des coutumes comme l'ebino, qui consiste en l'extraction des canines en éruption chez les enfants en bas âge malades[26]. À ces problèmes s'ajoutent le manque les maladies, les blessures et aussi le manque d'éducation chez les mères par rapport aux soins et à la nutrition des enfants. Durant ces premiers mois, Lucille est extrêmement occupée: elle voit des patients en consultation externe durant l'avant-midi avant de procéder à des chirurgies durant l'après-midi, installée dans un bloc opératoire temporaire[27]. Elle pratique dans des conditions matérielles beaucoup plus difficiles qu'en France ou au Québec. L'hôpital n'a généralement de l'électricité qu'entre 19:00 et 22:00[28]. Soucieux d'assurer le fonctionnement de l'établissement, Piero tente de trouver du financement et du matériel [29]. La fin de semaine, Lucille et Piero chassent ou visitent des parcs nationaux[29]. Après quelques mois en Ouganda, constatant tout le travail qu'il reste encore à faire, Lucille accepte de demeurer un peu plus longtemps à l'hôpital, à la demande de Piero, qui la demande en mariage[30]. De retour en Afrique en décembre 1961 après un bref séjour à l'étranger, Lucille et Piero se marient dans la chapelle de l'hôpital de Lacor[31].

Le 9 octobre 1962, l'Ouganda obtient son indépendance. Edward Mutesa devient président du pays, et Milton Obote est élu comme Premier ministre, le résultat d'une alliance entre leurs deux partis, le Kabaya Yekka (KY) et l'Uganda's People Congress (UPC). À peine un mois plus tard, Lucille donnw naissance à sa fille Dominique, que les Acholis surnomment Atim - « née loin de chez elle ». C'est à partir de ce moment qu'ils appellent Lucille Min Atim, la mère d'Atim.

L'hôpital de Lacor au gré des crises

Durant la seconde moitié des années 60, l'Ouganda fait face à une série de crise qui affectent grandement la stabilité et la sécurité du pays. En 1966, le premier ministre Obote renverse le président et modifie la constitution pour se donner des pouvoirs plus larges. Ces premiers troubles ne freinent aucunement le développement de l'hôpital de Lacor. Vers la fin de la décennie, près de dix ans après leur arrivée à Gulu, Piero et Lucille dirigent maintenant un hôpital en pleine expansion. L'établissement compte alors une unité de pédiatrie ainsi qu'un bloc opératoire de 150 lits. Des patients de tout le nord du pays y sont soignés, à Lacor comme dans les cliniques rattachées à l'hôpital ouvertes dans les environs de Gulu, à Amuru, Pabo et Opit. Le personnel soignant est composé de médecins et d'infirmières d'Italie, avec des aides-infirmières ougandaises. Piero et Lucille obtiennent à la même époque l'aide de l'Agence canadienne de développement international et de l'O.N.G. Développement et Paix, qui financent la construction d'une école d'infirmières à Lacor, afin de former du personnel soignant local. Au fil des années, l'hôpital de Lacor deviendra un important centre de formation pour les infirmières et les médecins ougandais.

Au début des années 70, une paix relative règne encore sur l'ancien protectorat britannique, malgré les scandales touchant le Premier ministre Obote. Cette paix est subitement rompue par l'arrivée au pouvoir d'Idi Amin Dada, le commandant en chef des forces armées ougandaises, qui renverse le gouvernement Obote en 1971.

La dictature d'Idi Amin Dada et la crise économique

L'arrivée au pouvoir d'Idi Amin Dada marque le début du déclin rapide de l'économie ougandaise. Dans les mois qui suivent, il expulse du pays la minorité asiatique, principalement d'origine indienne, établie en Ouganda depuis l'époque coloniale, et redistribue leurs propriétés à ses alliés. Le régime d'Idi Amin est aussi marqué par une importante répression politique ayant causé la mort ou la disparition d'environ 300 000 ougandais, soit près du quarantième de la population totale. La situation difficile en Ouganda mène à un exode important, ce dont souffrent grandement surtout les services publics, dont les hôpitaux qui, à partir de cette époque, sont particulièrement affectés par le manque de personnel, de ressources et d'équipements.

C'est dans ce contexte que Lucille fait le choix difficile d'envoyer sa fille Dominique vivre en Italie, dans la famille de Piero, afin de lui offrir des meilleures conditions de vie et, surtout, une éducation moderne. Au fil des années, Dominique ne revint à Lacor que pour les vacances, bien que ses parents acceptent éventuellement qu'elle soit transférée à une école à Nairobi, au Kenya voisin. Cette séparation est néanmoins difficile pour Lucille, qui craint que sa fille se sente rejetée par sa mère[32]. Il s'agit de son propre aveu du sacrifice le plus difficile de sa vie. Lucille et Piero sont eux-mêmes confrontés au choix de quitter le pays, où la situation politique et économique dégénère toujours plus. Ils décident malgré tout de demeurer en Ouganda pour maintenir le fonctionnement de l'hôpital, sur lequel compte des dizaines de milliers d'Ougandais. Avec l'aide de la famille de Piero, ils organisent l'envoi à chaque année de plusieurs conteneurs avec de l'équipement médical, des médicaments et des vêtements usagés afin de pallier les conditions opérationnelles de plus en plus difficiles à l'hôpital.

En comparaison aux établissements publics, durement touchés, la crise économique et politique affecte assez peu l'hôpital de Lacor. En 1976, cinq ans après l'arrivée d'Idi Amin au pouvoir, l'hôpital compte 220 lits, dont 60 lits de chirurgie. Une nouvelle salle d'opération septique et un service de radiothérapie avaient récemment été inaugurés. L'établissement, sous la supervision juste mais sévère de Lucille et Piero, fonctionne très efficacement, ce qui leur valent même les bons compliments du dictateur lors d'une visite officielle la même année. Lucille, en particulier, est très exigeante envers le personnel soignant. Elle s'astreint cependant à la même discipline que celle qu'elle impose aux infirmières, et Min Atim demeure très appréciée de ses patients. Au fil des années, les relations développées avec les Acholis étaient devenues profondes, même si elle n'hésite jamais à les réprimander pour leurs mauvaises habitudes ou leur négligence.

Lucille alterne infatigablement entre les consultations médicales et les chirurgies au bloc opératoire. Piero et elle ne sont cependant plus les seuls médecins à l'hôpital, comme c'était le cas à leur arrivée en 1961. Outre l'équipe d'infirmières italiennes et ougandaises, dirigée par sœur Lina Soso depuis 1977, Piero et Lucille sont assistés par de nombreux collègues étrangers. C'est grâce à l'un d'eux, le Dr Lino Dalla Bernardina, professeur retraité de l'Université de Padoue spécialisé en radiologie, que l'hôpital avait pu inaugurer son service de radiothérapie, alors l'un des seuls en Afrique. Le pédiatre québécois Dr Claude Desjardins avait aussi rejoint l'équipe l'année précédente, en 1975, comme chef du service de pédiatrie. Il avait entendu parler de l'hôpital par l'entremise de Dr Gloria Jéliu, qu'il avait côtoyé à l'hôpital Sainte-Justine. Il est éventuellement chargé des cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit afin de développer un programme de médecine préventive. Les Acholis faisait alors face à de graves déficits en matière de nutrition et de soins des enfants, et tardaient souvent à les emmener à l'hôpital lorsqu'ils éprouvaient des ennuis de santé. Les efforts de Claude Desjardins et de sa femme Suzanne, une éducatrice spécialisée en nutrition, mènent éventuellement à la publication en 1978 du manuel Helping the Rural African Mother to Care for Her Child, réédité et distribué à travers l'Afrique anglophone par l'UNICEF avant d'être traduit en français en 1980[33].

L'apport le plus important demeure celui des jeunes internes italiens qui, en guise de service militaire, sont envoyés par le ministère italiens des Affaires étrangères comme médecins coopérants en Ouganda. L'hôpital de Lacor bénéficie immensément de ce programme parrainé par l'O.N.G. italien Cuamm. Cet afflux de médecins était néanmoins temporaire, puisque les internes ne demeuraient environ que trois mois à Lacor avant d'être envoyé ailleurs en Ouganda. Lucille et Piero comprennent rapidement que l'africanisation du personnel soignant demeure la seule solution pour assurer la pérennité de l'établissement, même si les conditions économiques du pays, alors en faillite, ne permettent pas encore à l'université Makerere de former des médecins ougandais. Cette africanisation ne commencera que plus tard, au courant des années 1980.

L'invasion tanzanienne et la guerre de brousse ougandaise

C'est durant la guerre entre la Tanzanie, qui mène en 1979 à la chute du régime d'Idi Amin, que l'hôpital de Lacor connait sa première véritable période d'insécurité. En octobre 1978, sur fond de tensions politiques entre le dictateur ougandais et Julius Nyerere, le président tanzanien, l'armée ougandaise envahit la Tanzanie et annexe la région de Kagera. Les forces tanzaniennes, avec le support de volontaires ougandais opposés au régime d'Idi Amin, stoppent rapidement l'invasion et, durant leur contre-offensive, envahissent le sud de l'Ouganda au début de l'année 1979. En avril, Kampala est prise par les troupes tanzaniennes et Idi Amin est forcé de fuir le pays.

La contre-offensive tanzanienne engendre l'exode des soldats fidèles à Idi Amin vers le nord de l'Ouganda. Avec l'effondrement de la structure militaire, ces soldats, sans direction, s'adonnent à de nombreuses exactions contre la population civile. Si l'hôpital de Lacor est épargné, ce n'est pas le cas des cliniques d'Amuru, de Pabo et d'Opit, qui sont saccagées par des soldats ougandais. La coupure des lignes téléphoniques, des services postaux et du réseau électrique isole cependant l'établissement, ainsi que Lucille et Piero, du reste du monde. Grâce à une génératrice au diesel, Lucille eut continuer à voir des patients et à faire des chirurgies.

Ces interventions, déjà nombreuses, se font alors encore plus fréquentes à cause de la guerre, du brigandage et de la flambée des violences entre les Acholis et d'autres groupes ethniques du nord comme les Kakwas, les Lugbaras et les Madis. Des militaires mais aussi des civils, souvent blessés par balles, sont soignés à l'hôpital, qui fonctionne malgré tout à plein régime. Ces blessures, causées par les munitions explosives employées par les militaires, s'avèrent spécialement difficiles à opérer à cause des nombreux éclats d'os. C'est durant une de ces délicates interventions que Lucille contracte le VIH, virus encore méconnu qui progressait rapidement en Ouganda, à la faveur des combats et des déplacements de population. Devenue chirurgienne de guerre malgré elle, Lucille doit opérer dans des conditions difficiles, sous la menace constante des pillards. L'hôpital est attaqué par des militaires ougandais pour la première fois en mai 1979. Alors que Lucille était dans la salle d'opération, Piero tente d'empêcher l'accès à l'hôpital à des soldats, qui tirent dans sa direction. Ce n'est que l'intervention de la mère d'un des soldats, elle-même patiente de l'hôpital, qui sauve Piero, qui s'en sort seulement avec une perforation du tympan. L'arrivée des troupes tanzaniennes à Gulu le 20 mai 1979 apporte un bref dépit à la région et à l'hôpital, dont l'état fonctionnel étonne particulièrement le commandant tanzanien. Il s'agissait du seul hôpital encore ouvert croisé depuis son arrivée en Ouganda, quelques mois auparavant.

Après plusieurs gouvernements provisoires, Milton Obote est de nouveau élu président en 1980, malgré une forte opposition. Profitant de cette accalmie politique, Lucille et Piero entament des discussions avec la faculté de médecine de l'université Makerere afin que l'hôpital de Lacor devienne un établissement d'accueil pour les internes ougandais. La paix est encore une fois de courte durée puisque dès 1981, la résistance contre le gouvernement Obote s'organise rapidement autour du Mouvement de résistance nationale et de sa branche armée, l'Armée de résistance nationale (NRA), commandée par Yoweri Museveni. Cette insurrection marque le début de la guerre de brousse, une guerre civile brutale qui va durer jusqu'en 1986 et qui causera la mort de plus d'un demi-million d'Ougandais.

Le nord du pays s'embrase brusquement devant l'incapacité des soldats ougandais, sans expérience ni discipline, à mettre un terme à la rébellion de la LRA. L'hôpital de Lacor est à plusieurs reprises ciblé par des pillards, qui espèrent y trouver de l'équipement, des vivres et des médicaments. À ces troubles, qui engorgent de blessés les urgences de l'établissement, s'ajoute l'apparition à l'hôpital, au courant de 1982, de patients affectés par une maladie mystérieuse, alors surnommée la « maladie de maigreur » (ou slim disease). C'est à cette même époque que Lucille commence à ressentir les symptômes du sida, qu'elle pense être le fait de son importance charge de travail. La santé de Piero, qui fait un premier infarctus en 1983, ne va alors guère mieux. Malgré tout, le couple n'a d'autre choix que de travailler, alors que l'hôpital de Lacor fait face à une affluence considérable de patients et de blessés.

C'est dans ce contexte difficile, alors que les combats entre l'armée et les rebelles de la NRA font rage, que l'établissement accueille ses premiers internes. Parmi ceux-ci se trouve le Dr Matthew Lukwiya, en qui Lucille et Piero réalisent qu'ils ont trouvé leur successeur. Avec le soutien du gouvernement italien[34], disposé à fournir de l'équipement et des spécialistes, Lucille et Piero venaient enfin de réaliser un projet qu'ils entretenaient depuis leur arrivée en Ouganda, plus de 20 ans auparavant. Cet accord permet aux médecins diplômés de l'université de Makerere de faire un internat à Lacor, sous la supervision de Lucille qui, malgré la fatigue et la maladie, se retrouve subitement en première ligne de la formation de la relève médicale ougandaise. L'accord sera plus tard étendu à l'université de Mbarare, fondée en 1989, et à celle de Gulu, fondée en 2003. En plus d'être en centre de formation pour les médecins ougandais, l'hôpital forme à cette époque des infirmières et poursuit sa croissance avec la construction d'une unité d'oncologie et d'un pavillon pour les patients atteints de la tuberculose, une maladie opportuniste fréquemment observée chez les patients atteints du sida.

En 1983, Dominique annonce à ses parents qu'elle désire poursuivre des études en médecine. Cette nouvelle est un baume pour le couple, qui pouvait enfin espérer que leur fille puisse les rejoindre à Lacor. À la même époque, Lucille commence cependant à soupçonner la nature de la maladie qui l'affecte depuis déjà quelques années. Lucille est diagnostiquée séropositive en 1985. Elle reçoit les résultats alors qu'elle se trouve à Montréal pour rendre visite à son père malade. Elle s'inquiète immédiatement de de savoir si elle peut continuer à pratiquer la chirurgie. Deux spécialistes, le professeur Anthony Pinching, qu'elle consulte lors d'une escale à Londres alors qu'elle était en route pour l'Ouganda, et le Dr Wilson Carswell, un médecin britannique qui travaillait à Kampala, l'invitent sans réserve à poursuivre ses activités. Tant que personne ne pouvait la remplacer, Lucille causerait plus de tort en arrêtant de pratiquer qu'en continuant, en prenant des précautions supplémentaires. La fulgurante progression du sida à travers le pays fit rapidement de cette maladie une réalité de la médecine en Ouganda, avec laquelle le personnel soignant, fortement touché par l'épidémie, devait aussi composer.

En 1985, le président Milton Obote est de nouveau renversé par un coup d'État orchestré par des militaires Acholis. L'année suivante, en 1986, les troupes de la NRA s'emparent de Kampala, forçant la démission du président Tito Okello après six mois au pouvoir. Le nouveau gouvernement, dirigé par Yoweri Museveni, entreprend dès sa constitution une campagne militaire contre les groupes qui lui sont hostiles, dont les Acholis, qui s'organisent pour résister. Parmi ces groupes, le plus important dans la région de Gulu est l'Armée populaire et démocratique d'Ouganda (UPDA), formée d'anciens militaires acholis fidèles à Tito Okello. Le gouvernement Museveni et la NRA, à peine légitimement au pouvoir, mènent une campagne anti-insurrectionnelle brutale contre cette nouvelle rébellion, attisant le nationalisme acholi. C'est ce contexte qui vit l'émergence du Mouvement du Saint-Esprit (HSM).

L'insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur

Le Mouvement du Saint-Esprit, un amalgame de plusieurs groupes rebelles mêlant nationalisme acholi, spiritisme et fondamentalisme chrétien, est formé en 1987. À sa tête se trouve une jeune médium acholi, Alice Auma, qui dit recevoir ses ordres de Lakwena, une entité messagère du Saint-Esprit. Après une série de victoires contre les forces gouvernementales, elle dirige ses troupes vers Kampala, mobilisant l'appui d'autres groupes ethniques opposés au gouvernement. La rébellion s'effrite brusquement vers la fin de l'année, avec l'arrestation d'Alice à la frontière kenyane, qu'elle tentait de traverser avec un groupe de fidèles. Sa disparition laisse cependant le champ libre à une seconde insurrection bien plus tenace et qui persiste encore à ce jour: celle de l'Armée de Résistance du Seigneur (LRA), commandée par Joseph Kony, qui lui aussi se réclame du Saint-Esprit.

La seconde moitié des années 1980, marquée par la violence quotidienne, les enlèvements et le pillage, est particulièrement difficiles pour l'hôpital. Des travaux pour la construction d'une bibliothèque, d'un service de physiothérapie et de laboratoires sont alors en préparation. Depuis 1985, l'établissement est cependant de nouveau sans électricité et repose toujours, pour son fonctionnement quotidien, sur une génératrice au diesel, dispendieuse à faire fonctionner, ainsi que sur quelques panneaux solaires installés sur les toits. Les patients sont moins nombreux, à cause des barrages routiers et des combats qui rendent les déplacements dangereux. À cette époque, ce sont surtout des civils cherchant à échapper au maraudage des rebelles et des soldats qui fréquentent l'établissement. Protégé par ses murs, celui-ci devient avec le temps un sanctuaire fréquenté à chaque soir par des milliers de personnes.

Cela n'empêcha pas l'hôpital de Lacor d'être attaqué et saccagé à répétition par les rebelles. Les cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit connaissent un sort similaire, les rebelles cherchant à s'emparer médicaments et d'équipements médicaux, ou encore à kidnapper des infirmières pour les rançonner[35]. À partir de 1987, la fréquence des attaques ne fait qu'augmenter. Lucille et Piero n'y échappent d'ailleurs pas. À plusieurs reprises, ils sont eux-mêmes pris en otage par des rebelles. En 1987, le lundi de Pâques, des rebelles s'introduisent dans l'hôpital après une fête et enferment le couple dans une chambre, menaçant de tuer Piero s'ils ne lui donnent pas de l'argent[36]. Ces attaques deviennent de plus en plus fréquentes. Quelques mois plus tard, en novembre 1987, des rebelles entrent dans l'hôpital pour se saisir d'un blessé, qu'ils trainent dehors avant de l'exécuter[37]. L'hôpital, son personnel et ceux qui s'y réfugient, sont sous la menace constante des rebelles.

Entre septembre et décembre 1988, l'hôpital St. Mary's Lacor est attaqué à sept reprises par les rebelles. Lorsque ce ne sont pas les rebelles, ce sont des militaires qui y font des perquisitions. Pour la première fois depuis 1961, Lucille et Piero commencent à songer à fermer l'hôpital qui, en outre du pillage, fait face à l'exode de son personnel. La sécurité des infirmières, des internes et du personnel de l'hôpital devient à cette époque l'une de leurs préoccupations principales. La plupart des employés vivent alors à l’intérieur de l’enceinte de l'établissement avec leur famille. Ils vont travailler le soir en vêtements civils afin d'éviter d'être reconnus et enlevés par les rebelles. Ceux qui ne sont pas Acholis, surtout, craignent d'être reconnus par les insurgés. La plupart des médecins italiens avaient été rapatrié: à la fin des années 1980, seul le Dr Dalla Bernardina demeure encore sur place, avec la sœur Lina Soso et quelques autres religieuses italiennes.

En réalité, la désintégration du HSM en 1988 ne règle en rien la situation, qui s'empire considérablement avec l'émergence de la LRA. À cette menace constante, qui perdure pour l'établissement jusqu'au début des années 1990, s'ajoute la santé de Lucille, qui décline de plus en plus depuis son diagnostic en 1985. Elle souffre notamment d'un muguet buccal particulièrement tenace et qui rend son alimentation difficile, mais aussi, en plus de la fatigue, d'autres co-infections typiques du sida comme la fièvre, la pneumonie et la maladie d'Addison.

Alors que Lucille et Piero sont en vacances au Kenya, en mars 1989, l'hôpital St. Mary's est envahi par des rebelles fidèles à Joseph Kony qui désirent s'emparer de médicaments. Ceux-ci demandent initialement à voir Piero et Lucille mais, constatant leur absence, tentent plutôt d'enlever les religieuses. Le Dr Lukwiya s'interpose, les informant que les médicaments sont désormais gardés par l'armée à Gulu. En échange des religieuses italiennes, le médecin est pris en otage par les rebelles, qui emporte aussi avec eux dans la forêt quelques infirmières ougandaises. Le Dr Dalla Bernardina est forcé de fermer l'hôpital, tout en maintenant les urgences ouvertes. De retour en Ouganda, Lucille et Piero constatent à quel point la situation est devenue difficile, et décident éventuellement de fermer temporairement l'établissement. Lucille continue à travailler, malgré l'état avancé de sa maladie, alors que Piero s'active à sauver l'établissement, dont l'existence même est désormais menacée.

Devant les attaques répétées, le gouvernement italien menace de fermer définitivement l'hôpital. Cette menace, bien réelle, a pour effet la libération du Dr Lukwiya et des autres otages, les rebelles réalisant pour la première fois à quel point ils dépendent eux-mêmes des soins qui y sont prodigués. La fermeture temporaire de l'établissement est néanmoins maintenue et, le 10 avril 1989, Piero fait distribuer des tracts à Gulu pour en faire l'annonce. À la suite des protestations de la population locale, le gouvernement accepte de former une milice pour en assurer la défense. Piero maintient cependant la fermeture de l'hôpital pendant un certain temps. Ce n'était pas la première fois qu'il avait utilisé cet argument: il en avait déjà fait part part aux influents aînés des Acholis sans que la manœuvre ne porte fruit. La menace, cette fois-ci, est suffisante. Joseph Kony, par l'intermédiaire d'un de ses soldats, menace Piero de représailles si l'hôpital ne reprend pas ses activités, mais abandonne rapidement cette tactique. Jusqu'à la fin du conflit au début des années 2000, l'hôpital de Lacor a été épargné, malgré les combats faisant rage entre les rebelles de la LRA et les troupes gouvernementales.

Les dernières années et la reconnaissance internationale

Lorsque Lucille fut diagnostiquée séropositive, en 1985, on ne lui donna que 25% de probabilités de survivre plus de deux ans. Lors de sa rencontre avec le Dr Pinching, ce dernier lui avait dit que le moral jouait un rôle important dans ses chances de survie. Le VIH était alors assez peu étudié, et on connaissait mal l'espérance de vie d'un patient séropositif. Lucille lutta finalement contre la maladie durant onze ans, travaillant malgré la fatigue, les nombreux problèmes de santé et l'insurrection qui embrasait le nord de l'Ouganda.

Ces dernières années sont aussi marquées par la reconnaissance internationale. À partir du milieu des années 1980, les prix et les récompenses commencent à s'accumuler. Récipiendaires de plusieurs distinctions italiennes, promus officiers de l'Ordre du Mérite de la République italienne en 1981 et reçus par le pape Jean-Paul II avec d'autres médecins du Cuamm deux ans plus tard, le couple est déjà bien connu en Italie. C'est néanmoins en 1986 qu'ils reçoivent une première distinction d'envergure internationale: le prix Sasakawa de l'Organisation mondiale de la santé, octroyé pour leur apport au développement des soins de santé dans le nord de l'Ouganda. Cette reconnaissance ne s'étend cependant pas encore au Canada: outre quelques rares mentions dans les journaux québécois, Lucille Teasdale demeure inconnue du public canadien.

La situation change progressivement vers la fin de sa vie. En 1987, elle reçoit le prix F.N.G. Starr, la plus haute distinction de l'Association médicale canadienne, où elle figure en illustre compagnie auprès de sir Frederick Banting, de Wilder Penfield et d'Armand Frappier. Elle est aussi nommée membre honoraire de l'Association médicale du Québec, devenant la première femme à recevoir cet honneur. Deux ans plus tard, en 1989, la parution d'un portrait dans le Reader's Digest permet enfin de l'introduire à un public plus large. En 1991, Lucille reçoit l'Ordre du Canada. Quatre ans plus tard, en 1995, le Premier ministre québécois Jacques Parizeau lui octroie l'Ordre national du Québec. Peu après, elle est admise comme membre honoraire du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada lors d'une cérémonie publique tenue à la Place des Arts de Montréal. Sa renommée québécoise n'est déjà plus à faire: l'année précédente, le journaliste Michel Arseneault s'était rendu auprès d'elle, en Ouganda afin de l'interviewer. Son reportage, diffusé à l'émission Le Point à Radio-Canada, est un grand succès.

Aux honneurs canadiens succèdent ceux de l'Italie. En 1995, l'hôpital de Lacor reçoit le prix Antonio-Feltrinelli de l'Académie nationale des Lyncéens, la plus ancienne société savante d'Europe, fondée en 1603. Le prix, accompagné d'une bourse de 300 000 lires italiennes, est décerné lors d'une cérémonie publique au Palazzo Corsini, à Rome. À tous ces honneurs s'ajoute finalement celui de l'Organisation des Nations Unies, qui décerne à Lucille le prix du Centre international pour la cause africaine afin de souligner son engagement, personnel et professionnel, dans la lutte contre le sida en Ouganda.

Au cours des années 1990, la paix revient peu à peu dans le nord de l'Ouganda. La LRA perd alors du terrain face aux forces gouvernementales, même si les rebelles demeurèrent actifs dans le pays jusqu'en 2006. Ces soubresauts de violence contre la population civile, marqués par le meurtre, le vol de bétail et les enlèvements d'enfants, n'affectent jamais plus directement l'hôpital de Lacor, qui peut reprendre ses activités. En 1993, signe du retour de la paix dans la région, le pape Jean-Paul II visite Gulu pour une messe publique. À la grande déception de Lucille, le programme du souverain pontife n'inclue pas une visite de l'hôpital de Lacor, même si plusieurs hôpitaux missionnaires en Ouganda et au Zaïre voisin y sont inscrits.

Si la paix est de retour, la santé de Lucille décline toujours plus, l'astreignant à des périodes de repos de plus en plus longues. Dans ses dernières années, elle partage son temps entre l'Ouganda et l'Italie, où elle suit des traitements. Elle continue malgré tout à voir et à opérer des patients. Quelques mois avant son décès, extrêmement amaigrie et fatiguée, elle parvient tout de même à travailler quelques heures par jour. Parfois trop faible pour se lever le matin, Piero doit lui administrer des perfusions intraveineuses pour la réhydrater. Le 16 mars 1996, avec l'assistance de Jacob Meri, un interne ougandais, elle performe une dernière chirurgie. Il s'agit de sa dernière parmi plus de 13000 interventions chirurgicales. Un mois plus tard, trop malade pour demeurer en Ouganda, elle quitte définitivement Lacor. À cause du danger posé par les rebelles, le couple doit être évacué par l'armée en hélicoptère.

Mort

Piero et Lucille s'installent à Besana in Brianza, non loin de Milan, en avril 1996. Extrêmement souffrante, elle ne peut se rendre à Montréal, en mai de la même année, pour recevoir un doctorat honoris causa de l'Université de Montréal. C'est sa sœur Lise qui l'accepte en son nom. Entourée de Piero, de Dominique et de Lise, Lucille Teasdale décède le 1er août 1996. Après des obsèques publiques en Italie, sa dépouille est transportée en Ouganda pour y recevoir des funérailles publiques. Des milliers d'Ougandais viennent lui rendre hommage dans la cathédrale de Gulu, sous la supervision de l'armée, qui positionne un char d'assaut à proximité, signe que la menace de la LRA plane toujours sur la région. Lucille Teasdale est inhumée dans la cour de l'hôpital, sa demeure pendant 35 ans.

Cinq après après sa mort, en 2001, Lucille est intronisée à titre posthume au Temple de la renommée médicale canadienne[38]. Depuis 2008, en souvenir de leur œuvre et de leur engagement humanitaire, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada remet à chaque année le prix Teasdale-Corti d'action humanitaire à des médecins qui, souvent au péril de leur vie, pratiquent la médecine humanitaire à l'étranger[39].

L'hôpital de Lacor après Lucille

Le rapport annuel de l'hôpital pour l'année 1996 indique que l'hôpital de Lacor comptait alors 446 lits. Il enregistre 13 437 admissions, et note que 116 953 patients avaient été traités en clinique externe. 1114 accouchements et 1278 interventions chirurgicales majeures avaient été réalisées durant l'année, et 33613 doses de vaccin avaient été inoculées. Il s'agissait déjà du principal établissement de santé du nord du pays. Malgré la guerre et le manque chronique de ressources humaines et matérielles, l'hôpital n'avait jamais cessé de grossir en 35 ans. Dans les décennies depuis la mort de Lucille Teasdale, l'hôpital n'a jamais cessé de croître.

Après le décès de Lucille, malgré une santé défaillante, Piero continue à se consacrer à l'hôpital de Lacor. Atteint de la maladie d'Alzheimer et souffrant déjà de problèmes cardiaques depuis plusieurs années, il est aussi grandement affecté par le décès soudain du Dr Matthew Lukwiya, emporté par une épidémie d'Ebola qui frappe l'hôpital en décembre 2000. Dès lors, sa santé l'empêchant de pratiquer la médecine, il voue ses dernières années au financement des activités de l'établissement à travers les deux fondations qu'il avait créé avec Lucille: la Fondazione Piero e Lucille Corti en Italie (1993) et la Fondation Teasdale-Corti à Montréal (1995). Piero Corti s'éteint à Milan d'un cancer du pancréas le dimanche 20 avril 2003, le jour de Pâques. Sa dépouille est transportée en Ouganda pour être inhumée aux côtés de celles de Lucille et de Matthew, dans les jardins de l'hôpital de Lacor.

Depuis le retour définitif de la paix dans le nord du pays au milieu des années 2000, l'établissement poursuit son développement. Il est aujourd'hui l'un des principaux employeurs de la région ainsi qu'un important centre d'internat pour les médecins formés en Ouganda. À la mort de son père en 2003, Dominique Corti est devenue présidente de la Fondazione Piero et Lucille Corti. Elle l'a aussi remplacé sur le conseil d'administration de l'hôpital. Depuis 2006, elle est membre du conseil d'administration de la Fondation Teasdale-Corti. L'hôpital de Lacor est aujourd'hui administré par une équipe entièrement ougandaise, formée à l'hôpital par Lucille et Piero. Encore aujourd'hui, l'approche préconisée par Lucille, axée sur le soin des patients avant tout, demeure l'un des principes fondamentaux de l'établissement. Chaque année, des centaines de milliers de patients - dont près du tiers sont des enfants âgés de moins de six ans - obtiennent des soins de qualité à l'hôpital ou dans ses cliniques périphériques.

Prix et distinctions

  • 1972 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Missione del Medico – Angelo De Gasperis par la Fondation Carlo Erba de Milan.
  • 1981 Lucille Teasdale et Piero Corti se sont vus décerner l’Ordre du mérite de la République italienne (officier) par le président de la République par voie de décret.
  • 1983 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Premio della Bontà Notte di Natale Angelo Motta par la Fondation Pro Juventute Don Gnocchi de Milan.
  • 1984 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Ambrogino d’Oro par la municipalité de Milan.
  • 1986 Lucille Teasdale s’est vu décerner la reconnaissance Paul Harris Fellow par les clubs Rotary International en Italie.
  • 1986 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le World Health Organization's Sasakawa Health Prize, lequel est remis à une ou plusieurs personnes, institutions ou organismes non gouvernementaux pour avoir accompli un travail exceptionnel et novateur en ce qui a trait au développement de la santé et en vue d’encourager des développements subséquents d’un tel travail.
  • 1987 Lucille Teasdale s’est vu décerner le prix Frederick Newton Gisborn Starr par l’Association médicale canadienne.
  • 1990 Lucille Teasdale a reçu l’International Medical Women Association Award d’Italie.
  • 1991 Lucille Teasdale a reçu l’Ordre du Canada
  • 1993 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Cuore Amico d’Italie
  • 1995 Lucille Teasdale est nommée consultante honorifique par le ministère de la Santé de l’Ouganda et le sénat de l’Université Makerere.
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu l’Ordre national du Québec (Grand Officier)
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu le Prix d’Excellence pour la Cause Africaine par CICA New York
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu le prix Velan des clubs Rotary de Montréal
  • 1995 Lucille Teasdale et Piero Corti se sont vu décerner le Premio Professionalità par les clubs Rotary de Milan.
  • 1995 Lucille Teasdale a reçu le titre de membre honoraire par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.
  • 1995 L’hôpital Lacor a reçu le Premio Antonio Feltrinelli pour l’accomplissement à s’employer à respecter des critères moraux et humanitaires exceptionnels décerné par l’Accademia dei Lincei de Rome
  • 1996 Lucille Teasdale a reçu un doctorat honoris causa de l’Université de Montréal.
  • 1996 in memoriam Lucille Teasdale a reçu le Premio Speciale Cuore D’Oro par le Premio della Bontà Motta, Notte di Natale, Milan
  • 1997 in memoriam Lucille Teasdale a reçu le Premio Moscati Caserta d’Italie
  • 2000 Poste Canada émet un timbre de 46 sous en l’honneur de Lucille Teasdale.Lucille Teasdale-Corti
  • 2001 Lucille Teasdale est intronisée au Temple de la renommée médicale canadienne.
  • 2004 in memoriam Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu la Médaille d’or de l’Ordre du mérite par voie de décret du président de la République italienne

Lucille Teasdale-Corti

  • 1999 Parc Lucille-Teasdale à Montréal est nommé en son honneur (45°17′45″N 73°21′21″W / 45.2959°N 73.3559°W / 45.2959; -73.3559)
  • 2001 L’école secondaire de Lucille-Teasdale à Blainville, Québec est construite et nommée en son honneur. (45°43′15″N 73°53′49″W / 45.72085°N 73.897018°W / 45.72085; -73.897018)
  • 2013 L’école internationale de Lucille-Teasdale à Brossard, Québec est renommée en son honneur. (45°26′55″N 73°28′39″W / 45.448563°N 73.477444°W / 45.448563; -73.477444)
  • Le CSSS (Centre de Santé et de Services Sociaux) est nommé en son honneur à Montréal. (Lucille Teasdale-Corti45°34′09″N 73°34′37″W / 45.569159°N 73.577042°W /45.569159; -73.577042) en plus d’un boulevard, le boulevard Lucille Teasdale. (45°43′32″N 73°30′40″W / 45.725485°N 73.511245°W /45.725485; -73.511245)

Notes et références

  1. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, Montréal, Libre Expression, (1re éd. 1998) (ISBN 9782764805527), p. 51
  2. a b c et d Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 53-54
  3. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 85-86
  4. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 57-58
  5. Deborah Cowley (trad. de l'anglais), Lucille Teasdale: Docteure Courage, Montréal, XYZ, (ISBN 978-1-4593-2801-3, lire en ligne Accès limité), p. 24
  6. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 4 (lire en ligne Accès libre [PDF])
  7. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 88-90
  8. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 91
  9. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 25
  10. « Lucille Teasdale » Accès libre, sur L'Encyclopédie canadienne, (consulté le )
  11. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie: Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 19-20
  12. a b et c Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 27
  13. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 69
  14. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 24
  15. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 25
  16. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 28
  17. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 61
  18. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 26-27
  19. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 18
  20. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 65
  21. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 3 (lire en ligne Accès libre)
  22. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 70
  23. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 41
  24. a et b Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de notre histoire: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 6 (lire en ligne Accès libre)
  25. a et b Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 38-39
  26. Mieux connue sous le nom d'Infant Oral Mutilation (OIM), la pratique était très commune dans le nord de l'Ouganda au début des années 1960. Elle est aujourd'hui beaucoup plus rare.
  27. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 40
  28. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 75
  29. a et b Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 42
  30. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 79
  31. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 115
  32. Référence: Arseneault, p. 152.
  33. L'ouvrage fut traduit en 1980 sous le titre: Aider la mère africaine des régions rurales à bien soigner son enfant.
  34. À la fin des années 1980, le gouvernement italien était l’un des plus importants contributeurs à l'aide internationale en Ouganda, plus spécifiquement par l'entremise de programmes de santé liés aux établissements publics et privés.
  35. C'est le cas de l'infirmière Amooti Mwazi, enlevée et torturée en mars 1987. Bien qu'elle fut éventuellement libérée, elle ne reprit pas son emploi à l'hôpital, préférant quitter Gulu pour Kampala.
  36. Arseneault, Un rêve pour la vie..., p. 258.
  37. Ibidem, p. 259.
  38. « Lucille Teasdale-Corti, MD », sur Temple de la renommée médicale canadienne (consulté le )
  39. « Récipiendaires du prix Teasdale-Corti d'action humanitaire du Collège royal », sur Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (consulté le )

Annexes

Bibliographie

Monographies

  • Michel Arseneault, Un rêve pour la vie. Lucille Teasdale & Piero Corti, Montréal, Libre Expression, 2011, 2e éd. (1ère éd. 1999).
  • Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, Montréal, XYZ, 2007.
  • Fondazione Piero et Lucille Corti / Fondation Teasdale-Corti, To Make a Dream Come True: Letters from Lacor Hospital, 1961 - 2003, Bergamo, Corponove, 2009.

Articles

  • Danny Lake-Giguère, Figures marquantes de la solidarité - 7e rencontre: Lucille Teasdale, [en ligne], [1].

Vidéographie

  • Dre Lucille. Motion internationale. (version française et anglaise)
  • Before I Go –Documentaire sur Lucille Teasdale par Michel Arseneault (aussi en français : Avant de vous faire mes adieux)

Autres médias

  • Ilaria Ferramosca et Chiara Abastanotti, Lucille, Montréal, Hachette Canada, 2013.

Articles connexes

Liens externes