« Lucille Teasdale-Corti » : différence entre les versions

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'''Lucille Teasdale-Corti''', C.M., G.O.Q. (née le {{date de naissance-|30 janvier 1929}} à [[Montréal]] et morte le {{date de décès-|1 août 1996}} à [[Besana in Brianza]]), est une [[médecin]] et [[Chirurgie|chirurgienne-pédiatre]] [[Canada|canadienne]], ayant travaillé en [[Ouganda]] de [[1961]] jusqu’à sa mort en [[1996]]. Elle a contribué au développement des services de santé dans le nord du pays.
'''Lucille Teasdale-Corti''', C.M., G.O.Q., née à [[Montréal]] le {{date de naissance-|30 janvier 1929}} et morte du sida le {{date de décès-|1 août 1996}} à [[Besana in Brianza]], est une [[médecin]] et [[Chirurgie|chirurgienne]] [[Canada|canadienne]] ayant travaillé dans le nord de l'[[Ouganda]] durant {{nb|35 ans}}, de 1961 jusqu'à sa mort. Durant cette carrière, marquée successivement par l'indépendance du pays, le régime d'[[Idi Amin Dada]], la [[Guerre de brousse en Ouganda|guerre de brousse]] et l'[[insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur]] de [[Joseph Kony]], elle a, avec son mari [[Piero Corti]], contribué au développement des services de santé dans le nord de l'Ouganda.


== Biographie ==
== Biographie ==
=== Sa vie au Canada ===
=== Enfance ===


Lucille Teasdale est née à Montréal dans la province de [[Québec]] le {{date-|30 janvier 1929}}. Quatrième d’une famille de sept enfants, son père René était propriétaire d’une petite épicerie située sur la rue Cadillac a coin de la rue Notre-Dame, dans un petit quartier appelé Guybourg, dans l'est de Montréal. Sa mère est Juliette Sanscartier, ménagère. Son père gardait un énorme fusil de chasse de 12 mètres pour massacrer les intrus, et l'utilisait sur sa femme et ses enfants.
Lucille Teasdale est née à Montréal, au [[Québec]], le {{date-|30 janvier 1929}}. Elle est la quatrième enfant d’une famille de sept. Son père René Teasdale était propriétaire de la première épicerie de [[Guybourg]], un quartier ouvrier de l'est de la ville, près de la [[Garnison Montréal|base militaire de Longue-Pointe]]<ref name=":1">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=51|lieu=Montréal|éditeur=Libre Expression|date=2011|année première édition=1998|isbn=9782764805527|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Il était aussi marguillier de sa paroisse et juge de paix<ref name=":1" />. Sa mère, Juliette Sanscartier, était ménagère<ref name=":1" />.


Très tôt, Lucille s'intéresse aux études, au grand bonheur de son père qui, issu d'une famille de cultivateurs, avait quitté très jeune l'école pour travailler<ref name=":2">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=53-54|éditeur=|date=|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. En 1941, à l'âge de 11 ans, elle est admise au pensionnat du [[Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie|Saint-Nom-de-Marie]], administré par les sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie à [[Outremont]]. Malgré des relations parfois difficiles avec les religieuses et le cadre de vie sévère du pensionnat<ref name=":2" />, cette époque est très formatrice pour Lucille. C'est en 1943, à la suite de la visite de [[Sœurs missionnaires de l'Immaculée-Conception|religieuses missionnaires de l'Immaculée-Conception]] de retour de [[Chine]] qu'elle développe le désir d'aller pratiquer la médecine en Asie du Sud<ref name=":2" />. Peu après, elle fait part de ce désir à son père alors qu'ils assistent ensemble à une partie de baseball des [[Royaux de Montréal (baseball)|Royaux de Montréal]]<ref name=":2" />.
Elle a reçu une éducation en tant que pensionnaire dans une école catholique appartenant à l’une des premières congrégations religieuses établie au Canada et dévouée à l’éducation. À la suite de témoignages de certaines religieuses ayant effectué des missions humanitaires en Chine, elle a décidé, à l’âge de 12 ans, de devenir médecin en Inde.


En 1945, Lucille obtient une bourse pour aller suivre son [[Collège classique|cours classique]] au collège Jésus-Marie à Outremont, où ses excellents résultats scolaires lui valent les louanges de ses enseignantes<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=85-86}}</ref>. Alors qu'elle est au collège, elle assiste à une allocution de la D<sup>re</sup> Jeanne Marcelle Dussault, alors la seule femme à étudier la psychiatrie à la ''[[Université catholique d'Amérique|Catholic University of America]]'', à Washington D.C. Cette rencontre cimente chez Lucille le désir de devenir médecin<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=57-58|consulté le=16 juin 2023}}</ref>.
En 1950, elle s’est inscrite en faculté de médecine à l’Université de Montréal. Sa classe comportait seulement dix femmes parmi 110 étudiants. Huit d’entre elles ont poursuivi leurs études une fois la première année terminée. Lucille a obtenu son diplôme avec mention honorifique en 1955. Elle a effectué son externat au [[Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine]], un centre hospitalier universitaire en soins pédiatriques et obstétriques affilié à l’[[Université de Montréal]]. Là, elle se lie d’amitié avec la Dre [http://www.125.umontreal.ca/Pionniers/Jeliu.html Gloria Jéliu], une femme pédiatre d’action comme elle, le Dr Luc Chicoine qui soutiendra ses futurs projets en lui référant de futurs médecins en formation et le Dr Pierre-Paul Collin qui deviendra son mentor en chirurgie.


=== Formation à l'Université de Montréal ===
Au cours de son internat, elle a fait la rencontre d’un jeune médecin italien, Piero Corti, lequel poursuivait deux résidences (1955-1956 et 1957-1958) à l’[[Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine|hôpital Sainte-Justine]] durant son programme de formation postdoctorale en pédiatrie à l’Université de Pavie (Italie). Piero Corti était déjà diplômé en radiologie (1953) et en [[neuropsychiatrie]] (1956) de l’[[Université de Milan]] (Italie). Les deux médecins chérissaient un rêve commun, celui de pratiquer la médecine où le besoin se faisait le plus sentir, mais comme Piero l’a affirmé, « elle a toujours été trop occupée pour faire autre chose que travailler ».
En 1950, Lucille est admise avec une bourse d'études à la [[Faculté de médecine de l'Université de Montréal|faculté de médecine]] de l'[[Université de Montréal]]. Sa cohorte ne compte alors que huit femmes parmi les 110 étudiants inscrits<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|langue originale=anglais|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=24|lieu=Montréal|éditeur=XYZ|date=2007|isbn=978-1-4593-2801-3|lire en ligne=https://canadacommons.ca/artifacts/1881473/lucille-teasdale/2630724/|accès url=limité|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Malgré le soutien financier de son père, qui pouvait se permettre de payer les études de sa fille puisqu'elle était la seule parmi ses frères et sœurs à suivre une formation universitaire<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|format=pdf|pages=4}}</ref>, Lucille s'enrôle en 1952 dans le corps des cadets de l'armée de l'air afin de payer ses frais de scolarité<ref name=":3">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=88-90}}</ref>. Après un premier entrainement à la [[Base des Forces canadiennes London|base aérienne de London]], en Ontario, elle est transférée durant l'été 1953 à la [[base de Summerside]], à l'[[Île-du-Prince-Édouard|île du Prince-Édouard]], avant de quitter définitivement l'armée<ref name=":3" />. Durant les étés suivants, jusqu'à son départ pour Marseille en 1960, elle fait du bénévolat dans une colonie de vacances pour enfants handicapés située aux abords du [[Lac Pierre]], à [[Saint-Alphonse-Rodriguez]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=91|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.


Après l'obtention en 1955 de médecine d'un diplôme avec mention honorifique de l'Université de Montréal, Lucille se spécialiste en chirurgie et poursuit un internat en chirurgie pédiatrique à l'[[Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine|hôpital Sainte-Justine]], à Montréal<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=25|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Comme l'une des premières chirurgiennes québécoises<ref>{{Lien web |titre=Lucille Teasdale |url=https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/lucille-teasdale-1 |accès url=libre |site=L'Encyclopédie canadienne |date=18 février 2013 |consulté le=19 juin 2023}}</ref>, elle s'illustre par son énergie et ses compétences en chirurgie<ref name=":4">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie: Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=19-20|consulté le=16 juin 2023}}</ref>. Malgré son charisme et sa beauté, qui lui avaient valu quelques années plus tôt le titre de « Miss Médecine » de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, Lucille est d'un naturel plutôt discret, et ne fraternise que très peu avec ses collègues de l'hôpital Sainte-Justine<ref name=":4" />. C'est néanmoins à cette époque qu'elle fait la rencontre du D<sup>r</sup> [[Piero Corti]], un médecin italien qui y suivait un internat en pédiatrie<ref name=":4" />. Comme Lucille, Piero entretien lui aussi le rêve d'aller pratiquer la médecine à l'étranger, là où les besoins étaient les plus grands<ref name=":0" />, rêve auquel il est d'ailleurs plus familier que Lucille: son frère Corrado est missionnaire jésuite au [[Tchad]], et son beau-frère avait pratiqué la médecine en Chine et en Inde<ref name=":0" />. En 1958, après la fin de sa résidence à l'hôpital Sainte-Justine, Piero retourne en Italie. De retour en Europe, il développe plus sérieusement son plan d'aller pratiquer la médecine en Afrique, ce dont il fait part à son frère lors d'un safari<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=69|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Alors que Piero commence à chercher un hôpital où s'installer, Lucille poursuit son internat à l'[[Hôpital Maisonneuve-Rosemont|hôpital Maisonneuve]] jusqu'en 1959 puis à l'[[Hôtel-Dieu de Montréal]] jusqu'en 1960<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=24|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.
Après son internat en 1958, Lucille Teasdale s’est inscrite à un programme d’études postdoctorales en chirurgie pédiatrique et ses deux premières années se sont réalisées à l'hôpital Maisonneuve et à l’Hôtel-Dieu, tous deux situés à Montréal. Désireuse d’achever la fin de sa résidence à l’étranger, elle s'est inscrite dans de nombreux hôpitaux aux États-Unis, mais ses demandes d’inscription ont été refusées. Certains hôpitaux ont indiqué clairement qu’il était fort déconseillé d’accepter les demandes provenant de femmes.


Afin d'obtenir un diplôme en chirurgie, il était nécessaire d'effectuer un stage à l'étranger. De nombreux établissements américains rejetent la candidature de Lucille, malgré son excellent dossier et les recommandations de ses superviseurs à Montréal<ref name=":0">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=27|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Elle décide de poursuivre sa formation en France, où elle obtient deux postes avec l'aide d'une collègue française de l'hôpital Sainte-Justine, la neurologue Annie Courtois<ref name=":5">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=25|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Dès lors, le plan pour terminer sa formation en chirurgie semble clair: elle va faire une résidence à l'[[hôpital de la Conception]], à [[Marseille]], avant de poursuivre son internat au prestigieux [[Hôpital Necker-Enfants malades|hôpital des Enfants-Malades]] à [[Paris]]<ref name=":5" />.
En 1960, Lucille s'est rendue en France afin d’y faire sa dernière année d’internat à l'hôpital de la Conception à Marseille.


=== L’Ouganda ===
=== Internat à Marseille ===
Lucille Teasdale arrive à Marseille en septembre 1960 et, malgré les différences culturelles entre la France et le Québec, s'adapte rapidement à la vie marseillaise<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=28|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Peu après son arrivée, elle devient l'assistante du professeur Pierre Salmon, un chirurgien spécialisé dans la luxation congénitale de la hanche<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=61|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Ce séjour français est néanmoins court. Dès son arrivée en France, Lucille renoue avec Piero Corti, à qui elle fait parvenir une carte postale dans laquelle elle indique sa nouvelle adresse<ref name=":5" />. Après un bref échange, Piero, tout juste revenu d'Afrique, s'empresse de lui demander un rendez-vous à Marseille<ref name=":6">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=26-27}}</ref>. Lors de cette rencontre, il lui raconte qu'il a trouvé à Lacor, près de [[Gulu]], une ville du nord de l'Ouganda, un petit hôpital opéré par des religieuses italiennes où ils pourraient pratiquer ensemble la médecine pour aider les démunis<ref name=":6" />. Piero n'avait pas choisi l'Ouganda au hasard: alors que l'ancien Congo belge, devenu indépendant en 1960, était secoué par une guerre de sécession, l'Ouganda, la « perle de l'Afrique » de [[Winston Churchill]], était encore un protectorat britannique. Le pays était alors en voie d'obtenir son indépendance, mais le gouvernement britannique, depuis plusieurs décennies, avait pris le soin d'éduquer les élites ougandaises afin qu'elles puissent éventuellement succéder à l'administration coloniale<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=18|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.
[[Fichier:Lucille Teasdale.jpg|vignette]]
Alors qu’elle travaillait à Marseille, Lucille a fait parvenir une carte postale à Piero Corti lui demandant de venir lui rendre visite. Après avoir visité un grand nombre de sites prometteurs en Afrique et en Inde, Piero Corti avait choisi de travailler dans un petit hôpital missionnaire comptant 40 lits, situé près de Gulu dans le nord de l’Ouganda<ref name="b">{{lien web |titre=Bilan du siècle - Lucille Teasdale-Corti<!-- Vérifiez ce titre --> |url=http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/biographies/249.html |site=usherbrooke.ca |consulté le=21-05-2023}}.</ref>. Alors qu’il préparait sa première cargaison aérienne de matériel transportée par l’armée de l’air italienne (présente dans le secteur pour les missions des Nations unies au Congo), Piero a invité Lucille à venir travailler avec lui « pour quelques mois seulement » afin de commencer ses activités chirurgicales. Piero ne pouvait lui payer que son billet d’avion et ses cigarettes. Lucille a accepté et s'est rendue en Ouganda à bord de l’avion militaire italien.


Piero ne pouvait pas offrir à Lucille un salaire: au mieux, en plus du logement et de la nourriture, il pouvait lui payer son billet d'avion et des cigarettes<ref name=":6" />. Cela ne dérange pas Lucille, pour qui la médecine était avant tout une passion<ref name=":7">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=65|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Plus jeune, alors qu'elle était au collège, elle avait réalisé qu'elle ne voulait pas pratiquer pour l'argent, mais bien pour aider les plus démunis<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=3}}</ref>. À l'hôpital Sainte-Justine, elle s'était aussi offusquée que des chirurgiens pédiatriques priorisaient parfois des patients adultes, qu'ils voyaient en pratique privée, au lieu de se consacrer à soigner les enfants<ref name=":7" />. Pour Lucille, la médecine était « si passionnante que les médecins devraient payer pour avoir le privilège de pratiquer »<ref name=":7" />. Après avoir passé les vacances de Noël avec la famille de Piero à Milan, Lucille accepte de l'accompagner en Ouganda pour quelques mois, avant de revenir à Marseille<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=70|consulté le=19 juin 2023}}</ref>.
À son arrivée en Ouganda, Lucille a dû obtenir un permis pour pratiquer la médecine et appris qu'elle devait terminer un internat de deux mois. Lucille est dirigée vers l’un des chirurgiens de l’hôpital universitaire de Mulago dans la capitale. Après un entretien avec Lucille, ce dernier lui a donné l'autorisation de se rendre directement à Lacor. Le chirurgien était le {{Dr}} [[Denis Parsons Burkitt]], premier médecin à décrire la répartition et l’étiologie du cancer pédiatrique qui porte son nom : le lymphome de Burkitt.


=== Arrivée en Ouganda ===
l'hôpital Lacor St. Mary’s ou tout simplement l'hôpital '''Lacor''' (l’appellation régionale « Lacor » s’est par la suite ajoutée au nom de l’hôpital afin de le distinguer des autres établissements portant le nom de « St. Mary’s ») est un hôpital à but non lucratif fondé par les missionnaires comboniens catholiques en 1959. L'hôpital est situé à environ 5 kilomètres à l’ouest de Gulu, la principale ville dans le nord de l’Ouganda et sur la route qui oblique vers le nord en direction de la frontière du Soudan à 100&nbsp;km. On retrouve dans cette région le peuple des Acholis, un groupe ethnique nilotique de l’ethnie Luo. Lorsque Lucille s'est joint à Lacor, l’hôpital comptait 40 lits, une maternité et une clinique externe alors que les autres services, notamment la salle d’opération, étaient en construction. Piero avait décidé de s’établir à cet endroit parce que l’évêque italien du diocèse à qui appartenait l’hôpital avait accepté de lui laisser une certaine indépendance quant à la gestion et l’exploitation de l’établissement. Piero n’a jamais demandé de l’argent au diocèse, il a préféré amasser les fonds nécessaires par lui-même.
[[Fichier:Lucille 1961.jpg|vignette|Lucille Teasdale à son arrivée en Ouganda (1961)]]
Lucille et Piero atterrissent à l'[[Aéroport international d'Entebbe|aéroport d'Entebbe]] à bord d'un avion de l'aviation militaire italienne en mai 1961. Ils se rendent immédiatement à [[Kampala]] afin d'obtenir du D<sup>r</sup> [[Denis Parsons Burkitt]], un chirurgien britannique de l'hôpital universitaire de Mulago, une licence pour permettre à Lucille de pratiquer la médecine en Ouganda<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=41|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Le surlendemain de leur arrivée, Lucille et Piero se mettent en route pour Gulu, la principale ville du nord de l'Ouganda, au cœur du territoire des [[Acholi (peuple)|Acholis]].


L'hôpital St Mary's Lacor avait été fondé en 1959 à Lacor, à quelques kilomètres à l'ouest de Gulu, par des missionnaires italiens [[Missionnaires comboniens du Sacré-Cœur|comboniens du Sacré-Cœur]]. Il était alors opéré par des religieuses et administré par le [[Archidiocèse de Gulu|diocèse de Gulu]], dont l'évêque, Giovanni Cesena, était lui aussi italien. Piero l'avait choisi parce que ce dernier avait accepté de lui laisser une certaine indépendance quant à la gestion de l'établissement. Au début des années 60, ce petit établissement ne compte que 40 lits, avec un service de maternité et une consultation externe, mais aucun lit de chirurgie<ref name=":8">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=6}}</ref>. À cette époque, des travaux étaient déjà en cours pour agrandir l'hôpital et le doter d'une salle d'opération ainsi que de pavillons de médecine et de radiologie<ref name=":8" />. Dès son arrivée, Lucille est submergée, voire angoissée, par l'ampleur du travail qui l'attend: elle est la seule chirurgienne de la région, qui comptait alors une population de 40 000 personnes<ref name=":9">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=38-39|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Dès le lendemain de son arrivée à l'hôpital, elle est appelée à performer une [[césarienne]], bien qu'il s'agisse d'une intervention qu'elle n'ait encore jamais pratiqué<ref name=":9" />. L'opération se déroule bien, et Lucille vient de pratiquer sa première chirurgie en Afrique.
Lucille a effectué sa première intervention chirurgicale sur une table d’examen. Par la suite, elle passait ses avant-midi à visiter les patients en consultation externe (adultes) et ses après-midi au bloc opératoire. Lucille a prolongé son séjour avant de retourner en France, puisque Piero devait se rendre en Italie en raison de la santé de son père. En {{date-|décembre 1961}}, elle est revenue en Ouganda après avoir accepté la demande en mariage de Piero. Le couple a scellé son union dans la chapelle de l’hôpital le {{date-|5 décembre}} de la même année.


L'important achalandage de patients et l'ampleur du travail à réaliser convainquent Lucille de prolonger indéfiniment son séjour en Ouganda. La population du nord de l'Ouganda, l'une des plus pauvres du pays, pratiquait encore des coutumes comme l'''ebino''<ref>Mieux connue sous le nom d'''Infant Oral Mutilation'' (OIM), la pratique était très commune dans le nord de l'Ouganda au début des années 1960. Elle est aujourd'hui beaucoup plus rare.</ref>, qui consiste en l'extraction des canines en éruption chez les enfants en bas âge malades<ref name=":11">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=120|consulté le=21 juin 2023}}</ref>. À ces problèmes s'ajoutent les maladies, les blessures et aussi le manque d'éducation chez les mères par rapport aux soins et à la nutrition des enfants<ref name=":11" />. Durant ces premiers mois, Lucille est extrêmement occupée: elle voit des patients en consultation externe durant l'avant-midi avant de procéder à des chirurgies durant l'après-midi, installée dans un bloc opératoire temporaire<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=40|consulté le=19 juin 2023}}</ref>. Elle pratique dans des conditions matérielles beaucoup plus difficiles qu'en France ou au Québec. L'hôpital n'a généralement de l'électricité qu'entre 19:00 et 22:00<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=75}}</ref>. Soucieux d'assurer le fonctionnement de l'établissement, Piero tente de trouver du financement et du matériel <ref name=":10">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure Courage|passage=42}}</ref>. La fin de semaine, Lucille et Piero chassent ou visitent des parcs nationaux<ref name=":10" />. Après quelques mois en Ouganda, constatant tout le travail qu'il reste encore à faire, Lucille accepte de demeurer un peu plus longtemps à l'hôpital, à la demande de Piero, qui la demande en mariage<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=79}}</ref>.
Leur rêve de jeunesse est devenu un projet de vie grâce aux principes directeurs dont se dotait l’hôpital, soit « d’offrir les meilleurs soins, au plus grand nombre de gens, à coût modique » et de « former la relève ».
[[Fichier:Piero Corti, Lucille Teasdale and their daughter.jpg|vignette|245x245px|Lucille Teasdale, Piero Corti, leur fille Dominique et des infirmières de l'hôpital]]
De retour en Afrique en décembre 1961 après un bref séjour à l'étranger, Lucille et Piero se marient dans la chapelle de l'hôpital de Lacor<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=115}}</ref>. Après un court voyage de noces, le travail reprend. Sévère mais rigoureuse, Lucille impose la discipline à sa petite équipe d'infirmières et d'aides-infirmières<ref name=":12">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=119|consulté le=21 juin 2023}}</ref>. Elle ne manque cependant pas de douceur avec les patients qu'elle opère, maintenant les standards élevés auxquels elle s'est habituée à Montréal et à Marseille<ref name=":12" />. Au début de l'année 1962, Piero, avec la bénédiction de l'évêque de Gulu, émancipe l'hôpital de l'administration diocésaine, auquel les honoraires payés par les patients étaient jusqu'alors versés. En échange de cette liberté, il promet de prendre la responsabilité du financement de l'hôpital<ref name=":12" />. Dès lors, le financement externe de l'établissement devient extrêmement important, les modestes honoraires demandés aux patients n'étant pas suffisants pour en assurer le bon fonctionnement.


Le 9 octobre 1962, l'Ouganda obtient son indépendance. [[Muteesa II|Edward Mutesa]] devient président du pays, et [[Milton Obote]] est élu comme Premier ministre, le résultat d'une alliance entre leurs deux partis, le Kabaya Yekka (KY) et l'[[Congrès du peuple ougandais|Uganda's People Congress]] (UPC). À peine un mois plus tard, Lucille donne naissance à sa fille Dominique, que les Acholis surnomment ''Atim'' - « née loin de chez elle »<ref name=":13">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=135}}</ref>. C'est à partir de ce moment qu'ils appellent Lucille ''Min Atim'', la mère d'''Atim''<ref name=":13" />''.''
Le {{date-|9 octobre 1962}}, l’Ouganda a obtenu son indépendance et le {{date-|17 novembre}}, Lucille a donné naissance à sa fille unique, Dominique, laquelle était surnommée « Atim » par les habitants (née loin de chez elle en Acholi). À partir de ce moment, Lucille est connue par les gens locaux comme « Min Atim », soit « mère d’Atim ». À cette époque, l’hôpital s’était pourvu de religieuses comboniennes italiennes ayant obtenu un diplôme d’infirmière, de sage-femme en Angleterre (comme exigé par le protectorat britannique en Ouganda) et de villageois formés « sur le tas ».


=== Hôpital de Lacor et crises en Ouganda ===
Durant plus de 20 ans, Piero et Lucille ont été responsables des trois premiers mois de formation de médecins italiens nouvellement diplômés qui avait décidé d’effectuer deux années au sein de la fonction publique plutôt que le service militaire obligatoire d’un an. Ils étaient envoyés par le gouvernement italien par l’entremise de différents projets d’aide pour travailler dans sept hôpitaux de mission et deux hôpitaux publics dans le nord de l’Ouganda, incluant l'hôpital St-Mary’s. Les hôpitaux de mission étaient presque exclusivement dépendants de ces médecins.
[[Fichier:Lucille Teasdale.jpg|vignette|Lucille Teasdale en salle d'opération (sans date)]]
Durant la seconde moitié des années 60, l'Ouganda fait face à une série de crises qui affectent grandement la stabilité et la sécurité du pays. En 1966, le premier ministre Obote renverse le président et modifie la constitution pour se donner des pouvoirs plus larges<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=141}}</ref>. Ces premiers troubles ne freinent aucunement le développement de l'Hôpital de Lacor. Vers la fin de la décennie, près de dix ans après leur arrivée à Gulu, Piero et Lucille dirigent maintenant une institution en pleine expansion. L'établissement de 150 lits compte alors des unités de pédiatrie, d'obstétrique et gynécologie, de médecine et de chirurgie ainsi qu'un bloc opératoire<ref name=":14">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=9}}</ref>. Des patients de l'Ouganda entier y sont soignés<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=143}}</ref>, à Lacor comme dans les cliniques rattachées à l'hôpital ouvertes dans les environs de Gulu, à [[Amuru (district)|Amuru]], Pabo et Opit<ref name=":14" />. Le personnel soignant est alors composé de médecins étrangers - comme le D<sup>r</sup> Arshad Warley, né en Afrique du Sud<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=134}}</ref> - et d'infirmières italiennes. Piero et Lucille obtiennent à cette époque l'aide de l'[[Agence canadienne de développement international]] et de l'O.N.G. [[Développement et Paix]], qui financent la construction d'une école d'infirmières à Lacor, afin de former des infirmières ougandaises<ref name=":14" />.


Au début des années 70, une paix relative règne encore sur l'ancien protectorat britannique, malgré les scandales touchant le Premier ministre Obote. Celle-ci est subitement rompue par l'arrivée au pouvoir d'[[Idi Amin Dada]], le commandant en chef des forces armées ougandaises, qui [[Coup d'État de 1971 en Ouganda|renverse le gouvernement Obote en 1971]]<ref name=":15">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=149}}</ref>.
Dans les années 1967-1968, avant que le général en chef des forces armées Idi Amin Dada s’empare du pouvoir par l’entremise d’un coup d’État en 1971, le pays bénéficiait d’une période de paix relative malgré le président ougandais au pouvoir, Milton Obote, et le changement de constitution qui lui conférait des pouvoirs plus étendus. En 1972, Amin Dada a expulsé 60 000 Asiatiques du pays, des gens dont les ancêtres s’étaient établis en Ouganda à l’époque coloniale. Il a ensuite confié leurs entreprises et leurs propriétés à ses alliés. La négligence et la mauvaise gestion du pays ont ainsi entraîné l’effondrement de l’économie et des infrastructures du pays. Piero et Lucille ont dû faire un choix : quitter le pays, comme avaient fait la plupart des expatriés, ou rester et trouver une façon de maintenir le fonctionnement de l’hôpital. Ils ont décidé de rester et, avec l’aide de la famille de Piero en Italie, ils ont organisé un groupe de soutien qui a commencé à envoyer plusieurs conteneurs par année, lesquels étaient chargés d’articles divers, comme des médicaments, de l’équipement médical et des vêtements usagés.


==== Dictature d'Idi Amin Dada et crise économique ====
Cependant, ils ont dû malheureusement se résoudre à faire quitter leur fille du pays pour sa sécurité et afin qu’elle puisse poursuivre ses études (le système scolaire s’était aussi effondré). Dès sa naissance, Dominique passait tout son temps dans l’enceinte de l’hôpital et suivait Lucille à la clinique externe et en salle d’opération lorsque sa gardienne ougandaise était absente. Dominique a fait ses études primaires à l’école de la région. À cette époque, Dominique retournait à Lacor que durant les vacances. Elle a habité chez l’une de ses tantes en Italie et par la suite, elle a poursuivi ses études dans un pensionnat au Kenya. De là, elle pouvait voyager jusqu’en Ouganda trois fois par année durant les vacances. Lucille, pour qui la seule condition au mariage avec Piero était de ne jamais voir sa famille se séparer, a déclaré que de vivre loin de sa fille a été le sacrifice le plus difficile qu’elle ait jamais eu à faire.
L'arrivée au pouvoir d'Idi Amin Dada marque le début du déclin rapide de l'économie ougandaise<ref name=":16">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=10}}</ref>. Dans les mois qui suivent, [[Expulsion de la communauté sud-asiatique d'Ouganda|il expulse du pays la minorité asiatique, principalement d'origine indienne]], établie en Ouganda depuis l'époque coloniale, et redistribue leurs propriétés à ses alliés<ref name=":16" />. Le régime d'Idi Amin Dada est aussi marqué par une importante répression politique ayant causé la mort ou la disparition d'environ 300 000 Ougandais, soit près du quarantième de la population totale<ref name=":16" />. La situation difficile en Ouganda mène à un exode important, ce dont souffrent grandement surtout les services publics, dont les hôpitaux qui, à partir de cette époque, sont particulièrement affectés par le manque de personnel, de ressources et d'équipements<ref name=":16" />.


C'est dans ce contexte que Lucille fait le choix difficile d'envoyer sa fille Dominique vivre en Italie, dans la famille de Piero, afin de lui offrir de meilleures conditions de vie et, surtout, une éducation moderne<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=150-151}}</ref>. Au fil des années, Dominique ne revint à Lacor que pour les vacances, bien que ses parents acceptent éventuellement qu'elle soit transférée à une école à [[Nairobi]], au [[Kenya]] voisin. Cette séparation est néanmoins difficile pour Lucille, qui craint que sa fille se sente rejetée par sa mère<ref name=":18">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=152-153}}</ref>. Il s'agit de son propre aveu du sacrifice le plus difficile de sa vie<ref name=":36" />. Lucille et Piero sont eux-mêmes confrontés au choix de quitter le pays, où la situation politique et économique dégénère toujours plus. Ils décident malgré tout de demeurer en Ouganda pour maintenir le fonctionnement de l'hôpital, sur lequel comptent des dizaines de milliers d'Ougandais. Avec l'aide de la famille de Piero, ils organisent l'envoi chaque année de plusieurs conteneurs avec de l'équipement médical, des médicaments et des vêtements usagés afin de pallier les conditions opérationnelles de plus en plus difficiles à l'hôpital<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=8}}</ref>.
L’hôpital a vécu sa première véritable période d’insécurité durant la guerre Ouganda-Tanzanie, qui a conduit à la chute d’Idi Amin en 1979. L’hôpital a été saccagé à répétition par les quelques membres de l’armée dissoute d’Idi Amin menacés par les troupes tanzaniennes qui avaient gagné du terrain. Durant ces mois, l’hôpital a été coupé du reste du monde et personne n’était au courant des conditions de vie à l’intérieur de ses murs. Lucille a dû mener un nombre incomparable d’opérations en raison de la guerre et des vendettas parmi les tribus. Au moment où elle opérait un soldat blessé, Piero a subi une [[perforation du tympan]] en raison de tirs de mitrailleuses près de son oreille lors d’une confrontation avec des maraudeurs. Lorsque l’armée tanzanienne est arrivée à l’hôpital, un commandant a déclaré que depuis leur arrivée dans le pays, soit au moins quatre mois et avec 600 km de parcourus vers le Sud, Lacor était le premier hôpital rencontré toujours ouvert et en fonction.


Ces difficultés, en comparaison avec les établissements publics, encore plus durement touchés par la crise économique, affectent assez peu l'hôpital de Lacor. En 1976, cinq ans après l'arrivée d'Idi Amin Dada au pouvoir, l'hôpital compte 220 lits, dont 60 lits de chirurgie<ref name=":16" />. Une nouvelle salle d'opération et un service de radiothérapie avaient récemment été inaugurés<ref name=":19">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=161}}</ref>. Les soins offerts et les techniques utilisées à l'hôpital sont modernes et calqués sur les standards occidentaux<ref name=":19" />. L'établissement, sous la supervision parfois sévère de Lucille et Piero, fonctionne très efficacement, ce qui leur valent même des compliments de la part d'Idi Amin Dada lors d'une visite officielle la même année<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=158}}</ref>. Lucille, tout comme Piero d'ailleurs, est très exigeante envers le personnel soignant<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=162}}</ref>. Elle s'impose toutefois la même discipline que celle demandée aux infirmières<ref name=":20">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=170-171}}</ref>. Elle demeure aussi très appréciée de ses patients<ref name=":20" />. Au fil des années, les relations développées avec les Acholis étaient devenues profondes, même si elle n'hésite pas, comme Piero d'ailleurs, à les réprimander pour leurs mauvaises habitudes ou leur négligence<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=126-127}}</ref>.
1980 – Après plusieurs dirigeants par intérim et deux gouvernements provisoires de plus en plus turbulents, Milton Obote était de retour au pouvoir à titre de président de l’Ouganda. La guerre civile a éclaté et, malgré les quatre années d’efforts militaires mis à anéantir ses rivaux, le second mandat de Milton a causé plus de morts que les 300 000 décès estimés durant les sept années sous le règne d’Idi Amin. Il a été estimé que plus de 500 000 Ougandais sont morts et que de vastes étendues de terres ont été dévastées sous la présidence d’Obote.


Lucille alterne infatigablement entre les consultations médicales et les chirurgies au bloc opératoire. Elle performe une quantité importante de chirurgies diverses durant ces années. Dans un article publié dans ''Tropical Doctor'' en 1978<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Lucille|nom1=Corti|prénom2=Piero|nom2=Corti|titre=Epidural Anaesthesia in an up-Country Hospital|périodique=Tropical Doctor|volume=8|numéro=3|date=1978-07|issn=0049-4755|issn2=1758-1133|doi=10.1177/004947557800800313|lire en ligne=http://journals.sagepub.com/doi/10.1177/004947557800800313|consulté le=2023-06-26|pages=119–122}}</ref>, Piero ne note d'ailleurs que 18 décès pour 2878 interventions performées entre 1973 et 1978 par Lucille<ref name=":21">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=168}}</ref>, ce qui dénote un impressionnant taux de rétablissement. Ces statistiques sont attribuables non seulement aux compétences chirurgicales de Lucille mais aussi à l'utilisation de l'anesthésie épidurale, jugée facile et efficace<ref name=":22">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=169}}</ref>. Elles soulignent ainsi la transformation importante de l'établissement au courant des années et la grande qualité des soins qui y sont offerts, deux choses imputables au travail de Lucille et Piero. Vers la fin des années 1970, ils ne sont cependant plus les seuls médecins à l'hôpital, qui voit sans cesse son équipe croître. Outre l'équipe d'infirmières italiennes et ougandaises dirigée par sœur Lina Soso depuis 1977<ref name=":22" />, qui performe parfois des tâches qui auraient ailleurs été réservées à des médecins<ref name=":19" />, Piero et Lucille sont alors assistés par deux collègues. C'est grâce à l'un d'eux, le D<sup>r</sup> Lino Dalla Bernardina, professeur retraité de l'Université de Padoue spécialisé en radiologie, que l'hôpital avait pu inaugurer son service de radiothérapie, alors l'un des seuls en Afrique<ref name=":19" />. Le pédiatre québécois D<sup>r</sup> Claude Desjardins avait aussi rejoint l'équipe l'année précédente, en 1975, comme chef du service de pédiatrie<ref name=":23">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=164}}</ref>. Il avait entendu parler de l'hôpital par l'entremise de D<sup>r</sup> Gloria Jéliu, qu'il avait côtoyé à l'hôpital Sainte-Justine<ref name=":23" />. Il est éventuellement chargé des cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit afin de développer un programme de médecine préventive<ref name=":24">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=166-167}}</ref>. Les Acholis faisaient alors face à de graves déficits en matière de nutrition et de soins des enfants, et tardaient souvent à les emmener à l'hôpital lorsqu'ils éprouvaient des ennuis de santé<ref name=":24" />. Les efforts de Claude Desjardins et de sa femme Suzanne, une éducatrice spécialisée en nutrition, mènent éventuellement à la publication en 1978 du manuel ''Helping the Rural African Mother to Care for Her Child'', réédité et distribué à travers l'Afrique anglophone par l'UNICEF avant d'être traduit en français en 1980<ref name=":21" />.
1982 – Des victimes d’une mystérieuse maladie de la « maigreur » (connue par la suite sous le nom de VIH/SIDA) ont commencé à se manifester à l'hôpital Lacor. Lucille a commencé à éprouver les premiers symptômes de ce qui sera par la suite reconnu comme une maladie opportuniste liée au SIDA. En 1985, alors que les premiers tests de dépistage du VIH étaient rendus accessibles en Italie, Lucille a été déclarée positive. Piero et Lucille ont estimé que l’infection est survenue en 1979 lorsque Lucille a commencé à réaliser plusieurs chirurgies sur des victimes de la guerre et durant lesquelles certains fragments tranchants d’os brisés l’avaient coupée à de nombreuses reprises.


À cette époque, l'apport le plus important au personnel soignant de l'hôpital demeure celui des jeunes internes italiens qui, en guise de service militaire, sont envoyés par le ministère italien des Affaires étrangères comme médecins coopérants en Ouganda<ref name=":25">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=163}}</ref>. L'hôpital de Lacor bénéficie immensément de ce programme parrainé par l'O.N.G. italienne [https://www.mediciconlafrica.org/ Cuamm]<ref name=":17">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=145}}</ref>. Cet afflux de médecins était souvent temporaire, puisque les internes ne demeuraient environ que trois mois à Lacor avant d'être réaffecté ailleurs en Ouganda<ref name=":25" />, même si certains choisissaient d'y poursuivre leur service de coopérant, lequel durait normalement deux ans . Lucille et Piero comprennent rapidement que l'africanisation du personnel soignant demeure la seule solution pour assurer la pérennité de l'établissement, même si les conditions économiques du pays, alors en faillite, ne permettent pas encore à l'[[université Makerere]] de former des médecins ougandais<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=11}}</ref>. À la fin des années 1970, à la veille de la chute du régime, l'effondrement des infrastructures et de l'économie de l'Ouganda est complet<ref name=":26">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure courage|passage=87}}</ref>.
1983 – L'hôpital Lacor a été reconnu par le ministère de la Santé de l’Ouganda comme centre de formation en internat pour les médecins nouvellement diplômés de la Faculté de médecine de l’Université publique de Makerere (et par la suite de l’Université de Mbarara, fondée en 1989, et de l’Université de Gulu, fondée en 2003). Ces médecins pouvaient désormais effectuer leur année de stage obligatoire à l'hôpital Lacor pour ensuite y pratiquer la médecine ou pratiquer dans d’autres hôpitaux catholiques à but non lucratif. Le ministère italien des Affaires étrangères a offert un soutien important à Lacor par le biais de spécialistes pour la formation des internes, d’installations et d’équipements. À la fin des années 1980, le gouvernement italien était l’un des contributeurs importants de l’aide internationale fournie par les gouvernements européens et l’Ouganda représentait l’un des principaux bénéficiaires, spécialement par l’entremise de programmes de santé liés à des établissements publics et privés.


==== Invasion tanzanienne et guerre de brousse ougandaise ====
Lucille était en première ligne pour la formation de ces jeunes médecins. Le tout premier groupe d’internes était composé du {{Dr}} Matthew Luwkiya (qui est rapidement devenu le surintendant adjoint de l’hôpital et qui est mort en tant que héros en sacrifiant sa propre vie, accompagné de douze membres du personnel durant l’épidémie d’Ebola), {{Dr}} Isaac Ezati (qui a pris la relève à titre de chirurgien à Lacor avant de poursuive sa carrière à l'hôpital national de référence de Mulago et ensuite au ministère de la Santé ; il est demeuré sur le conseil d’administration de l'hôpital Lacor). Le deuxième groupe d’internes était composé du {{Dr}} Opira Cyprian en 1985 (maintenant le directeur général de l'hôpital Lacor), du {{Dr}} Odong Emintone en 1989 (maintenant directeur médical) et du {{Dr}} Ogwang Martin (maintenant directeur institutionnel).
C'est durant la guerre avec la Tanzanie, qui mène en 1979 à la chute du régime d'Idi Amin Dada, que l'hôpital de Lacor connait sa première véritable période d'insécurité. En octobre 1978, sur fond de tensions politiques entre le dictateur ougandais et [[Julius Nyerere]], le président tanzanien, [[Guerre ougando-tanzanienne|l'armée ougandaise envahit la Tanzanie]] et annexe la région de [[Kagera (région)|Kagera]]. Les forces tanzaniennes, avec le support de volontaires ougandais opposés au régime d'Idi Amin Dada, stoppent rapidement l'invasion et, durant leur contre-offensive, envahissent le sud de l'Ouganda au début de l'année 1979. En avril, [[Bataille de Kampala|Kampala est prise par les troupes tanzaniennes]] et Idi Amin Dada est forcé de fuir le pays.


La contre-offensive tanzanienne engendre l'exode des soldats fidèles à Idi Amin Dada vers le nord de l'Ouganda<ref name=":27">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=178}}</ref>. Avec l'effondrement de la structure militaire, ces soldats, sans direction, s'adonnent à de nombreuses exactions contre la population. Si l'hôpital de Lacor est épargné, ce n'est pas le cas des cliniques d'Amuru, de Pabo et d'Opit, qui sont saccagées par des soldats ougandais<ref name=":28">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=179}}</ref>, qui s'en prennent par le même coup aux édifices publics comme les banques, les prisons et les écoles<ref name=":27" />. Même l'hôpital public de Gulu est envahi et pillé par les soldats<ref name=":28" />. La coupure des lignes téléphoniques, des services postaux et du réseau électrique isole cependant l'établissement, ainsi que Lucille et Piero, du reste du monde<ref name=":27" />. La sécheresse, la famine et les violences ethniques s'ajoutent rapidement à ces problèmes<ref name=":26" />. Grâce à la génératrice au diesel de l'hôpital, qui permet notamment de garder les médicaments au frais<ref name=":29">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure courage|passage=90}}</ref>, l'établissement poursuit tant bien que mal ses activités<ref name=":30">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=181}}</ref>.
Lucille en salle d’opération


Ces interventions, déjà nombreuses, se font alors encore plus fréquentes à cause de la guerre, du brigandage et de la flambée des violences entre les Acholis et d'autres groupes ethniques du nord comme les [[Kakwa (peuple)|Kakwas]], les [[Lugbara (peuple)|Lugbaras]] et les [[Madi (peuple)|Madis]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=180}}</ref>. Des militaires mais aussi des civils, souvent blessés par balles, sont soignés à l'hôpital, qui fonctionne malgré tout à plein régime<ref name=":30" />. Ces blessures, causées par les munitions explosives employées par les militaires, s'avèrent spécialement difficiles à opérer à cause des nombreux éclats d'os<ref name=":30" />. C'est durant une de ces délicates interventions que Lucille, devenue chirurgienne de guerre, contracte le [[Virus de l'immunodéficience humaine|VIH]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure courage|passage=106}}</ref>, virus encore méconnu qui progressait rapidement en Ouganda, à la faveur des combats et des déplacements de population<ref name=":31">{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure courage|passage=101-102}}</ref>.
En 1986, après le deuxième évincement de Milton Obote, une coalition faible a gouverné le pays durant le reste de l’année, jusqu’au moment où la rébellion de l’armée nationale de résistance de Yoweri Museveni s’est emparé du pouvoir. L’armée évincée provenait principalement du Nord, où les divergences d’opinions ont mené à la formation de groupes rebelles. En 1987, Alice Lakwena, une jeune médium spirituelle Acholi, a formé le ''Holy Spirit Movement'' (HSM) avec lequel la plupart des mouvements rebelles du nord s'étaient sont fusionnés. Après une série de victoires spectaculaires contre ce qui était perçu comme l’armée d’occupation, elle a dirigé ses forces vers Kampala, mobilisant ainsi plus d’appui des autres groupes ethniques qui avaient aussi formulé des reproches au gouvernement Museveni. Les forces d’Alice Lakwena ont été vaincues.


L'hôpital est attaqué par des militaires ougandais pour la première fois en mai 1979<ref name=":29" />. Alors que Lucille était dans la salle d'opération, Piero tente d'empêcher l'accès à l'hôpital à des soldats, qui tirent dans sa direction<ref name=":32">{{Ouvrage|auteur1=Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure courage|passage=91}}</ref>. Ce n'est que l'intervention de la mère d'un des soldats, elle-même patiente de l'hôpital, qui sauve Piero, qui s'en sort seulement avec une perforation du tympan<ref name=":32" />. L'arrivée des troupes tanzaniennes à Gulu le 20 mai 1979 apporte un bref répit à la région et à l'hôpital, dont l'état fonctionnel étonne particulièrement le commandant tanzanien. Il s'agissait du seul hôpital encore ouvert croisé depuis son arrivée en Ouganda, quelques mois auparavant<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=188}}</ref>.
À partir de 1986, l’hôpital a été saccagé de façon répétitive par des rebelles durant la nuit, parfois même plusieurs fois durant la même semaine. Les rebelles tenaient le personnel et les patients en otage sous la menace d’une arme à feu à la recherche d’argent et de médicaments. À de nombreuses reprises, Piero et Lucille ont également été pris en otage sous la menace d’une arme à feu dans leur résidence, laquelle était située dans l’enceinte près des portes de l’hôpital. Lorsque les rebelles ne trouvaient pas ce qu’ils cherchaient, ils kidnappaient des infirmières en vue de faire pression à l’hôpital pour le paiement d’une rançon. La plupart des employés vivaient à l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital avec leur famille pour une question de sécurité et ils allaient travailler le soir en vêtements civils afin d’éviter d’être reconnus et kidnappés dans l’éventualité d’une attaque de rebelles. Le dévouement héroïque et la résilience du personnel ont duré durant plusieurs années.


Après plusieurs gouvernements provisoires, Milton Obote est de nouveau élu président en 1980, malgré une forte opposition<ref name=":33">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=196-197}}</ref>. Profitant de cette accalmie politique, Lucille et Piero entament des discussions avec la faculté de médecine de l'[[université Makerere]] afin que l'hôpital de Lacor devienne un établissement d'accueil pour les internes ougandais<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=195-196}}</ref>. La paix est encore une fois de courte durée puisque dès 1981, la résistance contre le gouvernement Obote s'organise rapidement autour du [[Mouvement de résistance nationale]] et de sa branche armée, l'[[Armée de résistance nationale]] (NRA), commandée par [[Yoweri Museveni]]<ref name=":33" />. Cette insurrection marque le début de la [[Guerre de brousse en Ouganda|guerre de brousse]], une guerre civile brutale qui va durer jusqu'en 1986 et qui causera la mort de plus d'un demi-million d'Ougandais.
En 1989, l’Armée de résistance du Seigneur a émergé à titre de nouvelle faction lors de l’insurrection dans le nord de l’Ouganda. Durant une nuit de cette année-là, les rebelles sont entrés dans l’hôpital et cherchaient le Dr Corti et Min Atim, Piero et Lucille, lesquels venaient juste de quitter en vacances. Dr Matthew qui s’était installé dans la maison des Corti pour freiner une possible incursion rebelle avant qu’elle n’atteigne les résidences des autres médecins s’est proposé comme la personne responsable de l’hôpital et il a été enlevé avec d’autres membres du personnel. Piero et Lucille sont immédiatement revenus et ont décidé de fermer l’hôpital. Cependant, les aînés locaux ont réagi à la nouvelle en affirmant que l’hôpital était tout ce qui leur restait : ils n’acceptaient pas sa fermeture et essayeraient de convaincre les rebelles de ne plus entrer. Par la suite, l’hôpital n’a plus été victime d’une autre incursion de rebelles pendant les 15 années durant lesquelles le conflit civil de l’Armée de résistance du Seigneur s’était intensifié et qui avait lieu souvent autour de l’hôpital. L’hôpital a construit un mur autour de l’hôpital afin de la protéger des balles en plein vol.


Le nord du pays s'embrase brusquement devant l'incapacité des soldats ougandais, sans expérience ni discipline, à mettre un terme à la rébellion de la NRA<ref name=":33" />. L'hôpital de Lacor est à plusieurs reprises ciblé par des pillards, qui espèrent y trouver de l'équipement, des vivres et des médicaments<ref name=":33" />. À ces troubles, qui engorgent de blessés les urgences de l'établissement, s'ajoute l'apparition à l'hôpital, au courant de 1982, de patients affectés par une maladie mystérieuse, alors surnommée la « [[Syndrome d'immunodéficience acquise|maladie de maigreur]] » (ou ''slim disease'')<ref name=":31" />. C'est à cette même époque que Lucille commence à ressentir les symptômes du sida, qu'elle pense être de la fatigue causée par le travail<ref>{{Ouvrage|auteur1=Deborah Cowley|titre=Lucille Teasdale: Docteure courage|passage=103-104}}</ref>. La santé de Piero, qui fait un premier infarctus en 1983<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=207}}</ref>, ne va alors guère mieux. Malgré tout, le couple n'a d'autre choix que de travailler, alors que l'hôpital de Lacor fait face à une affluence considérable de patients et de blessés.
=== Maladie ===


C'est dans ce contexte difficile, alors que les combats entre l'armée et les rebelles de la NRA font rage dans l'ensemble du pays<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=218}}</ref>, que l'établissement accueille ses premiers internes<ref name=":34">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=14}}</ref>. Parmi ceux-ci se trouve le D<sup>r</sup> [[Matthew Lukwiya]], en qui Lucille et Piero réalisent qu'ils ont trouvé leur successeur<ref name=":34" />. L'accord passé avec l'université de Makerere permet aux médecins diplômés de faire un internat à Lacor, sous la supervision de Lucille qui, malgré une fatigue grandissante, se retrouve subitement en première ligne de la formation de la relève médicale ougandaise. Elle ne peut alors pas signer les rapports officiels des internes qui travaillent à l'hôpital, sa formation de chirurgienne étant incomplète depuis 1961<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=202}}</ref>. La situation est rectifiée en 1985, lorsque le doyen de la faculté de médecine de l'université de Makerere annonce à Piero que l'institution a accordé à Lucille le droit de prendre en charge officiellement l'enseignement de la chirurgie aux internes de passage à Lacor<ref name="Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=228}}</ref>. L'accord sera plus tard étendu à l'[[Université des sciences et technologies de Mbarara|université de Mbarare]], fondée en 1989, et à celle de Gulu, fondée en 2003<ref>{{Article|auteur1=Maurizio Murru|et al.=oui|titre=Costing Health Services in Lacor Hospital|périodique=Health Policy and Development|date=31 décembre 2003|lire en ligne=http://www.bioline.org.br/pdf?hp03012|accès url=libre|pages=1}}</ref>. En plus d'être en centre de formation pour les médecins ougandais, l'hôpital forme à cette époque des infirmières et poursuit sa croissance avec la construction d'une unité d'[[oncologie]] et d'un pavillon pour les patients atteints de la [[tuberculose]]<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=15}}</ref>, une maladie opportuniste fréquemment observée chez les patients atteints du sida.
Lucille Teasdale a reçu le diagnostic du SIDA en 1985, lorsque les premiers tests ont été rendus disponibles en Italie. Elle l'a contracté lors d'une opération<ref name="b" />. Avant que les résultats puissent être disponibles, Lucille a été confiée au professeur Anthony Pinching de Londres, lequel était parmi les premiers à étudier cette maladie au Royaume-Uni. Il lui a dit que ses autres maladies opportunistes étaient représentatives de son état. Il lui a également mentionné qu’il était important de garder le moral et qu’elle pouvait continuer son travail clinique. Lucille était préoccupée par les interventions chirurgicales et on lui a dit qu’il n’y avait tout simplement pas d’autres alternatives pour la survie des patients dans un contexte où elle était la seule chirurgienne expérimentée disponible.


En 1983, Dominique annonce à ses parents qu'elle désire poursuivre des études en médecine<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=2013}}</ref>. Cette nouvelle est un baume pour le couple, qui pouvait enfin espérer que leur fille puisse les rejoindre à Lacor. À la même époque, Lucille commence cependant à soupçonner la nature de la maladie qui l'affecte depuis déjà quelques années<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=229}}</ref>. Lucille est diagnostiquée séropositive en 1985<ref name=":35">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=230-231}}</ref>. Elle reçoit les résultats alors qu'elle se trouve à Montréal pour rendre visite à son père malade<ref name=":35" />. Elle s'inquiète immédiatement de savoir si elle peut continuer à pratiquer la chirurgie. Deux spécialistes, le professeur [[Anthony Pinching]], qu'elle consulte lors d'une escale à Londres alors qu'elle était en route pour l'Ouganda, et le D<sup>r</sup> [[Wilson Carswell]], un médecin britannique qui travaillait à Kampala, l'invitent sans réserve à poursuivre ses activités<ref name=":36">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=16}}</ref>. Tant que personne ne pouvait la remplacer, Lucille causerait plus de tort en arrêtant de pratiquer qu'en continuant, en prenant des précautions supplémentaires<ref name=":36" />. La fulgurante progression du sida à travers le pays fit rapidement de cette maladie une réalité de la médecine en Ouganda, avec laquelle le personnel soignant, fortement touché par l'épidémie, devait aussi composer<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=17}}</ref>.
Malgré ses problèmes de santé, elle a continué à travailler, particulièrement au service des consultations externes des patients adultes et au service traitant le SIDA et la tuberculose de Lacor, tout en délaissant graduellement les chirurgies pour les confier aux médecins ougandais qu’elle avait formés. Elle a souffert d’une série de complications, d’une candidose orale omniprésente qui rendait l’ingestion difficile, à des conditions sévères comme la maladie d’Addison et une pneumonie à Pneumocystis carinii, laquelle avait mené Piero à se précipiter avec Lucille à Londres et ensuite à Milan pour surmonter les crises. Quelques mois avant son décès et avec un faible poids d’environ 88 lb, elle exerçait quand même ses fonctions en service de consultation externe entre 4 et 6 heures par jour. Elle était parfois trop faible lorsqu’elle se levait certains matins alors Piero ou d’autres personnes lui installaient une ligne intraveineuse pour la réhydrater. Dès qu’elle se sentait mieux, elle retirait l’aiguille elle-même et allait travailler.


En 1985, le président Milton Obote est de nouveau renversé par un coup d'État orchestré par des militaires Acholis<ref name="Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti" />. L'année suivante, en 1986, les troupes de la NRA s'emparent de Kampala<ref name=":37">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=236}}</ref>, forçant la démission du président [[Tito Okello]] après six mois au pouvoir. Le nouveau gouvernement, dirigé par [[Yoweri Museveni]], entreprend dès sa constitution une campagne militaire contre les groupes qui lui sont hostiles, dont les Acholis, qui s'organisent pour résister<ref name=":37" />. Parmi ces groupes, le plus important dans la région de Gulu est l'[[Armée populaire et démocratique d'Ouganda]] (UPDA), formée d'anciens militaires acholis fidèles à Tito Okello<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=241}}</ref>. Le gouvernement Museveni et la NRA, à peine légitimement au pouvoir, mènent une campagne anti-insurrectionnelle brutale contre cette nouvelle rébellion, attisant le nationalisme acholi. Les rebelles de l'UPDA, des Acholis, se livrent à cette époque au pillage et à des enlèvements, terrorisant ceux faisant partie d'autres groupes ethniques<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=245-246}}</ref>. C'est ce contexte qui voit l'émergence du [[Mouvement du Saint-Esprit]] (HSM), et qui marque le début d'un nouveau conflit, la [[Guerre de brousse en Ouganda|guerre de brousse]] à peine terminée.
Dans une dernière tentative d’améliorer la détérioration de son état, Piero s’est empressé de se rendre en Italie avec Lucille. Lucille s’est éteinte dans leur résidence à Besana in Brianza le {{date-|1 août 1996}}<ref>{{lien web |titre=Lucille Teasdale |url=https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/lucille-teasdale-1 |site=thecanadianencyclopedia.ca |consulté le=21-05-2023}}.</ref>.


==== Insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur ====
Au cours de sa carrière à l'hôpital Lacor, Lucille a réalisé plus de 13 000 interventions chirurgicales. Le rapport annuel de 1996 de l’hôpital enregistrait 446 lits, 13 437 admissions et 116 953 patients traités en clinique externe à l'hôpital principal alors que les deux centres de santé en périphérie (un troisième avait été fermé en raison de l’insécurité) enregistraient 48 lits, 399 admissions et 11 549 patients en clinique externe. Les autres activités comprenaient 1 114 livraisons, 1 278 interventions chirurgicales importantes et 33 613 doses de vaccins administrés malgré le conflit.
Le Mouvement du Saint-Esprit, un amalgame de plusieurs groupes rebelles dont l'UPDA, mêlant nationalisme acholi, spiritisme et fondamentalisme chrétien, est formé en 1987. À sa tête se trouve une jeune médium acholi, [[Alice Lakwena|Alice Auma]], qui dit recevoir ses ordres de Lakwena, une entité messagère du Saint-Esprit. Après une série de victoires contre les forces gouvernementales, elle dirige ses troupes vers Kampala, mobilisant l'appui d'autres groupes ethniques opposés au gouvernement. La rébellion s'effrite brusquement vers la fin de l'année, avec l'arrestation d'Alice à la frontière kenyane, qu'elle tentait de traverser avec un groupe de fidèles<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=269}}</ref>. Sa disparition laisse cependant le champ libre à une seconde insurrection bien plus tenace et [[Insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur|qui persiste encore à ce jour]]: celle de l'[[Armée de résistance du Seigneur|Armée de Résistance du Seigneur]] (LRA), commandée par [[Joseph Kony]], qui lui aussi se réclame du Saint-Esprit<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=271}}</ref>.


La seconde moitié des années 1980, marquée par la violence quotidienne, les enlèvements et le pillage, est particulièrement difficiles pour l'hôpital. Aux rebelles de l'UPDA succèdent ceux fidèles à [[Alice Lakwena]] et enfin ceux de la LRA. Des travaux pour la construction d'une bibliothèque, d'un service de physiothérapie et de laboratoires sont alors en préparation<ref name=":38">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=19}}</ref>. Depuis 1985, le nord de l'Ouganda est de nouveau sans électricité et l'établissement repose toujours, pour son fonctionnement quotidien, sur une génératrice au diesel, dispendieuse à faire fonctionner, ainsi que sur quelques panneaux solaires installés sur les toits<ref name=":38" />. Les patients sont moins nombreux, à cause des barrages routiers et des combats qui rendent les déplacements dangereux. À cette époque, ce sont surtout des civils cherchant à échapper au maraudage des rebelles et des soldats qui fréquentent l'établissement. Protégé par ses murs, celui-ci devient avec le temps un sanctuaire fréquenté chaque soir par des milliers de personnes<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=245}}</ref>.
La dépouille de Lucille Teasdale a été retournée en Ouganda au moment où l’insurrection environnant l’hôpital était à son point le plus fort. L’armée a dû évacuer par hélicoptère Lucille et Piero lorsqu’ils ont quitté Lacor, car les routes étaient trop dangereuses. Des milliers de migrants de nuit, des enfants et des femmes pour la plupart, cherchaient un abri chaque nuit à l’intérieur de l’hôpital pour échapper aux rebelles qui attaquaient les villages la nuit pour saccager, tuer et enlever les enfants âgés de 6 à 14 ans.


Cela n'empêcha pas l'hôpital de Lacor d'être attaqué et saccagé à répétition par les rebelles<ref name=":38" />. Les cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit connaissent un sort similaire, les rebelles cherchant à s'emparer de médicaments et d'équipements médicaux, ou encore à kidnapper des infirmières pour les rançonner<ref name=":38" />. À partir de 1987, la fréquence des attaques ne fait qu'augmenter. Lucille et Piero n'y échappent d'ailleurs pas. À plusieurs reprises, ils sont eux-mêmes pris en otage par des rebelles. En 1987, le lundi de Pâques, des rebelles s'introduisent dans l'hôpital après une fête et enferment le couple dans une chambre, menaçant de tuer Piero s'ils ne lui donnent pas de l'argent<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=256-258}}</ref>. Ces attaques deviennent de plus en plus fréquentes. Quelques mois plus tard, en novembre 1987, des rebelles entrent dans l'hôpital pour se saisir d'un blessé, qu'ils trainent dehors avant de l'exécuter<ref name=":39">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=259}}</ref>. L'hôpital, son personnel et ceux qui s'y réfugient, sont sous la menace constante des rebelles.
La cérémonie funèbre de Lucille a eu lieu dans une cathédrale voisine et des centaines de personnes y ont assisté. Certains membres du personnel ont parcouru jusqu’à 40 km à pied des centres de santé, malgré le risque d’embuscades et de mines terrestres sur les routes. L’armée à même positionné un tank armé à l’extérieur de la cathédrale pour la protection des personnes endeuillées. Lucille a été inhumée dans l’une des cours intérieures de l’hôpital.


Entre septembre et décembre 1988, l'hôpital St Mary's Lacor est attaqué à sept reprises par les rebelles<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=261}}</ref>. Lorsque ce ne sont pas les rebelles, ce sont des militaires qui y font des perquisitions<ref name=":38" />. Pour la première fois depuis 1961, Lucille et Piero commencent à réellement songer à fermer l'hôpital qui, en outre du pillage, fait face à l'exode de son personnel<ref name=":40">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=20}}</ref>. La sécurité des infirmières, des internes et du personnel de l'hôpital devient à cette époque l'une de leurs préoccupations principales<ref name=":40" />. La plupart des employés vivent alors à l’intérieur de l’enceinte de l'établissement avec leur famille. Ils vont travailler le soir en vêtements civils afin d'éviter d'être reconnus et enlevés par les rebelles. Ceux qui ne sont pas Acholis, surtout, craignent d'être reconnus par les insurgés. La plupart des médecins italiens avaient été rapatriés: à la fin des années 1980, seul le D<sup>r</sup> Dalla Bernardina demeure encore sur place, avec la sœur Lina Soso et quelques autres religieuses italiennes<ref name=":40" />.
Après le décès de Lucille, Piero a continué à consacrer sa pratique médicale à Lacor, malgré la constante dégradation de son cœur et de l’état de sa mémoire. Un autre coup dur a été la mort du {{Dr}} Matthew Lukwiya durant l’épidémie d’Ebola dans les années 2000. Piero a finalement mis fin complètement à son travail clinique et pour assurer l’avenir de l’hôpital, il a créé deux fondations, une établie à Milan (Italie) en 1993 et une à Montréal (Canada) en 1995. Il a dédié la plus grande partie de son temps et de ses efforts à la fondation au Canada, d’où l’aide apporté à l’hôpital avait été minime au cours des 45 années précédentes. Piero est décédé à Milan d’un cancer du pancréas le jour de Pâques en 2003 et sa dépouille a été transportée en Ouganda pour être inhumé aux côtés de celle de Lucille et de Matthew. Les développements importants de l'hôpital Lacor qui ont suivi le décès de ses fondateurs sont le témoignage de leurs efforts et de leur capacité à avoir responsabilisé ceux qui se sont joints au personnel de Lacor.


En réalité, la désintégration du HSM en 1988 ne règle en rien la situation. Au contraire, celle-ci s'empire considérablement avec l'émergence de la LRA. À cette menace constante, qui perdure pour l'établissement jusqu'au début des années 1990, s'ajoute la santé de Lucille, qui décline de plus en plus depuis son diagnostic en 1985. Elle souffre notamment d'un [[muguet buccal]] particulièrement tenace et qui rend son alimentation difficile, mais aussi, en plus de la fatigue, d'autres co-infections typiques du sida comme la fièvre, la pneumonie et la [[maladie d'Addison]]<ref name=":40" />.
''L’approche de gestion du Dr Corti – pragmatique, entrepreneuriale et orientée sur les besoins – est toujours utilisée aujourd’hui. Autre point d’une égale importance : le dévouement de la D<sup>re</sup> Lucille Teasdale envers ses patients et son approche « les patients en premier » a toujours établi l’orientation de l’organisation. Semble-t-il qu’elle pouvait être très difficile avec le personnel en ce qui a trait au comportement contraire à l’éthique, mais elle était aimée pour sa réelle préoccupation du bien-être de ses patients. Plusieurs personnes interrogées ont estimé que cette attitude et son intégration dans la culture de travail ont été ses plus grandes réalisations.''


Alors que Lucille et Piero sont en vacances au Kenya, en mars 1989, l'hôpital St Mary's est envahi par des rebelles fidèles à [[Joseph Kony]] qui désirent s'emparer de médicaments<ref name=":41">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=279-280}}</ref>. Ceux-ci demandent initialement à voir Piero et Lucille mais, constatant leur absence, tentent plutôt d'enlever les religieuses. Le D<sup>r</sup> Lukwiya s'interpose, les informant que les médicaments sont désormais gardés par l'armée à Gulu<ref name=":41" />. En échange des religieuses italiennes, le médecin est pris en otage par les rebelles, qui emporte aussi avec eux dans la forêt quelques infirmières ougandaises<ref name=":41" />. Le D<sup>r</sup> Dalla Bernardina est forcé de fermer l'hôpital, tout en maintenant les urgences ouvertes<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=281}}</ref>. De retour en Ouganda, Lucille et Piero constatent à quel point la situation est devenue difficile, et décident éventuellement de fermer temporairement l'établissement<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=285}}</ref>. Lucille continue à travailler, malgré l'état avancé de sa maladie, alors que Piero s'active à sauver l'établissement, dont l'existence même est désormais menacée<ref name=":42">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=289}}</ref>.
'''Réf. : Résilience et haute performance au milieu des conflits, des épidémies et de l’extrême pauvreté – L’hôpital de Lacor dans le nord de l’Ouganda ''Étude de cas préparée pour le projet « Capacité, changement et performance »'' Document de réflexion {{n°|57A}}, {{date-|septembre 2004}}.'''


Devant les attaques répétées, le gouvernement italien menace de rapatrier le personnel italien, ce qui aurait pour effet la fermeture de l'hôpital<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=284}}</ref>. Cette menace, bien réelle, a pour effet la libération du D<sup>r</sup> Lukwiya et des autres otages, les rebelles réalisant pour la première fois à quel point ils dépendent eux-mêmes des soins qui y sont prodigués<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=22}}</ref>. La fermeture temporaire de l'établissement est néanmoins maintenue et, le 10 avril 1989, Piero fait distribuer des tracts à Gulu pour en faire l'annonce<ref name=":42" />. À la suite des protestations de la population locale, le gouvernement accepte de former une milice pour en assurer la défense. Piero maintient cependant la fermeture de l'hôpital pendant un certain temps<ref name=":42" />. Ce n'était pas la première fois qu'il avait utilisé cet argument: il en avait déjà fait part aux influents aînés des Acholis sans que la manœuvre porte fruit<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=253}}</ref>. La menace, cette fois-ci, est suffisante. Joseph Kony, par l'intermédiaire d'un de ses soldats, menace Piero de représailles si l'hôpital ne reprend pas ses activités, mais abandonne éventuellement cette tactique<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=294-295}}</ref>. Jusqu'à la fin du conflit au début des années 2000, l'hôpital de Lacor a été épargné, malgré les combats faisant rage entre les rebelles de la LRA et les troupes gouvernementales.
En 2016 Dominique, la fille de Lucille et de Piero, qui détient son diplôme en médecine, a décidé de consacrer tout son temps à Lacor par l’entremise des fondations italienne et canadienne. Elle a pris la place de son père sur le conseil d’administration de l’hôpital à la suite du décès de son père en 2003.


=== Dernières années et reconnaissance internationale ===
Le rapport annuel 2014-2015 de l'hôpital Lacor a enregistré un total de 247 874 patients traités à l’hôpital et aux trois centres de santé périphérique, dont 36 385 admissions. Parmi tous ces patients, 31 % étaient des enfants âgés de moins six ans.


Lorsque Lucille fut diagnostiquée séropositive, en 1985, on ne lui donna que 25% de probabilités de survivre plus de deux ans<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=233}}</ref>. Lors de sa rencontre avec le D<sup>r</sup> Pinching, ce dernier lui avait dit que le moral jouait un rôle important dans ses chances de survie<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=16}}</ref>. Au tout début de la recherche médicale sur le sida, l'espérance de vie d'un patient séropositif était encore mal connue. Lucille lutta finalement contre la maladie durant onze ans après son diagnostic, travaillant malgré la fatigue, les nombreux problèmes de santé et l'insurrection qui embrasait le nord de l'Ouganda.
== Bibliographie ==


Ces dernières années sont aussi marquées par la reconnaissance internationale. À partir du milieu des années 1980, [[#Prix et distinctions|les prix et les récompenses commencent à s'accumuler]]. Récipiendaires de plusieurs distinctions italiennes, promus officiers de l'[[Ordre du Mérite de la République italienne]] en 1981<ref name=":43">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=24}}</ref> et reçus par le pape [[Jean-Paul II]] avec d'autres médecins du Cuamm deux ans plus tard<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=217}}</ref>, le couple est déjà bien connu en Italie. C'est néanmoins en 1986 qu'ils reçoivent une première distinction d'envergure internationale: le [https://apps.who.int/gb/awards/f/Sasakawa.html prix Sasakawa] de l'[[Organisation mondiale de la santé]], octroyé pour leur apport au développement des soins de santé dans le nord de l'Ouganda<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=239}}</ref>. Cette reconnaissance ne s'étend cependant pas encore au Canada: outre quelques rares mentions dans les journaux québécois, Lucille Teasdale demeure inconnue du public canadien.
Biographies de Lucille Teasdale :


La situation change progressivement à la fin de la décennie. En 1987, elle reçoit le prix [https://www.cma.ca/fr/impliquez-vous/prix-de-lamc/prix-fng-starr F.N.G. Starr], la plus haute distinction de l'[[Association médicale canadienne]]<ref name=":39" />, où elle figure en illustre compagnie auprès de [[Frederick Banting|sir Frederick Banting]], de [[Wilder Penfield]] et d'[[Armand Frappier]]. Elle est aussi nommée membre honoraire de l'[[Association médicale du Québec]], devenant la première femme à recevoir cet honneur<ref name=":43" />. Deux ans plus tard, en 1989, la parution d'un portrait dans le ''[[Reader's Digest]]'' permet enfin de l'introduire à un public plus large. En 1991, elle reçoit l'[[Ordre du Canada]]<ref name=":44">{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=25}}</ref>. Quatre ans plus tard, en 1995, le Premier ministre québécois [[Jacques Parizeau]] lui octroie l'[[Ordre national du Québec]]<ref name=":44" />. Peu après, elle est admise comme membre honoraire du [[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] lors d'une cérémonie publique tenue à la [[Place des Arts]] de Montréal<ref name=":44" />. Sa renommée québécoise n'est déjà plus à faire: l'année précédente, le journaliste [[Michel Arseneault]] s'était rendu auprès en Ouganda afin de l'interviewer<ref name=":44" />. Son reportage, diffusé à l'émission ''Le Point'' à [[Radio Canada|Radio-Canada]], connait un grand succès<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=325}}</ref>.
1997 ''Un rêve pour la vie'' par [[Michel Arseneault]], Libre Expression (traduction italienne : 1999 ''Un sogno per la vita'' Ed Paoline).


Aux honneurs canadiens succèdent ceux de l'Italie. En 1995, l'hôpital de Lacor reçoit le prix Antonio-Feltrinelli de l'[[Académie des Lyncéens|Académie nationale des Lyncéens]], la plus ancienne société savante d'Europe, fondée en 1603. Le prix, accompagné d'une bourse de 300 000 lires italiennes, est décerné lors d'une cérémonie publique au [[Palais Corsini|Palazzo Corsini]], à [[Rome]]<ref name=":44" />. À tous ces honneurs s'ajoute finalement celui de l'[[Organisation des Nations unies|Organisation des Nations Unies]], qui décerne à Lucille le prix du Centre international pour la cause africaine afin de souligner son engagement, personnel et professionnel, dans la lutte contre le sida en Ouganda<ref name=":44" />.
2005 ''Lucille Teasdale: Doctor of Courage'' par Deborah Cowley


Encore au milieu des années 1990, les rebelles continuent leurs exactions dans la région de Gulu<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=331}}</ref>. Ces attaques contre la population, marquées par le meurtre, le vol de bétail et les enlèvements d'enfants, n'affectent jamais plus directement l'hôpital de Lacor, qui peut reprendre ses activités<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=23}}</ref>. L'établissement est de nouveau connecté au réseau électrique en juin 1990<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=301}}</ref>. En 1993, signe du retour de la paix dans la région, le pape [[Jean-Paul II]] visite Gulu pour une messe publique<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=313}}</ref>. À la grande déception de Lucille, le programme du souverain pontife n'inclut pas une visite de l'hôpital de Lacor, même si plusieurs hôpitaux missionnaires en Ouganda et au Zaïre voisin y sont inscrits<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=314}}</ref>.
Livres portant sur Lucille Teasdale, Piero Corti et l’hôpital Lacor


Si la paix est de retour, la santé de Lucille décline toujours plus, forçant des périodes de repos de plus en plus longues. Dans ses dernières années, elle partage son temps entre l'Ouganda, l'Italie et l'Angleterre, où elle suit des traitements. Elle continue malgré tout à voir et à opérer des patients. Quelques mois avant son décès, extrêmement amaigrie et fatiguée, elle parvient tout de même à travailler quelques heures par jour, en consultation surtout. Elle est désormais généralement trop affaiblie pour performer des chirurgies<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=334}}</ref>. Parfois trop faible pour se lever le matin, Piero doit lui administrer des perfusions intraveineuses pour la réhydrater<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=335}}</ref>. Le 16 mars 1996, avec l'assistance de Jacob Meri, un interne ougandais, elle performe une dernière chirurgie<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=336}}</ref>. Il s'agit de sa dernière parmi plus de 13000 interventions chirurgicales. Un mois plus tard, trop malade pour demeurer en Ouganda, elle quitte Lacor. À cause du danger posé par les rebelles, le couple doit être évacué par l'armée en hélicoptère.
2009 ''To Make a Dream Come True'': ''Letters from Lacor Hospital, 1961 – 2003''. Corponove (version Italienne : ''Dal Sogno alla Realtà: Lettere dal Lacor Hospital, 1961-2003'')


=== Mort ===
2014 ''I Bambini Della Notte'' par Mariapia Bonanate & Francesco Bevilacqua. Saggiatore. (Traduction anglaise : ''Children of the Night'', search for editor underway).
[[Fichier:St Mary's Hospital Lacor Doctors 02.jpg|vignette|Une murale en mémoire de Lucille Teasdale, Piero Corti et Matthew Lukwiya dans l'enceinte de l'hôpital]]
Piero et Lucille s'installent à [[Besana in Brianza]], non loin de Milan, en avril 1996. Extrêmement souffrante, elle ne peut se rendre à Montréal, en mai de la même année, pour recevoir un doctorat ''honoris causa'' de l'[[Université de Montréal]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=337-338}}</ref>. C'est sa sœur Lise qui l'accepte en son nom. Entourée de Piero, de Dominique et de Lise, Lucille Teasdale décède le 1<sup>er</sup> août 1996. Après des obsèques publiques en Italie<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=341}}</ref>, sa dépouille est transportée en Ouganda pour y recevoir des funérailles publiques<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=343-344}}</ref>. Des milliers d'Ougandais viennent lui rendre hommage dans la cathédrale de Gulu, sous la supervision de l'armée, qui positionne un char d'assaut à proximité, signe que la menace de la LRA plane toujours sur la région. Lucille Teasdale est inhumée dans la cour de l'hôpital, sa demeure pendant 35 ans.


Cinq après sa mort, en 2001, Lucille est intronisée à titre posthume au [[Temple de la renommée médicale canadienne]]<ref>{{Lien web |titre=Lucille Teasdale-Corti, MD |url=https://www.cdnmedhall.ca/fr/laur%C3%A9ats/lucilleteasdalecorti# |site=[[Temple de la renommée médicale canadienne]] |consulté le=14 juin 2023}}</ref>. Depuis 2008, en souvenir de leur œuvre et de leur engagement humanitaire, le [[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] remet chaque année le prix Teasdale-Corti d'action humanitaire à des médecins qui, souvent au péril de leur vie, pratiquent la médecine humanitaire à l'étranger<ref>{{Lien web |titre=Récipiendaires du prix Teasdale-Corti d'action humanitaire du Collège royal |url=https://www.collegeroyal.ca/ca/fr/awards-grants/awards/royal-college-teasdale-corti-humanitarian-award/royal-college-teasdale-corti-humanitarian-award-recipients.html |site=[[Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada]] |consulté le=14 juin 2023}}</ref>.
Fiction inspirée par l’histoire.


=== Développement de l'Hôpital de Lacor ===
Dre Lucille. Motion internationale. (version française et anglaise)
[[Fichier:St. Mary's Lacor Hospital (Gulu District) 01.jpg|vignette|337x337px|La porte principale de l'hôpital St Mary's Lacor (2018)]]
Le rapport annuel de l'hôpital pour l'année 1996 indique que l'hôpital de Lacor comptait alors 446 lits. Il enregistre 13 437 admissions, et note que 116 953 patients avaient été traités en consultation externe. 1114 accouchements et 1278 interventions chirurgicales majeures avaient été réalisés durant l'année, et 33613 doses de vaccin avaient été inoculées. Il s'agissait déjà du principal établissement de santé du nord du pays. Malgré la guerre et le manque chronique de ressources humaines et matérielles, l'hôpital n'avait jamais cessé de grossir en 35 ans{{Référence nécessaire|date=26 juillet 2023}}.


Après le décès de Lucille, malgré une santé défaillante, Piero continue à se consacrer à l'hôpital de Lacor. Atteint de la [[maladie d'Alzheimer]] et souffrant déjà de problèmes cardiaques depuis plusieurs années, il est aussi grandement affecté par le [https://archive.nytimes.com/www.nytimes.com/library/magazine/home/20010218mag-ebola.html?module=inline décès soudain du D<sup>r</sup> Matthew Lukwiya], emporté par une épidémie d'Ebola qui frappe l'hôpital en décembre 2000<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=349}}</ref>. Dès lors, sa santé l'empêchant de pratiquer la médecine, il voue ses dernières années au financement des activités de l'établissement à travers les deux fondations qu'il avait créé avec Lucille: la ''[https://fondazionecorti.it/ Fondazione Piero e Lucille Corti]'' en Italie (1993) et la [https://faitespartie.org/ Fondation Teasdale-Corti] à Montréal (1995)<ref>{{Article|auteur1=Danny Lake-Giguère|titre=Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)|périodique=Fondation Lionel-Groulx|date=5 juin 2023|lire en ligne=https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/230404-conference-figures-marquantes-lucille-teasdale.pdf|accès url=libre|pages=27}}</ref>. Piero Corti s'éteint à Milan d'un cancer du pancréas le dimanche 20 avril 2003, le jour de Pâques<ref name=":45">{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=354}}</ref>. Sa dépouille est transportée en Ouganda pour être inhumée aux côtés de celles de Lucille et de Matthew, dans les jardins de l'hôpital de Lacor<ref name=":45" />.
Vidéos :


Depuis le retour définitif de la paix dans le nord du pays au milieu des années 2000, l'établissement poursuit son développement. Il est aujourd'hui l'un des principaux employeurs de la région ainsi qu'un important centre d'internat pour les médecins formés en Ouganda. À la mort de son père en 2003, Dominique Corti est devenue présidente de la ''Fondazione Piero et Lucille Corti''<ref>{{Ouvrage|auteur1=Michel Arseneault|titre=Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti|passage=368-369}}</ref>. Elle a aussi remplacé Piero sur le conseil d'administration de l'hôpital. Depuis 2006, elle est membre du conseil d'administration de la Fondation Teasdale-Corti. L'hôpital de Lacor est aujourd'hui administré par une équipe entièrement ougandaise, formée à l'hôpital par Lucille et Piero. Encore aujourd'hui, l'approche préconisée par Lucille, axée sur le soin des patients avant tout, demeure l'un des principes fondamentaux de l'établissement. Chaque année, des centaines de milliers de patients - dont près du tiers sont des enfants âgés de moins de six ans - obtiennent des soins de qualité à l'hôpital ou dans ses cliniques périphériques.
''Before I Go'' –Documentaire sur Lucille Teasdale par Michel Arseneault (aussi en français : ''Avant de vous faire mes adieux'')


== Reconnaissances et distinctions honorifiques ==
== Prix et distinctions ==


* 1972 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Missione del Medico Angelo De Gasperis par la Fondation Carlo Erba de Milan.
* Prix ''Missione del Medico - Angelo De Gasperis'' de la Fondation Carlo Erba de Milan (1972)
* 1982 Lucille Teasdale et Piero Corti se sont vus décerner l’Ordre du mérite de la République italienne (officier) par le président de la République par voie de décret.
* Ordre du mérite de la République italienne par décret du président de la République italienne (1981)
* 1983 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Premio della Bontà Notte di Natale Angelo Motta par la Fondation Pro Juventute Don Gnocchi de Milan.
* Prix ''Premio'' ''della Bontà Notte di Natale Angelo Motta'' par la Fondation Pro Juventute Don Gnocchi de Milan (1983)
* 1984 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Ambrogino d’Oro par la municipalité de Milan.
* Prix Ambrogino d’Oro par la municipalité de Milan (1984)
* 1986 Lucille Teasdale s’est vu décerner la reconnaissance Paul Harris Fellow par les clubs Rotary International en Italie.
* Prix Paul Harris Fellow du club Rotary International en Italie (1986)
* Prix Sasakawa de l'Organisation mondiale de la santé (1986)
* 1986 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le World Health Organization's Sasakawa Health Prize, lequel est remis à une ou plusieurs personnes, institutions ou organismes non gouvernementaux pour avoir accompli un travail exceptionnel et novateur en ce qui a trait au développement de la santé et en vue d’encourager des développements subséquents d’un tel travail.
* 1987 Lucille Teasdale s’est vu décerner le prix Frederick Newton Gisborn Starr par l’Association médicale canadienne.
* Prix F.N.G. Starr de l’Association médicale canadienne (1987)
* 1990 Lucille Teasdale a reçu l’International Medical Women Association Award d’Italie.
* Prix de l’''International Medical Women Association'' d’Italie (1990)
* 1991 Lucille Teasdale a reçu l’Ordre du Canada
* Ordre du Canada (1991)
* 1993 Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu le prix Cuore Amico d’Italie
* Prix ''Cuore Amico'' d’Italie (1993)
* 1995 Lucille Teasdale est nommée consultante honorifique par le ministère de la Santé de l’Ouganda et le sénat de l’Université Makerere.
* Nomination comme consultante honorifique par le ministère de la Santé de l’Ouganda et le sénat de l’Université Makerere (1995)
* 1995 Lucille Teasdale a reçu l’Ordre national du Québec (Grand Officier)
* Ordre national du Québec (1995)
* 1995 Lucille Teasdale a reçu le Prix d’Excellence pour la Cause Africaine par CICA New York
* Prix d’Excellence pour la Cause Africaine de CICA New York (1995)
* 1995 Lucille Teasdale a reçu le prix Velan des clubs Rotary de Montréal
* Prix Velan du club Rotary de Montréal (1995)
* 1995 Lucille Teasdale et Piero Corti se sont vu décerner le Premio Professionalità par les clubs Rotary de Milan.
* Prix ''Professionalità'' par le club Rotary de Milan
* 1995 Lucille Teasdale a reçu le titre de membre honoraire par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.
* 1995 L’hôpital Lacor a reçu le Premio Antonio Feltrinelli pour l’accomplissement à s’employer à respecter des critères moraux et humanitaires exceptionnels décerné par l’Accademia dei Lincei de Rome
* 1996 Lucille Teasdale a reçu un doctorat honoris causa de l’Université de Montréal.
* 1996 ''in memoriam'' Lucille Teasdale a reçu le Premio Speciale Cuore D’Oro par le Premio della Bontà Motta, Notte di Natale, Milan
* 1997 ''in memoriam'' Lucille Teasdale a reçu le Premio Moscati Caserta d’Italie
* 2004 ''in memoriam'' Lucille Teasdale et Piero Corti ont reçu la Médaille d’or de l’Ordre du mérite par voie de décret du président de la République italienne.
* 1999 Parc Lucille-Teasdale à Montréal est nommé en son honneur (45°17′45″N 73°21′21″W / 45.2959°N 73.3559°W / 45.2959; -73.3559)
* 2000 Poste Canada émet un timbre de 46 sous en l’honneur de Lucille Teasdale.<span lang="FR-CA">Lucille Teasdale-Corti</span>
* 2001 Lucille Teasdale est intronisée au Temple de la renommée médicale canadienne.


== Hommages ==
<span lang="FR-CA">Lucille
La rue Lucille-Teasdale a été nommée en son honneur dans la ville de [[Québec (ville)|Québec ]] en 2006.
Teasdale-Corti</span>
* 2001 L’école secondaire de Lucille-Teasdale à Blainville, Québec est construite et nommée en son honneur. (45°43′15″N 73°53′49″W / 45.72085°N 73.897018°W / 45.72085; -73.897018)
* 2013 L’école internationale de Lucille-Teasdale à Brossard, Québec est renommée en son honneur. (45°26′55″N 73°28′39″W / 45.448563°N 73.477444°W / 45.448563; -73.477444)
* Le CSSS (Centre de Santé et de Services Sociaux) est nommé en son honneur à Montréal. (<span lang="FR-CA">Lucille Teasdale-Corti</span>45°34′09″N 73°34′37″W / 45.569159°N 73.577042°W / 45.569159; -73.577042) en plus d’un boulevard, le boulevard Lucille Teasdale. (45°43′32″N 73°30′40″W / 45.725485°N 73.511245°W / 45.725485; -73.511245)


== Notes et références ==
== Notes et références ==
{{Références}}
{{Références}}

== Liens externes ==
== Annexes ==
*Pour plus de vidéos et de documentaires, visitez : www.teasdalecorti.org www.fondazionecorti.it www.lacorhospital.org www.becomepart.org{{Autorité}}
=== Bibliographie ===
* [http://www.fondazionecorti.it/ Fondation Lucille Teasdale et Piero Corti]
==== Ouvrages ====
* Deborah Cowley, ''Lucille Teasdale: Docteure Courage'', Montréal, XYZ, 2007.
* Fondazione Piero et Lucille Corti / Fondation Teasdale-Corti, ''To Make a Dream Come True: Letters from Lacor Hospital, 1961 - 2003'', Bergamo, Corponove, 2009.
* Michel Arseneault, ''Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti'', Montréal, Libre Expression, 2011, 2<sup>e</sup> éd. (1<sup>ère</sup> éd. 1998).

==== Médiagraphie ====
* ''Avant de vous faire mes adieux'' (v.f. de ''[https://www.youtube.com/watch?v=aMVX7tERT30 Before I Go]''), documentaire de Michel Arseneault sur Lucille Teasdale
* ''D<sup>r</sup> Lucille - Un rêve pour la vie'' (v.f. de ''[[imdbtitle:0264557|D<sup>r</sup> Lucille - The Lucille Teasdale Story]]''), film sur la vie de Lucille Teasdale
* [https://www.youtube.com/watch?v=GcLUCkA44qk Portrait de la chirurgienne Lucille Teasdale] à l'émission Le Point, Radio-Canada, 31 mars 1994
* « [https://ici.radio-canada.ca/ohdio/balados/7902/tresors-archives/516578/premiere-tresors-darchives-lucille-teasdale Femme de sciences: Lucille Teasdale, la généreuse médecin de guerre] », entretien avec Marie-France Bazzo, 1996 - Baladodiffusion ''Trésors d'archives'', Radio-Canada

==== Autres médias ====
* Ilaria Ferramosca et Chiara Abastanotti, ''[https://hachette.qc.ca/livres/lucille/ Lucille]'', Montréal, Hachette Canada, 2023.

=== Articles connexes ===
[[Piero Corti]]

=== Liens externes ===

* Danny Lake-Giguère, « [https://fondationlionelgroulx.org/programmation/23/04/04/figures-marquantes/lucille-teasdale Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996)] », Fondation Lionel-Groulx, 5 juin 2023.
* [https://faitespartie.org/ La Fondation Teasdale-Corti] / [https://fondazionecorti.it/ Fondazione ETS Piero & Lucille Corti]

==== Bases de données et notices ====
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Dernière version du 24 octobre 2023 à 02:50

Lucille Teasdale-Corti
Lucille Teasdale (1955)
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
St. Mary's Hospital Lacor (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Lucille TeasdaleVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Activités
Conjoint
Piero Corti (de à )Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Distinctions

Lucille Teasdale-Corti, C.M., G.O.Q., née à Montréal le et morte du sida le à Besana in Brianza, est une médecin et chirurgienne canadienne ayant travaillé dans le nord de l'Ouganda durant 35 ans, de 1961 jusqu'à sa mort. Durant cette carrière, marquée successivement par l'indépendance du pays, le régime d'Idi Amin Dada, la guerre de brousse et l'insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur de Joseph Kony, elle a, avec son mari Piero Corti, contribué au développement des services de santé dans le nord de l'Ouganda.

Biographie[modifier | modifier le code]

Enfance[modifier | modifier le code]

Lucille Teasdale est née à Montréal, au Québec, le . Elle est la quatrième enfant d’une famille de sept. Son père René Teasdale était propriétaire de la première épicerie de Guybourg, un quartier ouvrier de l'est de la ville, près de la base militaire de Longue-Pointe[1]. Il était aussi marguillier de sa paroisse et juge de paix[1]. Sa mère, Juliette Sanscartier, était ménagère[1].

Très tôt, Lucille s'intéresse aux études, au grand bonheur de son père qui, issu d'une famille de cultivateurs, avait quitté très jeune l'école pour travailler[2]. En 1941, à l'âge de 11 ans, elle est admise au pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, administré par les sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie à Outremont. Malgré des relations parfois difficiles avec les religieuses et le cadre de vie sévère du pensionnat[2], cette époque est très formatrice pour Lucille. C'est en 1943, à la suite de la visite de religieuses missionnaires de l'Immaculée-Conception de retour de Chine qu'elle développe le désir d'aller pratiquer la médecine en Asie du Sud[2]. Peu après, elle fait part de ce désir à son père alors qu'ils assistent ensemble à une partie de baseball des Royaux de Montréal[2].

En 1945, Lucille obtient une bourse pour aller suivre son cours classique au collège Jésus-Marie à Outremont, où ses excellents résultats scolaires lui valent les louanges de ses enseignantes[3]. Alors qu'elle est au collège, elle assiste à une allocution de la Dre Jeanne Marcelle Dussault, alors la seule femme à étudier la psychiatrie à la Catholic University of America, à Washington D.C. Cette rencontre cimente chez Lucille le désir de devenir médecin[4].

Formation à l'Université de Montréal[modifier | modifier le code]

En 1950, Lucille est admise avec une bourse d'études à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Sa cohorte ne compte alors que huit femmes parmi les 110 étudiants inscrits[5]. Malgré le soutien financier de son père, qui pouvait se permettre de payer les études de sa fille puisqu'elle était la seule parmi ses frères et sœurs à suivre une formation universitaire[6], Lucille s'enrôle en 1952 dans le corps des cadets de l'armée de l'air afin de payer ses frais de scolarité[7]. Après un premier entrainement à la base aérienne de London, en Ontario, elle est transférée durant l'été 1953 à la base de Summerside, à l'île du Prince-Édouard, avant de quitter définitivement l'armée[7]. Durant les étés suivants, jusqu'à son départ pour Marseille en 1960, elle fait du bénévolat dans une colonie de vacances pour enfants handicapés située aux abords du Lac Pierre, à Saint-Alphonse-Rodriguez[8].

Après l'obtention en 1955 de médecine d'un diplôme avec mention honorifique de l'Université de Montréal, Lucille se spécialiste en chirurgie et poursuit un internat en chirurgie pédiatrique à l'hôpital Sainte-Justine, à Montréal[9]. Comme l'une des premières chirurgiennes québécoises[10], elle s'illustre par son énergie et ses compétences en chirurgie[11]. Malgré son charisme et sa beauté, qui lui avaient valu quelques années plus tôt le titre de « Miss Médecine » de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, Lucille est d'un naturel plutôt discret, et ne fraternise que très peu avec ses collègues de l'hôpital Sainte-Justine[11]. C'est néanmoins à cette époque qu'elle fait la rencontre du Dr Piero Corti, un médecin italien qui y suivait un internat en pédiatrie[11]. Comme Lucille, Piero entretien lui aussi le rêve d'aller pratiquer la médecine à l'étranger, là où les besoins étaient les plus grands[12], rêve auquel il est d'ailleurs plus familier que Lucille: son frère Corrado est missionnaire jésuite au Tchad, et son beau-frère avait pratiqué la médecine en Chine et en Inde[12]. En 1958, après la fin de sa résidence à l'hôpital Sainte-Justine, Piero retourne en Italie. De retour en Europe, il développe plus sérieusement son plan d'aller pratiquer la médecine en Afrique, ce dont il fait part à son frère lors d'un safari[13]. Alors que Piero commence à chercher un hôpital où s'installer, Lucille poursuit son internat à l'hôpital Maisonneuve jusqu'en 1959 puis à l'Hôtel-Dieu de Montréal jusqu'en 1960[14].

Afin d'obtenir un diplôme en chirurgie, il était nécessaire d'effectuer un stage à l'étranger. De nombreux établissements américains rejetent la candidature de Lucille, malgré son excellent dossier et les recommandations de ses superviseurs à Montréal[12]. Elle décide de poursuivre sa formation en France, où elle obtient deux postes avec l'aide d'une collègue française de l'hôpital Sainte-Justine, la neurologue Annie Courtois[15]. Dès lors, le plan pour terminer sa formation en chirurgie semble clair: elle va faire une résidence à l'hôpital de la Conception, à Marseille, avant de poursuivre son internat au prestigieux hôpital des Enfants-Malades à Paris[15].

Internat à Marseille[modifier | modifier le code]

Lucille Teasdale arrive à Marseille en septembre 1960 et, malgré les différences culturelles entre la France et le Québec, s'adapte rapidement à la vie marseillaise[16]. Peu après son arrivée, elle devient l'assistante du professeur Pierre Salmon, un chirurgien spécialisé dans la luxation congénitale de la hanche[17]. Ce séjour français est néanmoins court. Dès son arrivée en France, Lucille renoue avec Piero Corti, à qui elle fait parvenir une carte postale dans laquelle elle indique sa nouvelle adresse[15]. Après un bref échange, Piero, tout juste revenu d'Afrique, s'empresse de lui demander un rendez-vous à Marseille[18]. Lors de cette rencontre, il lui raconte qu'il a trouvé à Lacor, près de Gulu, une ville du nord de l'Ouganda, un petit hôpital opéré par des religieuses italiennes où ils pourraient pratiquer ensemble la médecine pour aider les démunis[18]. Piero n'avait pas choisi l'Ouganda au hasard: alors que l'ancien Congo belge, devenu indépendant en 1960, était secoué par une guerre de sécession, l'Ouganda, la « perle de l'Afrique » de Winston Churchill, était encore un protectorat britannique. Le pays était alors en voie d'obtenir son indépendance, mais le gouvernement britannique, depuis plusieurs décennies, avait pris le soin d'éduquer les élites ougandaises afin qu'elles puissent éventuellement succéder à l'administration coloniale[19].

Piero ne pouvait pas offrir à Lucille un salaire: au mieux, en plus du logement et de la nourriture, il pouvait lui payer son billet d'avion et des cigarettes[18]. Cela ne dérange pas Lucille, pour qui la médecine était avant tout une passion[20]. Plus jeune, alors qu'elle était au collège, elle avait réalisé qu'elle ne voulait pas pratiquer pour l'argent, mais bien pour aider les plus démunis[21]. À l'hôpital Sainte-Justine, elle s'était aussi offusquée que des chirurgiens pédiatriques priorisaient parfois des patients adultes, qu'ils voyaient en pratique privée, au lieu de se consacrer à soigner les enfants[20]. Pour Lucille, la médecine était « si passionnante que les médecins devraient payer pour avoir le privilège de pratiquer »[20]. Après avoir passé les vacances de Noël avec la famille de Piero à Milan, Lucille accepte de l'accompagner en Ouganda pour quelques mois, avant de revenir à Marseille[22].

Arrivée en Ouganda[modifier | modifier le code]

Lucille Teasdale à son arrivée en Ouganda (1961)

Lucille et Piero atterrissent à l'aéroport d'Entebbe à bord d'un avion de l'aviation militaire italienne en mai 1961. Ils se rendent immédiatement à Kampala afin d'obtenir du Dr Denis Parsons Burkitt, un chirurgien britannique de l'hôpital universitaire de Mulago, une licence pour permettre à Lucille de pratiquer la médecine en Ouganda[23]. Le surlendemain de leur arrivée, Lucille et Piero se mettent en route pour Gulu, la principale ville du nord de l'Ouganda, au cœur du territoire des Acholis.

L'hôpital St Mary's Lacor avait été fondé en 1959 à Lacor, à quelques kilomètres à l'ouest de Gulu, par des missionnaires italiens comboniens du Sacré-Cœur. Il était alors opéré par des religieuses et administré par le diocèse de Gulu, dont l'évêque, Giovanni Cesena, était lui aussi italien. Piero l'avait choisi parce que ce dernier avait accepté de lui laisser une certaine indépendance quant à la gestion de l'établissement. Au début des années 60, ce petit établissement ne compte que 40 lits, avec un service de maternité et une consultation externe, mais aucun lit de chirurgie[24]. À cette époque, des travaux étaient déjà en cours pour agrandir l'hôpital et le doter d'une salle d'opération ainsi que de pavillons de médecine et de radiologie[24]. Dès son arrivée, Lucille est submergée, voire angoissée, par l'ampleur du travail qui l'attend: elle est la seule chirurgienne de la région, qui comptait alors une population de 40 000 personnes[25]. Dès le lendemain de son arrivée à l'hôpital, elle est appelée à performer une césarienne, bien qu'il s'agisse d'une intervention qu'elle n'ait encore jamais pratiqué[25]. L'opération se déroule bien, et Lucille vient de pratiquer sa première chirurgie en Afrique.

L'important achalandage de patients et l'ampleur du travail à réaliser convainquent Lucille de prolonger indéfiniment son séjour en Ouganda. La population du nord de l'Ouganda, l'une des plus pauvres du pays, pratiquait encore des coutumes comme l'ebino[26], qui consiste en l'extraction des canines en éruption chez les enfants en bas âge malades[27]. À ces problèmes s'ajoutent les maladies, les blessures et aussi le manque d'éducation chez les mères par rapport aux soins et à la nutrition des enfants[27]. Durant ces premiers mois, Lucille est extrêmement occupée: elle voit des patients en consultation externe durant l'avant-midi avant de procéder à des chirurgies durant l'après-midi, installée dans un bloc opératoire temporaire[28]. Elle pratique dans des conditions matérielles beaucoup plus difficiles qu'en France ou au Québec. L'hôpital n'a généralement de l'électricité qu'entre 19:00 et 22:00[29]. Soucieux d'assurer le fonctionnement de l'établissement, Piero tente de trouver du financement et du matériel [30]. La fin de semaine, Lucille et Piero chassent ou visitent des parcs nationaux[30]. Après quelques mois en Ouganda, constatant tout le travail qu'il reste encore à faire, Lucille accepte de demeurer un peu plus longtemps à l'hôpital, à la demande de Piero, qui la demande en mariage[31].

Lucille Teasdale, Piero Corti, leur fille Dominique et des infirmières de l'hôpital

De retour en Afrique en décembre 1961 après un bref séjour à l'étranger, Lucille et Piero se marient dans la chapelle de l'hôpital de Lacor[32]. Après un court voyage de noces, le travail reprend. Sévère mais rigoureuse, Lucille impose la discipline à sa petite équipe d'infirmières et d'aides-infirmières[33]. Elle ne manque cependant pas de douceur avec les patients qu'elle opère, maintenant les standards élevés auxquels elle s'est habituée à Montréal et à Marseille[33]. Au début de l'année 1962, Piero, avec la bénédiction de l'évêque de Gulu, émancipe l'hôpital de l'administration diocésaine, auquel les honoraires payés par les patients étaient jusqu'alors versés. En échange de cette liberté, il promet de prendre la responsabilité du financement de l'hôpital[33]. Dès lors, le financement externe de l'établissement devient extrêmement important, les modestes honoraires demandés aux patients n'étant pas suffisants pour en assurer le bon fonctionnement.

Le 9 octobre 1962, l'Ouganda obtient son indépendance. Edward Mutesa devient président du pays, et Milton Obote est élu comme Premier ministre, le résultat d'une alliance entre leurs deux partis, le Kabaya Yekka (KY) et l'Uganda's People Congress (UPC). À peine un mois plus tard, Lucille donne naissance à sa fille Dominique, que les Acholis surnomment Atim - « née loin de chez elle »[34]. C'est à partir de ce moment qu'ils appellent Lucille Min Atim, la mère d'Atim[34].

Hôpital de Lacor et crises en Ouganda[modifier | modifier le code]

Lucille Teasdale en salle d'opération (sans date)

Durant la seconde moitié des années 60, l'Ouganda fait face à une série de crises qui affectent grandement la stabilité et la sécurité du pays. En 1966, le premier ministre Obote renverse le président et modifie la constitution pour se donner des pouvoirs plus larges[35]. Ces premiers troubles ne freinent aucunement le développement de l'Hôpital de Lacor. Vers la fin de la décennie, près de dix ans après leur arrivée à Gulu, Piero et Lucille dirigent maintenant une institution en pleine expansion. L'établissement de 150 lits compte alors des unités de pédiatrie, d'obstétrique et gynécologie, de médecine et de chirurgie ainsi qu'un bloc opératoire[36]. Des patients de l'Ouganda entier y sont soignés[37], à Lacor comme dans les cliniques rattachées à l'hôpital ouvertes dans les environs de Gulu, à Amuru, Pabo et Opit[36]. Le personnel soignant est alors composé de médecins étrangers - comme le Dr Arshad Warley, né en Afrique du Sud[38] - et d'infirmières italiennes. Piero et Lucille obtiennent à cette époque l'aide de l'Agence canadienne de développement international et de l'O.N.G. Développement et Paix, qui financent la construction d'une école d'infirmières à Lacor, afin de former des infirmières ougandaises[36].

Au début des années 70, une paix relative règne encore sur l'ancien protectorat britannique, malgré les scandales touchant le Premier ministre Obote. Celle-ci est subitement rompue par l'arrivée au pouvoir d'Idi Amin Dada, le commandant en chef des forces armées ougandaises, qui renverse le gouvernement Obote en 1971[39].

Dictature d'Idi Amin Dada et crise économique[modifier | modifier le code]

L'arrivée au pouvoir d'Idi Amin Dada marque le début du déclin rapide de l'économie ougandaise[40]. Dans les mois qui suivent, il expulse du pays la minorité asiatique, principalement d'origine indienne, établie en Ouganda depuis l'époque coloniale, et redistribue leurs propriétés à ses alliés[40]. Le régime d'Idi Amin Dada est aussi marqué par une importante répression politique ayant causé la mort ou la disparition d'environ 300 000 Ougandais, soit près du quarantième de la population totale[40]. La situation difficile en Ouganda mène à un exode important, ce dont souffrent grandement surtout les services publics, dont les hôpitaux qui, à partir de cette époque, sont particulièrement affectés par le manque de personnel, de ressources et d'équipements[40].

C'est dans ce contexte que Lucille fait le choix difficile d'envoyer sa fille Dominique vivre en Italie, dans la famille de Piero, afin de lui offrir de meilleures conditions de vie et, surtout, une éducation moderne[41]. Au fil des années, Dominique ne revint à Lacor que pour les vacances, bien que ses parents acceptent éventuellement qu'elle soit transférée à une école à Nairobi, au Kenya voisin. Cette séparation est néanmoins difficile pour Lucille, qui craint que sa fille se sente rejetée par sa mère[42]. Il s'agit de son propre aveu du sacrifice le plus difficile de sa vie[43]. Lucille et Piero sont eux-mêmes confrontés au choix de quitter le pays, où la situation politique et économique dégénère toujours plus. Ils décident malgré tout de demeurer en Ouganda pour maintenir le fonctionnement de l'hôpital, sur lequel comptent des dizaines de milliers d'Ougandais. Avec l'aide de la famille de Piero, ils organisent l'envoi chaque année de plusieurs conteneurs avec de l'équipement médical, des médicaments et des vêtements usagés afin de pallier les conditions opérationnelles de plus en plus difficiles à l'hôpital[44].

Ces difficultés, en comparaison avec les établissements publics, encore plus durement touchés par la crise économique, affectent assez peu l'hôpital de Lacor. En 1976, cinq ans après l'arrivée d'Idi Amin Dada au pouvoir, l'hôpital compte 220 lits, dont 60 lits de chirurgie[40]. Une nouvelle salle d'opération et un service de radiothérapie avaient récemment été inaugurés[45]. Les soins offerts et les techniques utilisées à l'hôpital sont modernes et calqués sur les standards occidentaux[45]. L'établissement, sous la supervision parfois sévère de Lucille et Piero, fonctionne très efficacement, ce qui leur valent même des compliments de la part d'Idi Amin Dada lors d'une visite officielle la même année[46]. Lucille, tout comme Piero d'ailleurs, est très exigeante envers le personnel soignant[47]. Elle s'impose toutefois la même discipline que celle demandée aux infirmières[48]. Elle demeure aussi très appréciée de ses patients[48]. Au fil des années, les relations développées avec les Acholis étaient devenues profondes, même si elle n'hésite pas, comme Piero d'ailleurs, à les réprimander pour leurs mauvaises habitudes ou leur négligence[49].

Lucille alterne infatigablement entre les consultations médicales et les chirurgies au bloc opératoire. Elle performe une quantité importante de chirurgies diverses durant ces années. Dans un article publié dans Tropical Doctor en 1978[50], Piero ne note d'ailleurs que 18 décès pour 2878 interventions performées entre 1973 et 1978 par Lucille[51], ce qui dénote un impressionnant taux de rétablissement. Ces statistiques sont attribuables non seulement aux compétences chirurgicales de Lucille mais aussi à l'utilisation de l'anesthésie épidurale, jugée facile et efficace[52]. Elles soulignent ainsi la transformation importante de l'établissement au courant des années et la grande qualité des soins qui y sont offerts, deux choses imputables au travail de Lucille et Piero. Vers la fin des années 1970, ils ne sont cependant plus les seuls médecins à l'hôpital, qui voit sans cesse son équipe croître. Outre l'équipe d'infirmières italiennes et ougandaises dirigée par sœur Lina Soso depuis 1977[52], qui performe parfois des tâches qui auraient ailleurs été réservées à des médecins[45], Piero et Lucille sont alors assistés par deux collègues. C'est grâce à l'un d'eux, le Dr Lino Dalla Bernardina, professeur retraité de l'Université de Padoue spécialisé en radiologie, que l'hôpital avait pu inaugurer son service de radiothérapie, alors l'un des seuls en Afrique[45]. Le pédiatre québécois Dr Claude Desjardins avait aussi rejoint l'équipe l'année précédente, en 1975, comme chef du service de pédiatrie[53]. Il avait entendu parler de l'hôpital par l'entremise de Dr Gloria Jéliu, qu'il avait côtoyé à l'hôpital Sainte-Justine[53]. Il est éventuellement chargé des cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit afin de développer un programme de médecine préventive[54]. Les Acholis faisaient alors face à de graves déficits en matière de nutrition et de soins des enfants, et tardaient souvent à les emmener à l'hôpital lorsqu'ils éprouvaient des ennuis de santé[54]. Les efforts de Claude Desjardins et de sa femme Suzanne, une éducatrice spécialisée en nutrition, mènent éventuellement à la publication en 1978 du manuel Helping the Rural African Mother to Care for Her Child, réédité et distribué à travers l'Afrique anglophone par l'UNICEF avant d'être traduit en français en 1980[51].

À cette époque, l'apport le plus important au personnel soignant de l'hôpital demeure celui des jeunes internes italiens qui, en guise de service militaire, sont envoyés par le ministère italien des Affaires étrangères comme médecins coopérants en Ouganda[55]. L'hôpital de Lacor bénéficie immensément de ce programme parrainé par l'O.N.G. italienne Cuamm[56]. Cet afflux de médecins était souvent temporaire, puisque les internes ne demeuraient environ que trois mois à Lacor avant d'être réaffecté ailleurs en Ouganda[55], même si certains choisissaient d'y poursuivre leur service de coopérant, lequel durait normalement deux ans . Lucille et Piero comprennent rapidement que l'africanisation du personnel soignant demeure la seule solution pour assurer la pérennité de l'établissement, même si les conditions économiques du pays, alors en faillite, ne permettent pas encore à l'université Makerere de former des médecins ougandais[57]. À la fin des années 1970, à la veille de la chute du régime, l'effondrement des infrastructures et de l'économie de l'Ouganda est complet[58].

Invasion tanzanienne et guerre de brousse ougandaise[modifier | modifier le code]

C'est durant la guerre avec la Tanzanie, qui mène en 1979 à la chute du régime d'Idi Amin Dada, que l'hôpital de Lacor connait sa première véritable période d'insécurité. En octobre 1978, sur fond de tensions politiques entre le dictateur ougandais et Julius Nyerere, le président tanzanien, l'armée ougandaise envahit la Tanzanie et annexe la région de Kagera. Les forces tanzaniennes, avec le support de volontaires ougandais opposés au régime d'Idi Amin Dada, stoppent rapidement l'invasion et, durant leur contre-offensive, envahissent le sud de l'Ouganda au début de l'année 1979. En avril, Kampala est prise par les troupes tanzaniennes et Idi Amin Dada est forcé de fuir le pays.

La contre-offensive tanzanienne engendre l'exode des soldats fidèles à Idi Amin Dada vers le nord de l'Ouganda[59]. Avec l'effondrement de la structure militaire, ces soldats, sans direction, s'adonnent à de nombreuses exactions contre la population. Si l'hôpital de Lacor est épargné, ce n'est pas le cas des cliniques d'Amuru, de Pabo et d'Opit, qui sont saccagées par des soldats ougandais[60], qui s'en prennent par le même coup aux édifices publics comme les banques, les prisons et les écoles[59]. Même l'hôpital public de Gulu est envahi et pillé par les soldats[60]. La coupure des lignes téléphoniques, des services postaux et du réseau électrique isole cependant l'établissement, ainsi que Lucille et Piero, du reste du monde[59]. La sécheresse, la famine et les violences ethniques s'ajoutent rapidement à ces problèmes[58]. Grâce à la génératrice au diesel de l'hôpital, qui permet notamment de garder les médicaments au frais[61], l'établissement poursuit tant bien que mal ses activités[62].

Ces interventions, déjà nombreuses, se font alors encore plus fréquentes à cause de la guerre, du brigandage et de la flambée des violences entre les Acholis et d'autres groupes ethniques du nord comme les Kakwas, les Lugbaras et les Madis[63]. Des militaires mais aussi des civils, souvent blessés par balles, sont soignés à l'hôpital, qui fonctionne malgré tout à plein régime[62]. Ces blessures, causées par les munitions explosives employées par les militaires, s'avèrent spécialement difficiles à opérer à cause des nombreux éclats d'os[62]. C'est durant une de ces délicates interventions que Lucille, devenue chirurgienne de guerre, contracte le VIH[64], virus encore méconnu qui progressait rapidement en Ouganda, à la faveur des combats et des déplacements de population[65].

L'hôpital est attaqué par des militaires ougandais pour la première fois en mai 1979[61]. Alors que Lucille était dans la salle d'opération, Piero tente d'empêcher l'accès à l'hôpital à des soldats, qui tirent dans sa direction[66]. Ce n'est que l'intervention de la mère d'un des soldats, elle-même patiente de l'hôpital, qui sauve Piero, qui s'en sort seulement avec une perforation du tympan[66]. L'arrivée des troupes tanzaniennes à Gulu le 20 mai 1979 apporte un bref répit à la région et à l'hôpital, dont l'état fonctionnel étonne particulièrement le commandant tanzanien. Il s'agissait du seul hôpital encore ouvert croisé depuis son arrivée en Ouganda, quelques mois auparavant[67].

Après plusieurs gouvernements provisoires, Milton Obote est de nouveau élu président en 1980, malgré une forte opposition[68]. Profitant de cette accalmie politique, Lucille et Piero entament des discussions avec la faculté de médecine de l'université Makerere afin que l'hôpital de Lacor devienne un établissement d'accueil pour les internes ougandais[69]. La paix est encore une fois de courte durée puisque dès 1981, la résistance contre le gouvernement Obote s'organise rapidement autour du Mouvement de résistance nationale et de sa branche armée, l'Armée de résistance nationale (NRA), commandée par Yoweri Museveni[68]. Cette insurrection marque le début de la guerre de brousse, une guerre civile brutale qui va durer jusqu'en 1986 et qui causera la mort de plus d'un demi-million d'Ougandais.

Le nord du pays s'embrase brusquement devant l'incapacité des soldats ougandais, sans expérience ni discipline, à mettre un terme à la rébellion de la NRA[68]. L'hôpital de Lacor est à plusieurs reprises ciblé par des pillards, qui espèrent y trouver de l'équipement, des vivres et des médicaments[68]. À ces troubles, qui engorgent de blessés les urgences de l'établissement, s'ajoute l'apparition à l'hôpital, au courant de 1982, de patients affectés par une maladie mystérieuse, alors surnommée la « maladie de maigreur » (ou slim disease)[65]. C'est à cette même époque que Lucille commence à ressentir les symptômes du sida, qu'elle pense être de la fatigue causée par le travail[70]. La santé de Piero, qui fait un premier infarctus en 1983[71], ne va alors guère mieux. Malgré tout, le couple n'a d'autre choix que de travailler, alors que l'hôpital de Lacor fait face à une affluence considérable de patients et de blessés.

C'est dans ce contexte difficile, alors que les combats entre l'armée et les rebelles de la NRA font rage dans l'ensemble du pays[72], que l'établissement accueille ses premiers internes[73]. Parmi ceux-ci se trouve le Dr Matthew Lukwiya, en qui Lucille et Piero réalisent qu'ils ont trouvé leur successeur[73]. L'accord passé avec l'université de Makerere permet aux médecins diplômés de faire un internat à Lacor, sous la supervision de Lucille qui, malgré une fatigue grandissante, se retrouve subitement en première ligne de la formation de la relève médicale ougandaise. Elle ne peut alors pas signer les rapports officiels des internes qui travaillent à l'hôpital, sa formation de chirurgienne étant incomplète depuis 1961[74]. La situation est rectifiée en 1985, lorsque le doyen de la faculté de médecine de l'université de Makerere annonce à Piero que l'institution a accordé à Lucille le droit de prendre en charge officiellement l'enseignement de la chirurgie aux internes de passage à Lacor[75]. L'accord sera plus tard étendu à l'université de Mbarare, fondée en 1989, et à celle de Gulu, fondée en 2003[76]. En plus d'être en centre de formation pour les médecins ougandais, l'hôpital forme à cette époque des infirmières et poursuit sa croissance avec la construction d'une unité d'oncologie et d'un pavillon pour les patients atteints de la tuberculose[77], une maladie opportuniste fréquemment observée chez les patients atteints du sida.

En 1983, Dominique annonce à ses parents qu'elle désire poursuivre des études en médecine[78]. Cette nouvelle est un baume pour le couple, qui pouvait enfin espérer que leur fille puisse les rejoindre à Lacor. À la même époque, Lucille commence cependant à soupçonner la nature de la maladie qui l'affecte depuis déjà quelques années[79]. Lucille est diagnostiquée séropositive en 1985[80]. Elle reçoit les résultats alors qu'elle se trouve à Montréal pour rendre visite à son père malade[80]. Elle s'inquiète immédiatement de savoir si elle peut continuer à pratiquer la chirurgie. Deux spécialistes, le professeur Anthony Pinching, qu'elle consulte lors d'une escale à Londres alors qu'elle était en route pour l'Ouganda, et le Dr Wilson Carswell, un médecin britannique qui travaillait à Kampala, l'invitent sans réserve à poursuivre ses activités[43]. Tant que personne ne pouvait la remplacer, Lucille causerait plus de tort en arrêtant de pratiquer qu'en continuant, en prenant des précautions supplémentaires[43]. La fulgurante progression du sida à travers le pays fit rapidement de cette maladie une réalité de la médecine en Ouganda, avec laquelle le personnel soignant, fortement touché par l'épidémie, devait aussi composer[81].

En 1985, le président Milton Obote est de nouveau renversé par un coup d'État orchestré par des militaires Acholis[75]. L'année suivante, en 1986, les troupes de la NRA s'emparent de Kampala[82], forçant la démission du président Tito Okello après six mois au pouvoir. Le nouveau gouvernement, dirigé par Yoweri Museveni, entreprend dès sa constitution une campagne militaire contre les groupes qui lui sont hostiles, dont les Acholis, qui s'organisent pour résister[82]. Parmi ces groupes, le plus important dans la région de Gulu est l'Armée populaire et démocratique d'Ouganda (UPDA), formée d'anciens militaires acholis fidèles à Tito Okello[83]. Le gouvernement Museveni et la NRA, à peine légitimement au pouvoir, mènent une campagne anti-insurrectionnelle brutale contre cette nouvelle rébellion, attisant le nationalisme acholi. Les rebelles de l'UPDA, des Acholis, se livrent à cette époque au pillage et à des enlèvements, terrorisant ceux faisant partie d'autres groupes ethniques[84]. C'est ce contexte qui voit l'émergence du Mouvement du Saint-Esprit (HSM), et qui marque le début d'un nouveau conflit, la guerre de brousse à peine terminée.

Insurrection de l'Armée de Résistance du Seigneur[modifier | modifier le code]

Le Mouvement du Saint-Esprit, un amalgame de plusieurs groupes rebelles dont l'UPDA, mêlant nationalisme acholi, spiritisme et fondamentalisme chrétien, est formé en 1987. À sa tête se trouve une jeune médium acholi, Alice Auma, qui dit recevoir ses ordres de Lakwena, une entité messagère du Saint-Esprit. Après une série de victoires contre les forces gouvernementales, elle dirige ses troupes vers Kampala, mobilisant l'appui d'autres groupes ethniques opposés au gouvernement. La rébellion s'effrite brusquement vers la fin de l'année, avec l'arrestation d'Alice à la frontière kenyane, qu'elle tentait de traverser avec un groupe de fidèles[85]. Sa disparition laisse cependant le champ libre à une seconde insurrection bien plus tenace et qui persiste encore à ce jour: celle de l'Armée de Résistance du Seigneur (LRA), commandée par Joseph Kony, qui lui aussi se réclame du Saint-Esprit[86].

La seconde moitié des années 1980, marquée par la violence quotidienne, les enlèvements et le pillage, est particulièrement difficiles pour l'hôpital. Aux rebelles de l'UPDA succèdent ceux fidèles à Alice Lakwena et enfin ceux de la LRA. Des travaux pour la construction d'une bibliothèque, d'un service de physiothérapie et de laboratoires sont alors en préparation[87]. Depuis 1985, le nord de l'Ouganda est de nouveau sans électricité et l'établissement repose toujours, pour son fonctionnement quotidien, sur une génératrice au diesel, dispendieuse à faire fonctionner, ainsi que sur quelques panneaux solaires installés sur les toits[87]. Les patients sont moins nombreux, à cause des barrages routiers et des combats qui rendent les déplacements dangereux. À cette époque, ce sont surtout des civils cherchant à échapper au maraudage des rebelles et des soldats qui fréquentent l'établissement. Protégé par ses murs, celui-ci devient avec le temps un sanctuaire fréquenté chaque soir par des milliers de personnes[88].

Cela n'empêcha pas l'hôpital de Lacor d'être attaqué et saccagé à répétition par les rebelles[87]. Les cliniques périphériques d'Amuru, de Pabo et d'Opit connaissent un sort similaire, les rebelles cherchant à s'emparer de médicaments et d'équipements médicaux, ou encore à kidnapper des infirmières pour les rançonner[87]. À partir de 1987, la fréquence des attaques ne fait qu'augmenter. Lucille et Piero n'y échappent d'ailleurs pas. À plusieurs reprises, ils sont eux-mêmes pris en otage par des rebelles. En 1987, le lundi de Pâques, des rebelles s'introduisent dans l'hôpital après une fête et enferment le couple dans une chambre, menaçant de tuer Piero s'ils ne lui donnent pas de l'argent[89]. Ces attaques deviennent de plus en plus fréquentes. Quelques mois plus tard, en novembre 1987, des rebelles entrent dans l'hôpital pour se saisir d'un blessé, qu'ils trainent dehors avant de l'exécuter[90]. L'hôpital, son personnel et ceux qui s'y réfugient, sont sous la menace constante des rebelles.

Entre septembre et décembre 1988, l'hôpital St Mary's Lacor est attaqué à sept reprises par les rebelles[91]. Lorsque ce ne sont pas les rebelles, ce sont des militaires qui y font des perquisitions[87]. Pour la première fois depuis 1961, Lucille et Piero commencent à réellement songer à fermer l'hôpital qui, en outre du pillage, fait face à l'exode de son personnel[92]. La sécurité des infirmières, des internes et du personnel de l'hôpital devient à cette époque l'une de leurs préoccupations principales[92]. La plupart des employés vivent alors à l’intérieur de l’enceinte de l'établissement avec leur famille. Ils vont travailler le soir en vêtements civils afin d'éviter d'être reconnus et enlevés par les rebelles. Ceux qui ne sont pas Acholis, surtout, craignent d'être reconnus par les insurgés. La plupart des médecins italiens avaient été rapatriés: à la fin des années 1980, seul le Dr Dalla Bernardina demeure encore sur place, avec la sœur Lina Soso et quelques autres religieuses italiennes[92].

En réalité, la désintégration du HSM en 1988 ne règle en rien la situation. Au contraire, celle-ci s'empire considérablement avec l'émergence de la LRA. À cette menace constante, qui perdure pour l'établissement jusqu'au début des années 1990, s'ajoute la santé de Lucille, qui décline de plus en plus depuis son diagnostic en 1985. Elle souffre notamment d'un muguet buccal particulièrement tenace et qui rend son alimentation difficile, mais aussi, en plus de la fatigue, d'autres co-infections typiques du sida comme la fièvre, la pneumonie et la maladie d'Addison[92].

Alors que Lucille et Piero sont en vacances au Kenya, en mars 1989, l'hôpital St Mary's est envahi par des rebelles fidèles à Joseph Kony qui désirent s'emparer de médicaments[93]. Ceux-ci demandent initialement à voir Piero et Lucille mais, constatant leur absence, tentent plutôt d'enlever les religieuses. Le Dr Lukwiya s'interpose, les informant que les médicaments sont désormais gardés par l'armée à Gulu[93]. En échange des religieuses italiennes, le médecin est pris en otage par les rebelles, qui emporte aussi avec eux dans la forêt quelques infirmières ougandaises[93]. Le Dr Dalla Bernardina est forcé de fermer l'hôpital, tout en maintenant les urgences ouvertes[94]. De retour en Ouganda, Lucille et Piero constatent à quel point la situation est devenue difficile, et décident éventuellement de fermer temporairement l'établissement[95]. Lucille continue à travailler, malgré l'état avancé de sa maladie, alors que Piero s'active à sauver l'établissement, dont l'existence même est désormais menacée[96].

Devant les attaques répétées, le gouvernement italien menace de rapatrier le personnel italien, ce qui aurait pour effet la fermeture de l'hôpital[97]. Cette menace, bien réelle, a pour effet la libération du Dr Lukwiya et des autres otages, les rebelles réalisant pour la première fois à quel point ils dépendent eux-mêmes des soins qui y sont prodigués[98]. La fermeture temporaire de l'établissement est néanmoins maintenue et, le 10 avril 1989, Piero fait distribuer des tracts à Gulu pour en faire l'annonce[96]. À la suite des protestations de la population locale, le gouvernement accepte de former une milice pour en assurer la défense. Piero maintient cependant la fermeture de l'hôpital pendant un certain temps[96]. Ce n'était pas la première fois qu'il avait utilisé cet argument: il en avait déjà fait part aux influents aînés des Acholis sans que la manœuvre porte fruit[99]. La menace, cette fois-ci, est suffisante. Joseph Kony, par l'intermédiaire d'un de ses soldats, menace Piero de représailles si l'hôpital ne reprend pas ses activités, mais abandonne éventuellement cette tactique[100]. Jusqu'à la fin du conflit au début des années 2000, l'hôpital de Lacor a été épargné, malgré les combats faisant rage entre les rebelles de la LRA et les troupes gouvernementales.

Dernières années et reconnaissance internationale[modifier | modifier le code]

Lorsque Lucille fut diagnostiquée séropositive, en 1985, on ne lui donna que 25% de probabilités de survivre plus de deux ans[101]. Lors de sa rencontre avec le Dr Pinching, ce dernier lui avait dit que le moral jouait un rôle important dans ses chances de survie[102]. Au tout début de la recherche médicale sur le sida, l'espérance de vie d'un patient séropositif était encore mal connue. Lucille lutta finalement contre la maladie durant onze ans après son diagnostic, travaillant malgré la fatigue, les nombreux problèmes de santé et l'insurrection qui embrasait le nord de l'Ouganda.

Ces dernières années sont aussi marquées par la reconnaissance internationale. À partir du milieu des années 1980, les prix et les récompenses commencent à s'accumuler. Récipiendaires de plusieurs distinctions italiennes, promus officiers de l'Ordre du Mérite de la République italienne en 1981[103] et reçus par le pape Jean-Paul II avec d'autres médecins du Cuamm deux ans plus tard[104], le couple est déjà bien connu en Italie. C'est néanmoins en 1986 qu'ils reçoivent une première distinction d'envergure internationale: le prix Sasakawa de l'Organisation mondiale de la santé, octroyé pour leur apport au développement des soins de santé dans le nord de l'Ouganda[105]. Cette reconnaissance ne s'étend cependant pas encore au Canada: outre quelques rares mentions dans les journaux québécois, Lucille Teasdale demeure inconnue du public canadien.

La situation change progressivement à la fin de la décennie. En 1987, elle reçoit le prix F.N.G. Starr, la plus haute distinction de l'Association médicale canadienne[90], où elle figure en illustre compagnie auprès de sir Frederick Banting, de Wilder Penfield et d'Armand Frappier. Elle est aussi nommée membre honoraire de l'Association médicale du Québec, devenant la première femme à recevoir cet honneur[103]. Deux ans plus tard, en 1989, la parution d'un portrait dans le Reader's Digest permet enfin de l'introduire à un public plus large. En 1991, elle reçoit l'Ordre du Canada[106]. Quatre ans plus tard, en 1995, le Premier ministre québécois Jacques Parizeau lui octroie l'Ordre national du Québec[106]. Peu après, elle est admise comme membre honoraire du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada lors d'une cérémonie publique tenue à la Place des Arts de Montréal[106]. Sa renommée québécoise n'est déjà plus à faire: l'année précédente, le journaliste Michel Arseneault s'était rendu auprès en Ouganda afin de l'interviewer[106]. Son reportage, diffusé à l'émission Le Point à Radio-Canada, connait un grand succès[107].

Aux honneurs canadiens succèdent ceux de l'Italie. En 1995, l'hôpital de Lacor reçoit le prix Antonio-Feltrinelli de l'Académie nationale des Lyncéens, la plus ancienne société savante d'Europe, fondée en 1603. Le prix, accompagné d'une bourse de 300 000 lires italiennes, est décerné lors d'une cérémonie publique au Palazzo Corsini, à Rome[106]. À tous ces honneurs s'ajoute finalement celui de l'Organisation des Nations Unies, qui décerne à Lucille le prix du Centre international pour la cause africaine afin de souligner son engagement, personnel et professionnel, dans la lutte contre le sida en Ouganda[106].

Encore au milieu des années 1990, les rebelles continuent leurs exactions dans la région de Gulu[108]. Ces attaques contre la population, marquées par le meurtre, le vol de bétail et les enlèvements d'enfants, n'affectent jamais plus directement l'hôpital de Lacor, qui peut reprendre ses activités[109]. L'établissement est de nouveau connecté au réseau électrique en juin 1990[110]. En 1993, signe du retour de la paix dans la région, le pape Jean-Paul II visite Gulu pour une messe publique[111]. À la grande déception de Lucille, le programme du souverain pontife n'inclut pas une visite de l'hôpital de Lacor, même si plusieurs hôpitaux missionnaires en Ouganda et au Zaïre voisin y sont inscrits[112].

Si la paix est de retour, la santé de Lucille décline toujours plus, forçant des périodes de repos de plus en plus longues. Dans ses dernières années, elle partage son temps entre l'Ouganda, l'Italie et l'Angleterre, où elle suit des traitements. Elle continue malgré tout à voir et à opérer des patients. Quelques mois avant son décès, extrêmement amaigrie et fatiguée, elle parvient tout de même à travailler quelques heures par jour, en consultation surtout. Elle est désormais généralement trop affaiblie pour performer des chirurgies[113]. Parfois trop faible pour se lever le matin, Piero doit lui administrer des perfusions intraveineuses pour la réhydrater[114]. Le 16 mars 1996, avec l'assistance de Jacob Meri, un interne ougandais, elle performe une dernière chirurgie[115]. Il s'agit de sa dernière parmi plus de 13000 interventions chirurgicales. Un mois plus tard, trop malade pour demeurer en Ouganda, elle quitte Lacor. À cause du danger posé par les rebelles, le couple doit être évacué par l'armée en hélicoptère.

Mort[modifier | modifier le code]

Une murale en mémoire de Lucille Teasdale, Piero Corti et Matthew Lukwiya dans l'enceinte de l'hôpital

Piero et Lucille s'installent à Besana in Brianza, non loin de Milan, en avril 1996. Extrêmement souffrante, elle ne peut se rendre à Montréal, en mai de la même année, pour recevoir un doctorat honoris causa de l'Université de Montréal[116]. C'est sa sœur Lise qui l'accepte en son nom. Entourée de Piero, de Dominique et de Lise, Lucille Teasdale décède le 1er août 1996. Après des obsèques publiques en Italie[117], sa dépouille est transportée en Ouganda pour y recevoir des funérailles publiques[118]. Des milliers d'Ougandais viennent lui rendre hommage dans la cathédrale de Gulu, sous la supervision de l'armée, qui positionne un char d'assaut à proximité, signe que la menace de la LRA plane toujours sur la région. Lucille Teasdale est inhumée dans la cour de l'hôpital, sa demeure pendant 35 ans.

Cinq après sa mort, en 2001, Lucille est intronisée à titre posthume au Temple de la renommée médicale canadienne[119]. Depuis 2008, en souvenir de leur œuvre et de leur engagement humanitaire, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada remet chaque année le prix Teasdale-Corti d'action humanitaire à des médecins qui, souvent au péril de leur vie, pratiquent la médecine humanitaire à l'étranger[120].

Développement de l'Hôpital de Lacor[modifier | modifier le code]

La porte principale de l'hôpital St Mary's Lacor (2018)

Le rapport annuel de l'hôpital pour l'année 1996 indique que l'hôpital de Lacor comptait alors 446 lits. Il enregistre 13 437 admissions, et note que 116 953 patients avaient été traités en consultation externe. 1114 accouchements et 1278 interventions chirurgicales majeures avaient été réalisés durant l'année, et 33613 doses de vaccin avaient été inoculées. Il s'agissait déjà du principal établissement de santé du nord du pays. Malgré la guerre et le manque chronique de ressources humaines et matérielles, l'hôpital n'avait jamais cessé de grossir en 35 ans[réf. nécessaire].

Après le décès de Lucille, malgré une santé défaillante, Piero continue à se consacrer à l'hôpital de Lacor. Atteint de la maladie d'Alzheimer et souffrant déjà de problèmes cardiaques depuis plusieurs années, il est aussi grandement affecté par le décès soudain du Dr Matthew Lukwiya, emporté par une épidémie d'Ebola qui frappe l'hôpital en décembre 2000[121]. Dès lors, sa santé l'empêchant de pratiquer la médecine, il voue ses dernières années au financement des activités de l'établissement à travers les deux fondations qu'il avait créé avec Lucille: la Fondazione Piero e Lucille Corti en Italie (1993) et la Fondation Teasdale-Corti à Montréal (1995)[122]. Piero Corti s'éteint à Milan d'un cancer du pancréas le dimanche 20 avril 2003, le jour de Pâques[123]. Sa dépouille est transportée en Ouganda pour être inhumée aux côtés de celles de Lucille et de Matthew, dans les jardins de l'hôpital de Lacor[123].

Depuis le retour définitif de la paix dans le nord du pays au milieu des années 2000, l'établissement poursuit son développement. Il est aujourd'hui l'un des principaux employeurs de la région ainsi qu'un important centre d'internat pour les médecins formés en Ouganda. À la mort de son père en 2003, Dominique Corti est devenue présidente de la Fondazione Piero et Lucille Corti[124]. Elle a aussi remplacé Piero sur le conseil d'administration de l'hôpital. Depuis 2006, elle est membre du conseil d'administration de la Fondation Teasdale-Corti. L'hôpital de Lacor est aujourd'hui administré par une équipe entièrement ougandaise, formée à l'hôpital par Lucille et Piero. Encore aujourd'hui, l'approche préconisée par Lucille, axée sur le soin des patients avant tout, demeure l'un des principes fondamentaux de l'établissement. Chaque année, des centaines de milliers de patients - dont près du tiers sont des enfants âgés de moins de six ans - obtiennent des soins de qualité à l'hôpital ou dans ses cliniques périphériques.

Prix et distinctions[modifier | modifier le code]

  • Prix Missione del Medico - Angelo De Gasperis de la Fondation Carlo Erba de Milan (1972)
  • Ordre du mérite de la République italienne par décret du président de la République italienne (1981)
  • Prix Premio della Bontà Notte di Natale Angelo Motta par la Fondation Pro Juventute Don Gnocchi de Milan (1983)
  • Prix Ambrogino d’Oro par la municipalité de Milan (1984)
  • Prix Paul Harris Fellow du club Rotary International en Italie (1986)
  • Prix Sasakawa de l'Organisation mondiale de la santé (1986)
  • Prix F.N.G. Starr de l’Association médicale canadienne (1987)
  • Prix de l’International Medical Women Association d’Italie (1990)
  • Ordre du Canada (1991)
  • Prix Cuore Amico d’Italie (1993)
  • Nomination comme consultante honorifique par le ministère de la Santé de l’Ouganda et le sénat de l’Université Makerere (1995)
  • Ordre national du Québec (1995)
  • Prix d’Excellence pour la Cause Africaine de CICA New York (1995)
  • Prix Velan du club Rotary de Montréal (1995)
  • Prix Professionalità par le club Rotary de Milan

Hommages[modifier | modifier le code]

La rue Lucille-Teasdale a été nommée en son honneur dans la ville de Québec en 2006.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, Montréal, Libre Expression, (1re éd. 1998) (ISBN 9782764805527), p. 51
  2. a b c et d Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 53-54
  3. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 85-86
  4. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 57-58
  5. Deborah Cowley (trad. de l'anglais), Lucille Teasdale: Docteure Courage, Montréal, XYZ, (ISBN 978-1-4593-2801-3, lire en ligne Accès limité), p. 24
  6. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 4 (lire en ligne Accès libre [PDF])
  7. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 88-90
  8. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 91
  9. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 25
  10. « Lucille Teasdale » Accès libre, sur L'Encyclopédie canadienne, (consulté le )
  11. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie: Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 19-20
  12. a b et c Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 27
  13. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 69
  14. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 24
  15. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 25
  16. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 28
  17. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 61
  18. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 26-27
  19. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 18
  20. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 65
  21. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 3 (lire en ligne Accès libre)
  22. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 70
  23. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 41
  24. a et b Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 6 (lire en ligne Accès libre)
  25. a et b Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 38-39
  26. Mieux connue sous le nom d'Infant Oral Mutilation (OIM), la pratique était très commune dans le nord de l'Ouganda au début des années 1960. Elle est aujourd'hui beaucoup plus rare.
  27. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 120
  28. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 40
  29. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 75
  30. a et b Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, p. 42
  31. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 79
  32. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 115
  33. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 119
  34. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 135
  35. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 141
  36. a b et c Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 9 (lire en ligne Accès libre)
  37. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 143
  38. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 134
  39. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 149
  40. a b c d et e Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 10 (lire en ligne Accès libre)
  41. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 150-151
  42. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 152-153
  43. a b et c Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 16 (lire en ligne Accès libre)
  44. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 8 (lire en ligne Accès libre)
  45. a b c et d Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 161
  46. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 158
  47. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 162
  48. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 170-171
  49. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 126-127
  50. (en) Lucille Corti et Piero Corti, « Epidural Anaesthesia in an up-Country Hospital », Tropical Doctor, vol. 8, no 3,‎ , p. 119–122 (ISSN 0049-4755 et 1758-1133, DOI 10.1177/004947557800800313, lire en ligne, consulté le )
  51. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 168
  52. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 169
  53. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 164
  54. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 166-167
  55. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 163
  56. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 145
  57. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 11 (lire en ligne Accès libre)
  58. a et b Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure courage, p. 87
  59. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 178
  60. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 179
  61. a et b Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure courage, p. 90
  62. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 181
  63. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 180
  64. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure courage, p. 106
  65. a et b Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure courage, p. 101-102
  66. a et b Cowley, Lucille Teasdale: Docteure courage, p. 91
  67. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 188
  68. a b c et d Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 196-197
  69. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 195-196
  70. Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure courage, p. 103-104
  71. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 207
  72. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 218
  73. a et b Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 14 (lire en ligne Accès libre)
  74. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 202
  75. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 228
  76. Maurizio Murru et al., « Costing Health Services in Lacor Hospital », Health Policy and Development,‎ , p. 1 (lire en ligne Accès libre)
  77. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 15 (lire en ligne Accès libre)
  78. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 2013
  79. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 229
  80. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 230-231
  81. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 17 (lire en ligne Accès libre)
  82. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 236
  83. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 241
  84. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 245-246
  85. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 269
  86. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 271
  87. a b c d et e Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 19 (lire en ligne Accès libre)
  88. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 245
  89. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 256-258
  90. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 259
  91. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 261
  92. a b c et d Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 20 (lire en ligne Accès libre)
  93. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 279-280
  94. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 281
  95. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 285
  96. a b et c Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 289
  97. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 284
  98. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 22 (lire en ligne Accès libre)
  99. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 253
  100. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 294-295
  101. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 233
  102. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 16 (lire en ligne Accès libre)
  103. a et b Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 24 (lire en ligne Accès libre)
  104. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 217
  105. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 239
  106. a b c d e et f Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 25 (lire en ligne Accès libre)
  107. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 325
  108. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 331
  109. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 23 (lire en ligne Accès libre)
  110. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 301
  111. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 313
  112. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 314
  113. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 334
  114. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 335
  115. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 336
  116. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 337-338
  117. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 341
  118. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 343-344
  119. « Lucille Teasdale-Corti, MD », sur Temple de la renommée médicale canadienne (consulté le )
  120. « Récipiendaires du prix Teasdale-Corti d'action humanitaire du Collège royal », sur Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (consulté le )
  121. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 349
  122. Danny Lake-Giguère, « Figures marquantes de la solidarité: Lucille Teasdale (1929-1996) », Fondation Lionel-Groulx,‎ , p. 27 (lire en ligne Accès libre)
  123. a et b Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 354
  124. Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, p. 368-369

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages[modifier | modifier le code]

  • Deborah Cowley, Lucille Teasdale: Docteure Courage, Montréal, XYZ, 2007.
  • Fondazione Piero et Lucille Corti / Fondation Teasdale-Corti, To Make a Dream Come True: Letters from Lacor Hospital, 1961 - 2003, Bergamo, Corponove, 2009.
  • Michel Arseneault, Un rêve pour la vie - Lucille Teasdale & Piero Corti, Montréal, Libre Expression, 2011, 2e éd. (1ère éd. 1998).

Médiagraphie[modifier | modifier le code]

Autres médias[modifier | modifier le code]

  • Ilaria Ferramosca et Chiara Abastanotti, Lucille, Montréal, Hachette Canada, 2023.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Piero Corti

Liens externes[modifier | modifier le code]

Bases de données et notices[modifier | modifier le code]