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« Le Livre de Jean de Mandeville » : différence entre les versions

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L’expression ''Livre des merveilles'' reprend le titre d’un ouvrage de [[Pierre le Vénérable]], [[abbé de Cluny]] : ''Livre des merveilles de Dieu''.
L’expression ''Livre des merveilles'' reprend le titre d’un ouvrage de [[Pierre le Vénérable]], [[abbé de Cluny]] : ''Livre des merveilles de Dieu''.


== Le Royaume du prêtre Jean ==
=== Le Royaume du prêtre Jean ===
L'auteur émaille son œuvre de nombreux commentaires sur le [[Royaume du prêtre Jean|prêtre Jean]] et son royaume. Ce légendaire roi chrétien s'est fait connaître en Europe à l'époque des [[croisade]]s. D'après la ''Chronique'' de l'évêque allemand [[Otton de Freising]] publiée au {{XIIe siècle}}, il aurait adressé une lettre à l'[[empereur]] [[Manuel Ier Comnène|Manuel {{Ier}} Comnène]] de [[Byzance]]. Le document connut alors une grande diffusion et fut plusieurs fois remanié et augmenté. En 1254, [[Guillaume de Rubrouck]] explique avoir voyagé en Asie, sans avoir entendu parler de ce personnage. Ce qui n'empêcha pas sa légende de continuer à se propager, avec son territoire d'abord situé en Asie, puis en [[Éthiopie]] et enfin sur le [[Amérique|continent Américain]]. Cette légende a pourtant des fondements historiques, puisque les tribus [[turco-mongol]]es de la région du [[Désert de Gobi|Gobi]] et de l'[[Orkhon]] comptait des chrétiens [[Nestorianisme|nestoriens]]. Les descriptions de Mandeville sont essentiellement basés sur le texte d'Odoric de Pordenone, ainsi que la fameuse, bien qu'il rajoute lui-même des éléments inédits.
L'auteur émaille son œuvre de nombreux commentaires sur le [[Royaume du prêtre Jean|prêtre Jean]] et son royaume. Ce légendaire roi chrétien s'est fait connaître en Europe à l'époque des [[croisade]]s. D'après la ''Chronique'' de l'évêque allemand [[Otton de Freising]] publiée au {{XIIe siècle}}, il aurait adressé une lettre à l'[[empereur]] [[Manuel Ier Comnène|Manuel {{Ier}} Comnène]] de [[Byzance]]. Le document connut alors une grande diffusion et fut plusieurs fois remanié et augmenté. En 1254, [[Guillaume de Rubrouck]] explique avoir voyagé en Asie, sans avoir entendu parler de ce personnage. Ce qui n'empêcha pas sa légende de continuer à se propager, avec son territoire d'abord situé en Asie, puis en [[Éthiopie]] et enfin sur le [[Amérique|continent Américain]]. Cette légende a pourtant des fondements historiques, puisque les tribus [[turco-mongol]]es de la région du [[Désert de Gobi|Gobi]] et de l'[[Orkhon]] comptait des chrétiens [[Nestorianisme|nestoriens]]. Les descriptions de Mandeville sont essentiellement basés sur le texte d'Odoric de Pordenone, ainsi que la fameuse, bien qu'il rajoute lui-même des éléments inédits.


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Le royaume est essentiellement chrétien.Mandeville raconte l'origine du nom du prêtre Jean et sa [[conversion au christianisme]], anecdote qu'il est le seul à faire connaître en Occident et qu'il a peut-être recueillie en Égypte. Jadis, un empereur très vaillant avait pour compagnon des chevaliers chrétiens, comme il en a maintenant. Il voulut voir comment se déroulent les offices dans les églises. Il entra donc avec un de ces chevaliers dans une église égyptienne, le jour samedi après la [[Pentecôte]], alors que l'évêque faisait les [[Ordre (sacrement)|ordinations]]. L'empereur interrogea alors son compagnon sur ce qu'il voyait, notamment les [[prêtre]]s. C'est alors qu'il ne voulût plus être empereur mais prêtre. Il demanda à prendre le nom du premier qui sortirait de l'église : l'homme en question s'appelant Jean, l'empereur se fit appeler Prêtre Jean<ref name=":1">{{Ouvrage|auteur1=Jean de Mandeville|titre=Livre des merveilles du monde|éditeur=ʽLes Belles Lettresʽ|collection=La Roue à livres|date=1993|commentaire=Traduit et commenté par Christiane Deluz}}</ref>.
Le royaume est essentiellement chrétien.Mandeville raconte l'origine du nom du prêtre Jean et sa [[conversion au christianisme]], anecdote qu'il est le seul à faire connaître en Occident et qu'il a peut-être recueillie en Égypte. Jadis, un empereur très vaillant avait pour compagnon des chevaliers chrétiens, comme il en a maintenant. Il voulut voir comment se déroulent les offices dans les églises. Il entra donc avec un de ces chevaliers dans une église égyptienne, le jour samedi après la [[Pentecôte]], alors que l'évêque faisait les [[Ordre (sacrement)|ordinations]]. L'empereur interrogea alors son compagnon sur ce qu'il voyait, notamment les [[prêtre]]s. C'est alors qu'il ne voulût plus être empereur mais prêtre. Il demanda à prendre le nom du premier qui sortirait de l'église : l'homme en question s'appelant Jean, l'empereur se fit appeler Prêtre Jean<ref name=":1">{{Ouvrage|auteur1=Jean de Mandeville|titre=Livre des merveilles du monde|éditeur=ʽLes Belles Lettresʽ|collection=La Roue à livres|date=1993|commentaire=Traduit et commenté par Christiane Deluz}}</ref>.


== Alexandre le Grand ==
=== Alexandre le Grand ===
[[Fichier:AlexanderTheGreat Bust.jpg|vignette|Buste d’Alexandre, {{-sp-|II|-|I|s}}, [[British Museum]].]]
[[Fichier:AlexanderTheGreat Bust.jpg|vignette|Buste d’Alexandre, {{-sp-|II|-|I|s}}, [[British Museum]].]]
De nombreuses allusions sont faites à [[Alexandre le Grand]], mêlant des fait historiques avec des éléments légendaires, tirés notamment du ''[[Roman d'Alexandre]]''. Par exemple, il est question de villes qu'il fonda, telles que Celsite, qui correspond à l'actuelle ville turkmène de [[Merv]]. Ou encore une [[Villes fondées par Alexandre le Grand|Alexandrie]] située entre la [[Mer Noire|mer Maure]] et [[Mer Caspienne|celle de Caspille]], dans un passage étroit menant à l'Inde : cette ville fut ensuite nommée [[Portes d'Alexandre|Porte-de-Fer]].
De nombreuses allusions sont faites à [[Alexandre le Grand]], mêlant des fait historiques avec des éléments légendaires, tirés notamment du ''[[Roman d'Alexandre]]''. Par exemple, il est question de villes qu'il fonda, telles que Celsite, qui correspond à l'actuelle ville turkmène de [[Merv]]. Ou encore une [[Villes fondées par Alexandre le Grand|Alexandrie]] située entre la [[Mer Noire|mer Maure]] et [[Mer Caspienne|celle de Caspille]], dans un passage étroit menant à l'Inde : cette ville fut ensuite nommée [[Portes d'Alexandre|Porte-de-Fer]].
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Mandeville décrit enfin une île, où coule une rivière large d'environ deux lieues et demie appelée Buenar, à partir de laquelle il faut voyager quinze jours à travers les déserts pour parvenir de l'autre côté de l'Inde. Dans ces déserts se trouvent les arbres du soleil et de la lune, ayant prédit sa mort à Alexandre : ce détail est tiré du ''Roman''<ref name=":1" />.
Mandeville décrit enfin une île, où coule une rivière large d'environ deux lieues et demie appelée Buenar, à partir de laquelle il faut voyager quinze jours à travers les déserts pour parvenir de l'autre côté de l'Inde. Dans ces déserts se trouvent les arbres du soleil et de la lune, ayant prédit sa mort à Alexandre : ce détail est tiré du ''Roman''<ref name=":1" />.


== Les Amazones ==
=== Les Amazones ===
[[Fichier:AmazonBattle.jpg|gauche|vignette|[[Pierre-Eugène-Émile Hébert]], ''Amazone se préparant à la bataille'', [[Washington (district de Columbia)|Washington]], [[National Gallery of Art]].]]
[[Fichier:AmazonBattle.jpg|gauche|vignette|[[Pierre-Eugène-Émile Hébert]], ''Amazone se préparant à la bataille'', [[Washington (district de Columbia)|Washington]], [[National Gallery of Art]].]]
La légende des [[Amazones]] est évoquée par de nombreux auteurs depuis l'Antiquité. Elle insiste sur l'aspect merveilleux de ce royaume de femmes, en adoptant parfois un sens moralisateur. Mandeville en donne sa version dans son ouvrage. Il situe leur royaume, qu'il appelle Amazonie ou « Terre de Féminie », au-dessous de la [[Scythie]] et de la [[mer Caspienne]], s'étendant jusqu'au fleuve de Tanaïs (nom grec antique de l'actuel fleuve russe [[Don (fleuve)|Don]]). Ce territoire est décrit comme entouré d'eau, sauf en deux endroits, où se trouvent les entrées du royaume.
La légende des [[Amazones]] est évoquée par de nombreux auteurs depuis l'Antiquité. Elle insiste sur l'aspect merveilleux de ce royaume de femmes, en adoptant parfois un sens moralisateur. Mandeville en donne sa version dans son ouvrage. Il situe leur royaume, qu'il appelle Amazonie ou « Terre de Féminie », au-dessous de la [[Scythie]] et de la [[mer Caspienne]], s'étendant jusqu'au fleuve de Tanaïs (nom grec antique de l'actuel fleuve russe [[Don (fleuve)|Don]]). Ce territoire est décrit comme entouré d'eau, sauf en deux endroits, où se trouvent les entrées du royaume.
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Mandeville qualifie les Amazones de bonnes guerrières, courageuses, vaillantes, valeureuses et sages. Elles se rendent quand elles le souhaitent dans les royaumes voisins amis pour y rencontrer des hommes et prendre du plaisir avec eux. Elles peuvent avoir un enfant avec eux et, une fois enceinte, rentrer chez elles. Si elles ont un garçon, ou bien elles l'envoient à leur père dès qu'il sait marcher seul, ou bien elles le tuent. Si elles ont une fille, elles lui enlèvent au fer chaud un des deux seins, selon son rang. Les Amazones de noble lignée se font enlever le sein gauche, afin qu'elles portent facilement le bouclier. Celles dites « piétonnes » se font retirer le droit, afin de ne pas être gêné en tirant à l'[[Arc composite|arc turc]] ; elles sont de très bonnes [[Archer|archères]]. Pour [[Monarchie élective|élire leur reine]], à laquelle elles sont toutes soumises, les Amazones choisissent la plus vaillante aux armes. Enfin, ce peuple monnaye souvent son aide aux rois des royaumes voisins<ref name=":1" />.
Mandeville qualifie les Amazones de bonnes guerrières, courageuses, vaillantes, valeureuses et sages. Elles se rendent quand elles le souhaitent dans les royaumes voisins amis pour y rencontrer des hommes et prendre du plaisir avec eux. Elles peuvent avoir un enfant avec eux et, une fois enceinte, rentrer chez elles. Si elles ont un garçon, ou bien elles l'envoient à leur père dès qu'il sait marcher seul, ou bien elles le tuent. Si elles ont une fille, elles lui enlèvent au fer chaud un des deux seins, selon son rang. Les Amazones de noble lignée se font enlever le sein gauche, afin qu'elles portent facilement le bouclier. Celles dites « piétonnes » se font retirer le droit, afin de ne pas être gêné en tirant à l'[[Arc composite|arc turc]] ; elles sont de très bonnes [[Archer|archères]]. Pour [[Monarchie élective|élire leur reine]], à laquelle elles sont toutes soumises, les Amazones choisissent la plus vaillante aux armes. Enfin, ce peuple monnaye souvent son aide aux rois des royaumes voisins<ref name=":1" />.


== Des milliers d'îles ==
=== Des milliers d'îles ===
[[Fichier:Full 6 Atles Català BNF.jpg|vignette|Sixième feuille de l'[[Atlas catalan]] de la [[Bibliothèque nationale de France]], représentant l'Asie et ses nombreuses îles]]
[[Fichier:Full 6 Atles Català BNF.jpg|vignette|Sixième feuille de l'[[Atlas catalan]] de la [[Bibliothèque nationale de France]], représentant l'Asie et ses nombreuses îles]]
Mandeville évoque de très nombreuses îles situées en Asie. Certaines sont aisément identifiables, comme [[Île d'Ormuz|celle d'Ormuz]], nommée telle quelle, ou [[Sri Lanka]], appelée Taprobane ou Silha. Mais il n'est pas facile de toutes les reconnaître, surtout que certaines sont fictives. Comme les îles asiatiques étaient à peine connues, l'auteur y place toutes les légendes qu'il ne pouvait plus localiser en Asie continentale, déjà connue grâce aux récits des autres voyageurs.
Mandeville évoque de très nombreuses îles situées en Asie. Certaines sont aisément identifiables, comme [[Île d'Ormuz|celle d'Ormuz]], nommée telle quelle, ou [[Sri Lanka]], appelée Taprobane ou Silha. Mais il n'est pas facile de toutes les reconnaître, surtout que certaines sont fictives. Comme les îles asiatiques étaient à peine connues, l'auteur y place toutes les légendes qu'il ne pouvait plus localiser en Asie continentale, déjà connue grâce aux récits des autres voyageurs.

Version du 23 décembre 2021 à 11:53

Voyages d’outre mer
Incipit de l'édition de 1497
Langue
Auteur
Genres
Littérature de voyage (en)
Voyage imaginaire (en)
Récit de voyageVoir et modifier les données sur Wikidata
Date de création
XIVe siècleVoir et modifier les données sur Wikidata
Date de parution

Le Livre des merveilles du monde est un ouvrage rédigé par Jean de Mandeville, chevalier anglais, à Liège entre 1355 et 1357 (soit pendant la guerre de Cent Ans). Celui-ci se base sur un prétendu voyage en Égypte, Inde, Asie centrale, Chine, qui dura 34 ans (de 1322 à 1356), et les récits de missionnaires franciscains et dominicains. Le voyage de Mandeville est une mise en scène destinée à rendre son récit plus vivant. Il a certainement voyagé en Terre sainte, mais il est très peu probable que l’auteur ait atteint l’Asie centrale et encore moins l’Inde ou la Chine. Ce livre est plus connu sous le titre Voyages ou bien encore Une Geste ou aussi Un Roman sur les merveilles du monde.

Cette œuvre ne doit pas être confondue avec l’œuvre de Marco Polo, rédigée antérieurement, que l’on appelle couramment le Livre des Merveilles, et qui devrait plutôt s’intituler Devisement du monde selon la Bibliothèque nationale de France.

L’expression Livre des merveilles reprend le titre d’un ouvrage de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny : Livre des merveilles de Dieu.

Le Royaume du prêtre Jean

L'auteur émaille son œuvre de nombreux commentaires sur le prêtre Jean et son royaume. Ce légendaire roi chrétien s'est fait connaître en Europe à l'époque des croisades. D'après la Chronique de l'évêque allemand Otton de Freising publiée au XIIe siècle, il aurait adressé une lettre à l'empereur Manuel Ier Comnène de Byzance. Le document connut alors une grande diffusion et fut plusieurs fois remanié et augmenté. En 1254, Guillaume de Rubrouck explique avoir voyagé en Asie, sans avoir entendu parler de ce personnage. Ce qui n'empêcha pas sa légende de continuer à se propager, avec son territoire d'abord situé en Asie, puis en Éthiopie et enfin sur le continent Américain. Cette légende a pourtant des fondements historiques, puisque les tribus turco-mongoles de la région du Gobi et de l'Orkhon comptait des chrétiens nestoriens. Les descriptions de Mandeville sont essentiellement basés sur le texte d'Odoric de Pordenone, ainsi que la fameuse, bien qu'il rajoute lui-même des éléments inédits.

L'auteur explique que le royaume de ce prêtre est frontalier de celui du « Grand Chan » (Grand Khan), le Cathay, qui est bien plus puissant et riche que lui. C'est parce que les marchands se rendent moins facilement dans le territoire du prêtre, qui est trop loin pour eux. Mandeville qualifie le prêtre d'empereur des Indes (ou de la Haute Inde), dirigeant un pays vaste et prospère. Selon l'écrivain, le pays d'Inde est composé d'une multitude d'îles, car il irrigué par les fleuves issus du Paradis terrestre (qu'il situe en Extrême-Orient), le divisant en plusieurs parties. S'ajoutent à ce territoire impérial les îles de la mer d'Inde. Il existe soixante-douze provinces sont sous son autorité, chacune gérée par un roi, qui lui sont tous soumis et lui doivent un tribut. L'empereur a pour royaume une île que l'auteur nomme « Pentexoire », pays mal localisable, dont parle Odoric de Pordenone. La plus belle cité de cette île, Nyse, est également la cité royale, où l'empereur possède un palais. Mais celui-ci préfère passer le plus clair de son temps dans son inestimable palais de la cité de Suse (aucun rapport avec la Suse iranienne), doté de tours et richement décoré. Ces détails proviennent de la lettre. Tandis que Nyze est une ville légendaire située en Asie par l'ecclésiastique du VIIe siècle Isidore de Séville.

L'ouvrage explique qu'à côté de Pentexoire se trouve la longue île de Milstorak, décrite par Pordenone comme une possession du prêtre en Asie centrale. Y vivait autrefois un certain Gathalonabes, dont le nom pourrait être une déformation de l'arabe « qatil-an-nafs », signifiant « e meurtrier ». Cet homme habite une forteresse entourée de montagnes, doté d'un splendide jardin. Mandeville reprend l'histoire du Vieux de la Montagne et de la secte des Assassins, située à Alamut, en Iran, également évoquée par Marco Polo. À côté de Milstorak coule le Pishon, fleuve biblique que l'auteur assimile au Gange. Vers la partie orientale du royaume se trouve l'île de Taprobane (Sri Lanka), dont le roi est vassal du prêtre. La description qu'en fournit Mandeville, comme un pays connaissant deux pays et deux hivers, s'inspire du Speculum historiale. Tandis que l'évocation des fourmis qui sur cette île gardent des montagnes d'or évoque la légende de fourmis similaires, que Pline l'Ancien situe en Éthiopie, dans son Histoire naturelle, livre XI, 31.

Prêtre Jean, illustration de La Chronique de Nuremberg par Hartmann Schedel 1493 (manuscrit original en collection privée)

Mandeville ajoute que sur le royaume, à une journée de voyage de Yazd (Iran), se trouve également la mer Aréneuse, mer sans eau, constituée de sable et de gravier. Cette mer serait reliée souterrainement à la fosse Memnon remplie de sable, située près d'Acre, en Israël, à côté de la rivière Belus (actuelle Na'aman (en)). Cette fosse, servant à fabriquer du beau verre transparent et se remplissant de nouveau une fois vide, est mentionnée dans l'Histoire naturelle, livre XXXVI, 65.

Toujours dans le royaume du prêtre, des montagnes entourent une plaine désertique. Quotidiennement, des arbrisseaux y croissent du lever du soleil jusqu'à midi, puis décroissent jusqu'au crépuscule. Les fruits qu'ils portent sont comme féériques, au point que personne n'ose y toucher. On y trouve des hommes sauvages cornus qui grognent comme des pourceaux, ainsi que beaucoup de chiens et de perroquets. Certains de ces hommes, qui parlent aussi parfaitement qu'un humain, ont cinq orteils à chaque pied. Tandis que ceux n'en ayant que trois ne font que crier. Les merveilles décrites proviennent également de la lettre.

Le royaume est essentiellement chrétien.Mandeville raconte l'origine du nom du prêtre Jean et sa conversion au christianisme, anecdote qu'il est le seul à faire connaître en Occident et qu'il a peut-être recueillie en Égypte. Jadis, un empereur très vaillant avait pour compagnon des chevaliers chrétiens, comme il en a maintenant. Il voulut voir comment se déroulent les offices dans les églises. Il entra donc avec un de ces chevaliers dans une église égyptienne, le jour samedi après la Pentecôte, alors que l'évêque faisait les ordinations. L'empereur interrogea alors son compagnon sur ce qu'il voyait, notamment les prêtres. C'est alors qu'il ne voulût plus être empereur mais prêtre. Il demanda à prendre le nom du premier qui sortirait de l'église : l'homme en question s'appelant Jean, l'empereur se fit appeler Prêtre Jean[1].

Alexandre le Grand

Buste d’Alexandre, IIe – Ier siècles av. J.-C., British Museum.

De nombreuses allusions sont faites à Alexandre le Grand, mêlant des fait historiques avec des éléments légendaires, tirés notamment du Roman d'Alexandre. Par exemple, il est question de villes qu'il fonda, telles que Celsite, qui correspond à l'actuelle ville turkmène de Merv. Ou encore une Alexandrie située entre la mer Maure et celle de Caspille, dans un passage étroit menant à l'Inde : cette ville fut ensuite nommée Porte-de-Fer.

Le roi de Macédoine aurait aussi enfermé en Scythie les Juifs des dix tribus, nommées Gog et Magog, entre la mer et les montagnes de Caspille. Ce passage est basé sur le Roman, bien qu'agrémenté par Mandeville de détails inédits. Par exemple, le fait que ce peuple paye un tribut aux Amazones qui leurs sont voisines.

Se basant sur la description des brahmanes dans le Speculum historiale, l'auteur décrit l'île de Bragmey ou Terre de Foi, située en Inde, où coule une rivière nommée Thebe. Ses habitants, plus droits et loyaux qu'ailleurs, sont exempts de péchés et de vices, ne commettent aucun crime et jeûnent quotidiennement. Ils auraient envoyé à Alexandre le Grand, qui voulut les envahir, des messagers lui expliquant leur mode de vie sain. Celui-ci, aurait alors refusé de faire du mal à des personnes ayant d'aussi bonnes mœurs et leur aurait promis de ne pas les attaquer. Alexandre aurait également tenté d'envahir les îles alentour d'Oxidrate et de Gymnosophe : ces noms désignent des peuples dans le Roman, Mandeville en a fait des îles. Le roi aurait proposé aux habitants, aussi vertueux que ceux de Bragmey, de lui réclamer ce qu'ils souhaiteraient. En retour, ceux-ci se seraient moqués de ses ambitions de conquérant.

Mandeville décrit enfin une île, où coule une rivière large d'environ deux lieues et demie appelée Buenar, à partir de laquelle il faut voyager quinze jours à travers les déserts pour parvenir de l'autre côté de l'Inde. Dans ces déserts se trouvent les arbres du soleil et de la lune, ayant prédit sa mort à Alexandre : ce détail est tiré du Roman[1].

Les Amazones

Pierre-Eugène-Émile Hébert, Amazone se préparant à la bataille, Washington, National Gallery of Art.

La légende des Amazones est évoquée par de nombreux auteurs depuis l'Antiquité. Elle insiste sur l'aspect merveilleux de ce royaume de femmes, en adoptant parfois un sens moralisateur. Mandeville en donne sa version dans son ouvrage. Il situe leur royaume, qu'il appelle Amazonie ou « Terre de Féminie », au-dessous de la Scythie et de la mer Caspienne, s'étendant jusqu'au fleuve de Tanaïs (nom grec antique de l'actuel fleuve russe Don). Ce territoire est décrit comme entouré d'eau, sauf en deux endroits, où se trouvent les entrées du royaume.

La présence masculine est exclue de ce royaume, les femmes qui y habitent refusant d'être dirigées par des hommes. Autrefois, alors que l'Amazonie comptait encore des hommes, son roi Colopeus guerroya contre les Scythes. Mais celui-ci fut tué, tout comme la totalité des nobles de son royaume. Leurs veuves, éplorées, tuèrent alors tous les hommes survivant car elles voulaient que toutes les femmes soient également veuves. Depuis ce moment en Amazonie, aucun homme ne peut rester plus de sept jours et aucun enfant masculin n'est élevé.

Mandeville qualifie les Amazones de bonnes guerrières, courageuses, vaillantes, valeureuses et sages. Elles se rendent quand elles le souhaitent dans les royaumes voisins amis pour y rencontrer des hommes et prendre du plaisir avec eux. Elles peuvent avoir un enfant avec eux et, une fois enceinte, rentrer chez elles. Si elles ont un garçon, ou bien elles l'envoient à leur père dès qu'il sait marcher seul, ou bien elles le tuent. Si elles ont une fille, elles lui enlèvent au fer chaud un des deux seins, selon son rang. Les Amazones de noble lignée se font enlever le sein gauche, afin qu'elles portent facilement le bouclier. Celles dites « piétonnes » se font retirer le droit, afin de ne pas être gêné en tirant à l'arc turc ; elles sont de très bonnes archères. Pour élire leur reine, à laquelle elles sont toutes soumises, les Amazones choisissent la plus vaillante aux armes. Enfin, ce peuple monnaye souvent son aide aux rois des royaumes voisins[1].

Des milliers d'îles

Sixième feuille de l'Atlas catalan de la Bibliothèque nationale de France, représentant l'Asie et ses nombreuses îles

Mandeville évoque de très nombreuses îles situées en Asie. Certaines sont aisément identifiables, comme celle d'Ormuz, nommée telle quelle, ou Sri Lanka, appelée Taprobane ou Silha. Mais il n'est pas facile de toutes les reconnaître, surtout que certaines sont fictives. Comme les îles asiatiques étaient à peine connues, l'auteur y place toutes les légendes qu'il ne pouvait plus localiser en Asie continentale, déjà connue grâce aux récits des autres voyageurs.

L'auteur considère que l'Inde, étant traversé par un fleuve aux multiples ramifications, est constitué de myriades d'îles. Il estime que dans et autour de l'Inde, il existe plus de cinq mille îles habitables, sans compter celles qui ne le sont pas et les îlots minuscules. Ces îles figurent notamment dans l'Atlas catalan, portulan réalisé vers 1375 et se basant notamment sur les informations fournies par Mandeville. Ce dernier décrit ces îles comme très bâties et habitées, puisque les Indiens n'ayant pas coutume de quitter leur pays. Voici les îles qui ne sont pas identifiées de manière formelle à des îles réelles[1] :

  • Lamory, qui est selon Odoric de Pordenone un des trois royaumes de Sumatra (nommé Sinnobor par celui-ci), qui l'avoisine. Les deux autres royaumes sont Sumatra et Resengo. Mandeville explique que les habitants de Lamory, où il règne une grande chaleur, vivent nus, puisque Dieu créa Adam et Ève ainsi. Cette vision est conforme à celle véhiculée par Le Roman de la Rose, ouvrage rédigé au XIIIe siècle et qui eut beaucoup d'influence en Europe médiévale. Les femmes ne sont pas mariées, mais sont mises en commun et ne se refusent à personne. Elles obéissent à l'injonction « Croissez et multipliez-vous et remplissez la Terre » (extrait de la Genèse). Aussi, les habitants sont cannibales, aimant acheter des enfants aux marchands de passage pour les manger, après éventuel engraissage. Mandeville parle aussi de l'île très fertile de Resengo, qu'il nomme Botemga et qu'il situe près de Java.
  • Thalamasse ou Panthey, royaume regorgeant de belles cités. Elle pourrait correspondre au royaume de Bandjermasin, que Pordenone situe sur l'île de Bornéo. Le nom ressemble d'ailleurs à la ville de Banjarmasin, sur cette même île. Parmi les arbres qui y poussent, certains produisent de la farine dont on tire du bon pain, d'autres du miel (le koompassia, peut-être), d'autres du vin, d'autres encore du venin (dont on ne guérit qu'en consommant ses propres excréments dilués). S'y trouve aussi une mer Morte sans fond, au bord duquel pousse des roseaux appelés par les habitants « chabin » (il s'agit de bambous), utilisés pour la construction. Dans leurs racines, on trouve des pierres aux grandes vertus, préservant des blessures par le fer ou l'acier quiconque en porte une sur lui. C'est ce qui permet aux habitants d'être si résistants au combat. C'est le bézoard, pour la production de laquelle Bornéo était réputée.
  • Calanoc, appelée Champa par Pordenone, difficilement localisable. Il pourrait s'agir du Cambodge. Dans un des dialectes indigènes de la côte de Coromandel, le poisson s'appelle « ciampa ». Le roi a plus de mille femmes et bon nombre d'enfants, ainsi que treize mille éléphants élevés sur place, appelés « warkes ». Mandeville a sans doute créé ce terme à partir du cri de l'animal « barrus », d'après Etymologiae d'Isidore de Séville (XII, 2). En cas de guerre, le roi utilise ces éléphants, qu'il fait surmonter de « châteaux » afin d'y placer des combattants (peut-être des howdahs). De plus, chaque année, des poissons marins de toutes les sortes viennent s'échouer sur les rivages, une espèce après l'autre et les habitants en prennent autant qu'ils veulent. Ceux-ci pensent que c'est Dieu qui récompense le roi pour avoir obéi à son ordre « Croissez et multipliez-vous et remplissez la Terre ». On trouve aussi dans l'île des escargots si grands que leur coquille pourrait loger plusieurs personnes, comme une maison. Ces escargots apparaissent dans Histoire naturelle (IX, 10) ; toutefois, on trouve dans l'océan Indien de grandes tortue de mer, dont la carapace est utilisée par l'Homme.
  • De Calanoc, on peut naviguer jusqu'à Caffoles. Quand des habitants sont malades, ils sont pendus à des arbres par leurs amis. Ceux-ci expliquent qu'il vaut mieux que ces personnes soient mangées par des oiseaux, qui sont des anges de dieu, plutôt que par des vers s'ils étaient enterrés. Non loin, sur une autre île, les habitants, de très mauvaise nature, dressent des chiens à étrangler leurs amis lorsqu'ils sont malades, avant de les manger. Ce, afin d'éviter que ces amis souffrent en mourant de mort naturelle. Ces descriptions proviennent du Speculum historiale (I, 87), sur les mœurs des Hyrcaniens et des Scythes.
  • En naviguant d'île en île depuis la précédente, on peut atteindre l'île de Milke. Ses habitants tuent des hommes pour boire leur sang et ils appellent ce sang « dieu ». De même que lors d'une alliance entre deux personnes, chacun doit boire le sang de l'autre. En naviguant d'île en île depuis cette Milke, on atteint Tracorde. Ses habitants se comportent en bestiaux et vivent dans des cavernes qu'ils creusent. Ils n'ont pas idée de se construire des maisons. Ils se nourrissent de serpents et ne s'expriment qu'en sifflant comme ces animaux. Ils ont pour richesse des pierres aux soixante couleurs appelées tracordice, qu'ils estiment pour sa beauté. Là encore, Mandeville se base sur ce que raconte le Speculum historiale (I, 87) sur les Éthiopiens et les Scythes. Les habitants font penser aux Troglodytes, peuple mentionné dans divers endroits du monde par de nombreux auteurs.
    Illustration d'un sciapode, un cyclope, un acéphale et un cynocéphale, inspirée des descriptions de Mandeville
  • Nacameran, également citée par Pordenone, serait une des Îles Nicobar, sur la mer d'Andaman. Grande d'environ mille lieues de tour, elle est peuplée de Cynocéphales (Hommes à tête de chien). Mandeville réutilise ce peuple légendaire, mentionné notamment dans les Histoires d'Hérodote (VI, 17-30 et VII 2), qu'il dote en plus d'un roi et qu'il qualifie comme intelligents et raisonnés. Les habitants de cette île sont vêtus seulement d'un pagne. Ils vénèrent un bœuf comme dieu et montrent leur adoration en portant sur le front un bœuf d'or et d'argent. Le roi, très riche, puissant et pieux, porte toujours autour du cou trois cents très grosses perles d'Orient, dont il se sert comme chapelet pour ses prières. Il porte autour du cou un gros rubis, symbolisant son statut de roi et qui lui est remis une fois élu.
  • Dondia, évoqué par Pordenone et dont Mandeville reprend la description, serait une des îles Andaman. Ses habitants ont pour coutume de s'entredévorer. Le roi de cette île dirige soixante-quatre autres îles, dont les rois lui sont soumis. Ces îles sont peuplées de créatures très diverses : cyclopes, acéphales, hermaphrodites, Panotiis... Elles sont toutes issues des Histoires d'Hérodote (VI, 17-30 et VII 2).
  • Orille et Argire, qui se trouvent entre la mer Rouge et l'océan Indien, rappellent les îles Chryse et Argire, mentionnées par Brunetto Latini dans son ouvrage Li livres dou Tresor (de). Elles sont riches, respectivement, en mines d'or et d'argent. On n'y voit aucune autre étoile que Canopos.
  • Près du royaume du prêtre Jean se trouve la très longue île de Cassaon. Des villes s'y étendent à perte de vue. Elle regorge de vivres, d'épices et de forêts de châtaigners. Son roi est soumis au grand Chan. Elle correspond peut-être à la ville de Si gnan fu ou à la province de Kan-Sou, en Chine.

Sans compter les îles évoquées plus haut : Pentexoire, Milstorak, Bragmey, Oxidrate et Gymnosophe, ainsi que toutes celles qui sont décrites mais pas nommées.

Diffusion et influence

Jusqu'au XVIIe siècle, plus de 250 manuscrits dans dix langues vernaculaires ont été recensés, et en 1501 il existait déjà 35 éditions imprimées (la première en 1478), ce qui est considérable[2]. Cela prouve l'influence que ce texte a eu dans la société occidentale de l'époque et sur les voyageurs et explorateurs qui se lancèrent dans les Grandes découvertes, dont Christophe Colomb.

Critique

Au XIXe siècle, à la découverte de ses sources, Jean de Mandeville fut accusé d'être un imposteur car il n'a jamais voyagé plus loin que la Terre Sainte, et a recopié des passages entiers d'autres œuvres pour décrire des contrées plus lointaines. Cependant, cette critique date d'un peu plus d'un siècle et non de ses contemporains, qui se fiaient totalement à lui.

Notes et références

  1. a b c et d Jean de Mandeville, Livre des merveilles du monde, ʽLes Belles Lettresʽ, coll. « La Roue à livres »,
    Traduit et commenté par Christiane Deluz
  2. Xavier de Castro (dir.), Le voyage de Magellan (1519-1522), Chandeigne, 2007, p. 1029.

Annexes

Éditions modernes

  • Le livre des merveilles du monde, édition critique de Christiane Deluz, Paris, CRNS, 2000.
  • Voyage autour de la terre, Paris, Les Belles Lettres, 1993. Version grand public modernisée.

Articles connexes

Liens externes